L’architecture d’intérieur
Le XXe siècle comble les hommes.
A son aurore, il leur fit don de l’électricité, dans ses larges applications de lumière et de force motrice, du téléphone (vaste tissage de fil-à-fil international pour les conversations d’affaires ou de cœur), du chemin de fer à cours rapide ; il intronisa l’art merveilleux du cinéma, en noir et muet pour commencer, en sonore, en couleurs, en panoramic et en relief, par la suite. Puis ce fut la royauté de la radio, belle et éclectique à ses heures, mais aussi terriblement bavarde et trop bruyante fort souvent. Enfin et surtout, il fut le « grand architecte » et génie des sciences modernes, de la technique, de la mécanique en d’inouïes dimensions dans le grandiose ou l’infinitésimal.
Et l’aviation, prodigieux envol dans l’espace. Et l’énergie atomique, puissance gigantesque d’aujourd’hui et de demain.
Inventions, découvertes, prodiges.
La technique révolutionne le monde et lui donne un élan, un essor fantastiques.
L’homme d’ici et de partout est arraché de la molle époque rose du bon temps du xixe siècle. Il est poussé, pétri, reformé et reconditionné *par les jaillissements et les flux de l’ère naissante du modernisme. Comme les merveilleux engins volants des pistes aériennes, les idées partent en fusées. La technique toute puissante transforme la vie de l’homme, lui enseigne mille usages nouveaux des matières et des formes.
Elle lui dicte un mode de vie plus linéaire, plus affranchi. Jusque dans son habitation, l’homme épure sa conception, simplifie et perfectionne à la fois son «bagage» d’existence. Du coup, l’architecture, art souverain des « habitats » pour individualités en collectivités, s’émancipe d’une tradition qui eut et qui conserve toute sa noblesse, comme aussi ses faiblesses. Elle aiguise sa conception des masses, des volumes et des lignes. Elle revoit « grand » et « clair ».
Mais dans leur vaste tâche nouvelle, les élites d’architectes sont très sollicitées par les lourds programmes du gros œuvre extérieur. De cela va naître la nécessité d’une constante collaboration, celle de spécialistes qui auront à assumer, eux, la mission des travaux d’intérieur, pour maintes circonstances, pour maintes constructions. Voici donc créée la particularité de « l’architecture d’intérieur », art et métier nouveaux qui depuis des lustres fleurissent partout en France, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, dans les pays du nord et de l’est, comme pareillement en Suisse, et sans oublier, bien entendu, tous les grands pays des Amériques.
Art et métier nouveaux de valeur, mais dont on n’a pas encore partout une assez juste notion.
L’architecte d’intérieur est donc l’artiste et praticien qui joue le rôle d’auxiliaire entre l’architecte constructeur, le maître de l’œuvre et les maîtres d’état touchant aux ouvrages de la décoration d’intérieur. Ou encore qui crée pour les propriétaires ou usagers les aménagements qui ne procèdent pas de l’architecture générale.
Depuis les plans de villas, d’appartements, de studios, de cabinets de médecins ou de salons de diverses destinations, jusqu’aux créations complètes d’établissements publics : théâtres, cinémas, restaurants, bars, tea-rooms, snack-bars, cafés glaciers, magasins, etc.
Les éléments dominants des aménagements intérieurs: murs, peinture, papiers peints, sols, éclairage et luminaires, mobiliers et rideaux, boiseries précieuses ou décors de staff, de céramique ou de plastics divers, objets d’art, tous sont du domaine de « l’architecte d’intérieur ». En plus, il crée, s’il est de talent, des tissus inédits, des meubles originaux, des motifs décoratifs personnels répondant exactement aux vœux des clients.
Cet artiste en son genre doit être un vrai créateur, un novateur de grande imagination et de fine sensibilité, un homme friand des formes et des matières nouvelles, fruits de longues recherches. Idées, dessins, projets, maquettes forment son large éventail de suggestions et de modèles, qui conviendra aussi bien à tous les constructeurs d’importants ouvrages qu’à la clientèle privée qui est fréquemment dans l’embarras pour l’installation idéale de telle ou telle demeure.
% Par ailleurs, l’architecte d’intérieur est très souvent le créateur de divers objets de série, à caractère décoratif, que l’on trouve dans le commerce et qui peuvent être utilisés avec profit sans défigurer un intérieur très étudié. Et dans toutes les voies de son activité, il s’efforce constamment de sortir des chemins battus, de créer du nouveau autant technique qu’esthétique, en observant les règles fondamentales de la fonction.
Mais il n’oublie jamais qu’il ne suffit pas d’imposer des éléments nouveaux ainsi que des coloris vifs pour obtenir un intérieur de goût. Même dans le style moderne et dans le jeu de couleurs éclatantes et de sujets inattendus, les lois de l’harmonie et d’une géométrie judicieuse (même étant audacieuse) doivent être respectées et former la base élégante de tous les décors.
Jean Muller, Architecte d'intérieur