Le tapis dans l’installation intérieure
Je tiens à dire d’emblée que l’importance donnée au tapis par ces quelques remarques ne signifie pas qu’il faut négliger le rôle des tentures. Cependant, je me demande pourquoi le souci premier de qui installe une pièce d’habitation est très souvent de décider des rideaux, des portières, des tissus d’ameublement, le choix du tapis étant laissé à plus tard, bien que sa nécessité existe et soit admise de chacun.
Le rideau et le vitrage protègent de l’indiscrétion; un siège doit être recouvert pour servir et résister; des considérations d’ordre utilitaire, le goût, les possibilités financières règlent ce choix; cela est aussi valable pour le tapis; le marché actuel met à disposition des qualités diverses qui ne sont plus celles des produits de luxe. Mais si le tissu d’ameublement et le tapis mécanique peuvent s’adapter facilement, il ne faut jamais oublier que le tapis noué à la main est une pièce unique.
Protéger une intimité! Encore faut-il qu’elle existe. C’est bien une impression générale, produit de l’ensemble des éléments en présence; comment un élément qui ne s’intégrerait pas pourrait-il participer à cette recherche? Ses rapports avec d’autres éléments ne seront satisfaisants que s’ils suivent certaines règles propres à la composition, variables, mais qui toutes emploient les similitudes et les contrastes pour établir une forme d’équilibre; ainsi crée-t-on l’âme de n’importe quoi.
Le tapis est surtout un élément horizontal (il y a bien aussi le tapis contre le mur) ; mais cet horizontal ne l’est que relativement, autrement dit par rapport à ce qui ne l’est pas; c’est le plan de l’homme qui juge de sa position verticale; ce n’est pas sans raison que nous ne marchons pas contre le mur de notre chambre; et ce plan-support demande nos soins; l’architecte — par exemple — doit se préoccuper de sur quoi l’homme va vivre (ou retomber), comme il se préoccupe de l’enveloppe de cette plate-forme.
Dès que l’activité physique de l’homme se ralentit, l’homme se rapproche de l’horizontale; par cela, le paresseux est un peu parent de celui qui rêve et réfléchit. La peau d’ours était déjà là pour accueillir l’homme; puis elle est montée contre le mur, toile de tente ou souvenir de celle-ci.
L’importance de cette aire est grande — liaison et support; son organisation présente des difficultés, si nous voulons qu’elle joue son rôle; ce sol ne peut délibérément être étranger à une intention; ce sol est fait de quelque chose, et s’il est tapis, ce tapis-là n’est pas volant; il ne peut donner l’impression d’être en visite chez vous.
Et si, remis à plus tard, il doit tenir le rôle de trait d’union, qu’il le soit avec l’importance que le peintre donne à ses tons de passage. Et le tapis que nous cherchons existe; ou il faudra le créer.
Alin Décoppet, Architecte