Vente d’appartements en Suisse

Il est délicat de reprendre la plume sur un tel sujet car nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, sont bien renseignés sur une solution si largement répandue à l’étranger et dont des expériences pratiques ont prouvé qu’elle était parfaitement adaptable à la Suisse et même qu’elle y répondait à un besoin.

D’un autre côté, ceux qui ne sont pas renseignés risquent fort de rester encore longtemps sceptiques... jusqu’au jour où la modification attendue du Code civil leur ouvrira les yeux sur un sujet qu’ils ont jusqu’ici pu ou voulu ignorer.

Si les éditeurs de cette revue ont voulu que ce sujet soit traité dans ses colonnes, c’est sans doute qu’ils pensent à bon droit que tous ceux qui s’intéressent à la construction doivent connaître cette formule de plus en plus courante de vente immobilière. En raison des facilités de financement bancaire que l’on rencontre actuellement en Suisse, beaucoup de gens sont attirés vers la construction d’immeubles avec la conviction qu’ils n’auront aucune peine à les faire absorber par le marché, et il est juste de dire qu’à ce jour, rares sont les immeubles qui, ayant été construits, n’ont pas trouvé preneurs parmi les nombreux trusts, compagnies d’assurance, caisses d’épargne, particuliers, etc., qui recherchent des placements immobiliers.

Tel ne sera cependant pas toujours le cas, et l’on peut prévoir que certaine de ces catégories d’acheteurs disparaîtra comme c’est pratiquement le cas aujourd’hui des particuliers dont les fortunes ont été fortement diminuées, et par conséquent plus largement réparties. Il faut souhaiter que nous nous acheminions vers le moment où, comme aux Etats-Unis ou au Canada, 50 à 60 % des citoyens de notre pays seront propriétaires de leur logement. Il n’est pas besoin d’insister sur l’aspect social d’une telle évolution. Il serait aussi faux de dire que ces problèmes n’intéressent que l’étranger et qu’ils ne font qu’effleurer la Suisse. Chez nous, en effet, il est incontestable maintenant que la vente d’appartements existe : elle répond donc à un besoin, car en matière économique il n’y a pas de miracles. Elle vit, elle prospère dans le silence et dans la paix, ce qui prouve que son fonctionnement est actuellement bien au point.

Le caractère pratique de cette revue nous interdit de nous étendre sur l’aspect juridique du problème. Il nous suffira de rappeler qu’actuellement la propriété « horizontale » n’est

pas autorisée en Suisse, puisqu’elle a été supprimée dans le Code civil de 1912. En revanche, il est certain qu’elle y sera réintroduite: il suffit pour s’en convaincre de considérer que la bataille a commencé sur le plan politique à la suite des divers postulats qui ont été présentés au Conseil fédéral et qui ont incité celui-ci à nommer un expert qui devra proposer les modifications à apporter au Code civil. De son côté, la Société suisse des juristes a inscrit cette question à l’ordre du jour de son assemblée de cette année. C’est donc par la société immobilière, propriétaire de l’immeuble et dont les actions sont réparties entre les actionnaires-locataires, dans la proportion de la valeur de leurs appartements, qu’ont procédé avec succès ceux qui jusqu’ici ont réalisé la vente par appartements sur une grande échelle en Suisse. Il est intéressant de noter qu’à l’étranger où la division de la propriété foncière sur le plan « horizontal » est autorisée par la loi, on a néanmoins de plus en plus recouru, pour les ventes d’appartements, à la société immobilière, en raison même de sa structure et de sa souplesse. Cette formule est donc appelée à connaître de larges succès aussi bien chez nous qu’à l’étranger, car il n’y a pas d’exemples que la pratique ne trouve pas de solution à des besoins économiques.

Supposons maintenant qu’un groupe dispose d’un terrain et décide d’y construire des immeubles vendus par appartements. Comme dans tous les autres cas, il fera établir des plans très soigneusement en réservant le maximum de possibilités de modifications et de transformations des plans initiaux, cela pour répondre aux demandes des futurs acheteurs. Il est nécessaire que la situation de l’immeuble et que le genre des appartements mis sur le marché correspondent bien au goût des futurs acheteurs, car ceux-ci entendent s’installer dans leur appartement avec un caractère beaucoup plus définitif que de simples locataires. Les constructeurs feront bien de s’assurer un crédit de construction qui les rendra financièrement indépendants du rythme des ventes. Cependant, ce crédit de construction sera maintenu dans des limites très raisonnables du fait que chaque acheteur paye, lors de l’achat de son appartement, la moitié du prix, qui vient donc rembourser partiellement le compte de construction et diminuer les intérêts débiteurs. Les ventes sur plans commencent naturellement en même temps que la construction. Il y a une sorte de prime pour ceux qui achètent vite puisque les modifications qu’ils ^peuvent désirer s’exécuteront à peu de frais au cours de la construction. Lorsque l’immeuble est terminé étalés clefs des appartements remises aux acheteurs, le solde du prix d’achat est payable et si l’acheteur n’a pas pu mobiliser à ce moment la somme nécessaire il pourra recourir à une banque qui lui fera l’avance désirée contre remise en nantissement des titres, soit des actions de la société immobilière; il amortira ce prêt bancaire dans les années suivantes, tout comme le ferait un acheteur de villa de son hypothèque. La différence même de taux entre le prêt bancaire sur nantissement de titres (4 y2 %) et le prêt hypothécaire (3 % %) n’est pas déterminante parce que, à l’encontre du prêt hypothécaire, le prêt sur titres n’entraîne aucun frais lors de sa constitution.

Une certaine difficulté naît certainement pour les constructeurs des modifications fréquentes de plans qui sont demandées par les acheteurs. Ces demandes peuvent être présentées avant, pendant ou après la construction de l’immeuble et des appartements. Le prix des appartements étant arrêté sur la base du plan initial, il n’y a plus qu’à calculer les plusou moins-values consécutives aux transformations et qui comprennent chaque fois les honoraires d’architecte et les frais de plan. Plus l’architecte aura pu trouver un plan souple et plus il s’adaptera aux demandes des acheteurs, plus aussi il sera certain de répondre exactement aux désirs individuels de ces derniers et à leurs besoins personnels.

Supposons maintenant que l’immeuble soit terminé et que le propriétaire d’appartement soit installé dans l’appartement de son choix, aménagé à sa convenance et qu’il dispose librement ainsi que du garage qui lui aura été naturellement attribué dans les sous-sols de l’immeuble, car aujourd’hui on n’envisage pas plus de construire un immeuble sans garages que sans salles de bains.

Toutes les transformations, réparations, etc., qui ne concernent que son propre appartement lui incomberont à l’avenir comme s’il était dans sa propre villa. Toutes les améliorations qu’il apportera à son appartement lui profiteront, soit pendant qu’il en jouira, soit au moment où il revendra son appartement tant il est vrai que deux appartements de surface identique ne se vendront pas au même prix selon que l’un des actionnaires aura été diligent, constamment attentif à son entretien et l’aura successivement amélioré, tandis que l’autre l’aura laissé dans un état voisin de l’abandon. L’intéressant est que cet abandon ne portera aucun préjudice au voisin, ce qui indique bien que chacun reste maître de sa chose.

Les actionnaires jouiront en commun des services généraux, du concierge, des ascenseurs, de la chambre à lessive et des séchoirs, des garages à bicyclettes et à voitures d’enfant, des jardins, éventuellement de la terrasse et des piscines construites sur la toiture comme le prévoit le projet qui s’édifie actuellement à Genève. Réunis en assemblée générale, ils auront désigné entre eux un Conseil d’administration chargé de veiller à leurs intérêts communs dans l’immeuble. A son tour, le Conseil d’administration aura désigné un gérant professionnel si l’immeuble est d’une certaine importance, car l’intervention d’un spécialiste sera nécessaire pour veiller à tout, conclure les assurances et en diriger le jeu, administrer en un mot l’immeuble au mieux des intérêts communs. Tous les frais qui découlent des installations communes, appelés frais fixes parce qu’ils ne varient pratiquement pas d’une année à l’autre, seront répartis entre les actionnaires au prorata de leurs actions, et représentent environ 12 à 15 % d’un loyer normal.

Le chauffage et l’eau chaude sont fournis et leurs frais répartis comme dans tous les immeubles urbains. Il est clair que cette répartition de frais sera toujours infiniment moins onéreuse que dans une villa de même dimension parce que tous les locaux sont mieux répartis et utilisés, les services mieux organisés et la production du chauffage et de l’eau chaude, par exemple, centralisée pour tout un bloc d’immeubles. Mais si les actionnaires participent ainsi aux charges fixes moyennant un versement annuel qui variera très peu et qui restera très modeste, ils n’interviendront plus du tout, en revanche, dès qu’il s’agira de réparations importantes de l’immeuble telles que réfection de toiture ou de façades, remplacement d’une chaudière, d’un câble d’ascenseur, etc.

En effet, pour éviter que les charges annuelles perdent leur caractère de fixité le jour où une grosse réparation deviendra nécessaire, une réserve spéciale est constituée et alimentée chaque année par le produit de la location de certains locaux, tels que garages surnuméraires, chambres de bonnes, etc.

Pendant les dix ou quinze premières années de la vie de l’immeuble, il ne sera pas fait appel à cette réserve qui sera d’autant plus forte le jour où elle deviendra nécessaire.

Grâce à cette réserve aussi, le prix des appartements ne variera plus au gré des années qu’en fonction de leur état d’entretien intérieur, la question de l’entretien de l’immeuble ne se posant pas, puisque la société immobilière aura toujours les moyens d’y parer sans faire appel aux actionnaires.

Si nous nous sommes attardés sur le fonctionnement de cette vente d’appartements, c’est que beaucoup croient encore que son principal obstacle réside dans les querelles qui éclatent entre propriétaires à l’occasion des dépenses importantes à faire dans l’immeuble. Cette source de conflits — la seule, à vrai dire, que l’on pourrait redouter — est ainsi totalement éliminée.

Il convient encore de relever ici les services que ce système de la propriété immobilière fractionnée est appelé à rendre sur le plan commercial. Pour assurer, en effet, la pérennité de ses affaires et pour être sûr de garder sa clientèle, le commerçant est parfois tenté d’acheter l’immeuble qu’il habite et cela au prix de quels sacrifices! Le plus souvent, cette solution qui, seule, pourrait le mettre à l’abri de tout danger d’éviction est impossible en raison de la disproportion qui existe entre la valeur de l’immeuble et celle du commerce.

On sait que tout le problème du bail commercial résulte de ce malaise. En revanche, lorsque le commerçant peut n’acheter que sa boutique, il devient maître chez lui tout en profitant des avantages économiques de sa participation à un grand immeuble et lorsqu’il voudra revendre son commerce, il trouvera une foule d’acheteurs puisque ceux-ci sauront que le capital qu’ils investiront dans la reprise d’un commerce est immensément valorisé par ce facteur de stabilité et de sécurité.

Si la solution exposée dans ces lignes n’est pas valable dans tous les cas, elle est en tout cas une des solutions qui aident à résoudre beaucoup le problème et dont le développement en Suisse est absolument assuré.

H. Juillard