L’architecte a-t-il besoin d’une revue ?
L’architecte est un personnage autrement redoutable que le couturier parisien ou la modiste. Un chapeau sur la tête d’une femme n’y demeure pas longtemps et les lignes, qu’elles soient en forme de tulipe, de haricot ou de pois mange-tout dévient subito presto vers d’autres appellations non contrôlées.
L’architecte, quand il plante un nouveau bâtiment, l’impose au-delà des saisons. Qui veut encore, aujourd’hui, de la mode architecturale qui sévit à Lausanne et ailleurs au début du siècle?
On ne se flatte plus d’abriter à Lausanne le « palais » de Rumine, redoutable imitation du style florentin qui, il y a cinquante ans, impressionnait les institutrices en voyage italien et les soi-disant amis des muses.
Tenez, Montreux ne s’est pas encore débarrassé de cette floraison variqueuse du même ton. A cette époque barbichue et à pince-nez doré, l’architecte saisissait volontiers Léonard de Vinci par le bouton du veston pour le prendre à témoin de quelques villas tire-bouchonnées et ornées comme des gâteaux de noces chez les commerçants aisés.
Il ne faut pas trente ans pour constater que l’originalité d’un moment rejoint plus vite que le diable à la descente la plus parfaite banalité. Trente ans après, on a envie de chausser des bottes pour dire ce que l’on pense à ceux qui ont bouché l’horizon de pareille manière. Cette remarque est valable pour tous les temps...
Tenez, ces maisons que l’on découvre avec stupéfaction dans des paysages parfaitement construits eux, ces quatre pièces et balcon dans le vignoble de Lavaux, bâtis par quelques prétentieux retraités et qui installent devant les plus beaux paysages du monde leur mobilier Louis XIII et leur plante verte! Et ces entrées de villes tristes comme des boîtes de sardines rouillées, ces bâtisses locatives où les financiers ont mis sous toit leurs placements, ces bâtisses qui allongent leurs ombres dans un alignement pénitentiaire!
Où est l’architecte dans cette déroute ?
Tant bien que mal, l’honnête homme tente de réagir contre l’esprit des lieux que des siècles de calvinisme réfrigérant comme bise de novembre ont réduit à la congélation. On dirait que l’on est là, dans cette vallée de larmes, pour attendre sans rien faire les jours ensoleillés promis par les Ecritures.
D’où cette tendance au conformisme le plus amidonné.
Mais beaucoup d’architectes font violence à l’ambiance locale et s’efforcent de bâtir plus « durement », si je puis dire. Du reste, chaque fois qu’une œuvre valable quoique moderne sort de terre, les personnes même attachées au passé s’accordent à lui trouver un air de présence parce qu’expressive et vivante. Voir, s’il vous plaît, le bâtiment de l’Assurance Mutuelle Vaudoise qui, en lieu et place d'une charmante et pittoresque campagne, a donné aux lieux le vigoureux visage du moment, un élan auquel on aimerait identifier notre époque.
Ces efforts qui nous sortent du «gnan-gnan» ambiant méritent meilleure presse. On aimerait mieux connaître les idées intéressantes de MM. les architectes quand ils prennent les risques de sortir des ornières.
Les architectes qui ont du coffre éprouvent le besoin de respirer l'air de la fenêtre ouverte. Une revue bien faite peut être à l’image de cette fenêtre. Rappelons-nous qu’à l’époque où l’on édifiait le palais de Rumine, certaines revues spécialisées esquissaient déjà un tonique cubisme architectural.
Construire pour son temps, c’est souvent avoir beaucoup d’avance. Seul l’échange des idées vous permet cette voie.
Applaudissons donc à une revue romande qui se consacre au métier. Certains architectes seront ravis de dialoguer à travers ces pages et de voir aussi ce que l’on fait ailleurs.
Ajoutons que les gens bien informés savent puiser dans les intéressantes collections techniques les éléments d’une plus large et nécessaire documentation, à l’image des médecins soucieux de se tenir à la page — sans jeu de mots — afin de faire bénéficier leurs clients des dernières découvertes.
L’architecte romand, on le verra mieux ainsi, quand il a des idées, n’est pas un personnage qu’il faut interner parce qu’il diffère du respectable « déjà fait »!
J.-P. Macdonald