L’architecture de Marc J. Saugey vue par Alberto Sartoris
Parmi la confuse agitation de l'architecture contemporaine, l'œuvre de Marc-J. Saugey domine souverainement d'une plate-forme où l'a installée la volonté de recherche de son auteur. Ses formes, franches comme une épure, ne sont point un produit hasardeux de l'instinct. Elles ne constituent pas non plus une simple affaire de coup d'œil ou une pure question de concept. C'est bien à l'esprit magistral de la personnification constructive qu'elles appartiennent.
« L'invention en art est un mérite secondaire », a dit Louis Gillet. S'il est vrai qu'aujourd'hui les faux inventeurs courent les rues et que les idées sont à tout le monde, l'étrange assertion du distingué académicien français n'en est pas moins fortement controversée par le fait que le don de découverte de Saugey impose son élan aux principes rénovateurs de notre époque et rend viables des partis découlant d'un patrimoine commun. C’est donc malgré tout sous le signe de l'invention qu’il faut placer cette prodigieuse poussée de plans et de motifs neufs.
Prototypes aboutis, types achevés, les constructions de Saugey s'articulent autour d'une théorie architecturale qui, tout en pliant l'édifice à la fonction, tend à en définir la grandeur. Devant l'immense problème encadrant les différents ordres des structures actuelles, il ne renonce pas à faire chaque fois d'une solution rationnelle une plastique vibrante engagée vers le devenir, vers le but de demain. Ses créations s’enchaînent, comme elles se continuent, sans se répéter. Une trouvaille en amène une autre qui consentira plus tard une logique métamorphose. Plus que de fantaisie, c'est donc bien d'invention qu'il faut parler.
Si Saugey éblouit par l'éclat de la révélation, il nous rassure néanmoins par le déploiement d'une esthétique abstraite qui trouve raisonnablement le pouvoir de surmonter le point crucial qui pourrait enliser l'architecture dans un temps d'arrêt. Il veille à ce que chaque œuvre conserve sa propre valeur sans hypothéquer celle qui suivra. Il a sans contredit le talent de la fraîcheur constante dans la composition, le don de faire d'un ensemble mesuré une anatomie sans mesure pour le futur.
Ce capital simultané qu’il porte en lui et qu'il tire d'un monde vivant, régularise une vision exacte ayant le mérite de ne jamais se contredire. Chez Saugey, le choix d'un principe n'est pas l'abandon de celui qui l'a précédé, mais la poursuite, le développement d'un thème qu'il perfectionne au fur et à mesure de sa transformation. Il est difficile d'être plus net, plus organique, plus fonctionnel. Ce qui a été atteint forme un tout indissoluble qui reste cependant le piédestal de ce qui sera résolu ensuite à la lumière d'une autre perspective, au moment de l'engendrement d'une autre œuvre. La géométrie modulaire qui enchâsse les lignes et les volumes de ses bâtiments et en répartit les surfaces, magnifie sans conteste la dextérité de ses prises de position.
Une idée fixe, conçue comme faisant corps avec une architecture déterminée, ne se rencontre guère dans l'œuvre de Saugey. A l'instant même où il arrête un plan répondant pourtant parfaitement au problème posé, il voit déjà plus loin car il sait qu’en architecture rien ne doit être, malgré la rigueur de la technique, aussi strict qu'un théorème absolu. Son « catégorisme » doit se perpétuer et non se pétrifier.
L'architecture de Saugey est un faisceau lumineux de forces ascendantes, une façon de concevoir et de distribuer des espaces, une manière virile de souligner par des lignes dynamiques la sérénité des masses. Je ne comprends pas la colère avec laquelle certains improvisateurs affairés parlent de la trop grande transparence et de la trop grande vigueur de ses constructions. On dirait que l'effort que Saugey accomplit pour neutraliser la pesanteur et accentuer la grandeur ne puisse ajouter au prix de son art. Doit-il, pour trouver une meilleure audience, ne jouer comme Ingres que de la musique vertueuse, alors que la vérité réside dans les symphonies courageuses et exaltantes de ses aériennes et puissantes ossatures ?