L’architecture de Coderch et Valls Vergés
vue par Alberto Sartoris
Parler de l’extraordinaire tandem José Antonio Coderch de Sentmenat-Manuel Valls Vergés, c'est aborder tout entier le problème de la nouvelle architecture espagnole. Avec lui, la magie traditionnelle de l'art ibérique a retrouvé la veine d'une source tarie depuis longtemps: celle de l’imagination. Filtrée et décantée à travers l'étude des œuvres des précurseurs européens, sa contribution à l’avènement de réalisations d'un caractère fondamentalement national fait aujourd'hui autorité.
Plus qu'une aventure primordiale, la campagne entreprise par Coderch et Valls Vergés pour revenir à l'esprit racé de ces courants divergents mais efficaces qui ont donné à l'Espagne des créateurs exceptionnels tels que César Andrés Argüelles, Antonio Gaudi y Cornet et Rafael Guastavino, découvreurs respectifs du gratte-ciel, de la structure parabolique, des voûtes cloisonnées et des voûtescoquilles, est un événement presque légendaire dans l'histoire de l'architecture espagnole.
De la fin du XIXe siècle à la troisième décade du XXe, malgré l'art et la science de ces novateurs, les principes instaurés par Casto Fernândez-Shaw Iturralde et l'apport du phénomène spécifiquement catalan que polarisèrent Luis Domenech y Muntaner, José Puig y Cadafalch et José Luis Sert, la surdité et le renoncement incommensurable de certains hommes, pris dans une foule de préjugés, firent de l'Espagne, d'une terre pourtant extrêmement propice à l’éclosion de styles particuliers, l'emblème de la mystification et de la négation de l’architecture. Mais après cette longue parenthèse d’aberration, la fièvre pernicieuse qui s’était répandue partout s'avéra à l’improviste curable avec l'intervention décisive de Coderch et Valls Vergés. La raison triompha subitement de l'anarchie. L'Espagne ouvrit de nouveau toutes grandes ses portes aux formes généreuses de l’invention.
Dans l’architecture de Coderch et Valls Vergés nous discernons des caractéristiques essentielles qui se résument en des plans composés le plus librement du monde, dans la multiplication de toutes les distributions possibles, dans l'établissement de façades rompues à toutes les pénétrations et qui ne sont plus que des ensembles d'ouvertures, des pans transparents ou des écrans de protection. Sans rencontrer d'obstacle, le regard plonge et va d'un bout à l'autre de la maison qu’on traverse parfois comme un portique.
Ce redressement de l'architecture espagnole, opéré à travers un canevas de conceptions personnelles, il y avait toutefois un moyen de le rendre plus évident et de lui faire donner le maximum d'effet. Ce moyen est visible dans tous les détails de la construction. La valeur plastique et fonctionnelle se mesure ici à l'idée que l'architecture se fait de l'invention. A ce compte, peu de courants contemporains ne l'emportent sur la tendance de Coderch et de Valls Vergés. L'invention est vraiment le grand moment de l'authenticité de leur architecture. Le sens de la libération, qui n'admet que les seules entraves de la nature des matériaux, se révèle à chaque instant. Il confère par ailleurs à l’édifice sa signification et la portée morale de la construction. Et nous n’insistons pas sur les autres conséquences que cette attitude entraîne.
L'architecture de Coderch et Valls Vergés se présente d'une façon globale, comme une pensée continue que rien n’arrête dans son développement. Une part importante de son attrait tourne autour de la projection de l'intérieur vers l'extérieur. Les espaces qu’elle définit sont à la fois d'une grande rigueur et d'une grande souplesse. Selon le cas particulier à résoudre, ils limitent l’édifice, l'étendent au dehors ou l'insèrent dans un système mixte.
Il importe de remarquer que l'architecture de Coderch et Valls Vergés se manifeste comme une liberté naturelle qui ne s'assujettit qu'à quelque chose de supérieur, qui ne se subordonne qu'à des procédés nouveaux faisant de la beauté en dernière analyse une construction utile bien adaptée à sa destination, aux besoins singuliers et à l'attente qu'elle doit remplir. Au dégagement d'une esthétique pure où la raison est toujours présente, ne s'opposent pas les traits saillants de la construction. Les formes naissent du seul désir d’être appropriées à leur emploi, de répondre à des méthodes judicieuses conduisant à la transfiguration de l'architecture.