Projet d’aménagement routier de la ville et du canton de Genève

Georges Bréra, architecte FAS

Pierre Nierlé, architecte FAS

Paul Waltenspuhl, architecte-ingénieur SIA FAS

Parmi les grandes préoccupations de notre temps, les questions d'urbanisme occupent sans conteste une place de premier plan.Pour se convaincre de l’envergure des problèmes à affronter, trois constatations suffisent, qui sont valables pour autant que les accroissements réguliers constatés ces dernières années soient maintenus, ce qui est probable: La population de nos villes double en 30 ans, la circulation automobile double en 8 ans, le prix des terrains de construction double en 4 ans. • s.

Nous connaissons les difficultés auxquelles se heurtent les urbanistes dans la rénovation des cités, trop souvent construites dans le désordre autour d’un noyau historique. Il serait regrettable que la transformation et l'extension de ces villes ne se fassent pas à la mesure des solutions qu'exige notre époque, en rapport d’un fait nouveau: L'essor considérable de la circulation motorisée. D'où la nécessité de prévoir sans retard, parallèlement à la création de quartiers nouveaux, un réseau de circulation cohérent capable d'assurer les liaisons entre les différentes fonctions de l'habitat définies par la Charte d'Athènes des Cl AM: Habiter, travailler, cultiver le corps et l'esprit.

Ajourner sine die le tracé des grandes artères rend l'établissement de celui-ci de plus en plus difficile, voire impossible, au travers des quartiers même récents.

Dans le cadre des études^ntreprises par les pouvoirs publics à la suite du concours d'idée pour l'amélioration de la circulation entre les deux rives du lac, et en complément des propositions faites à ce sujet par les ateliers de M. Nierle, d'une part, et de MM. Brera, Honegger, Saugey et Wàltenspuhl d’autre part, nous avons développé nos idées dans le projet de synthèse ci-contre présenté dans ces grandes lignes en 1955.Cette étude avait pour corollaire la séparation des trafics principaux: Cheminement des piétons, des quartiers périphériques jusqu'au cœur de la cité, en liaison avec les transports publics. Circulation motorisée lente de desserte occupant l'ancienne voirie, réglée par signalisation optique. Circulation motorisée rapide et à débit continu du trafic de transit, de liaison entre quartiers et entre quartiers suburbains et centre.

Résumé des principales caractéristiques du projet:

Liaisons des autoroutes

Le projet reprend les idées émises dans le rapport de la commission d’étude pour le développement de Genève, il tend à faire converger les routes internationales vers la rad^principale attraction touristique de la ville.Ces routes aménagées en voies à trafic rapide et à débit continu, sans croisement, relient les autoroutes au centre de la ville. D'autre part, l’actualité de la future route du Mont-Blanc nous oblige à voir grand, car on peut facilement imaginer que cette artère apportera un surcroît de trafic, principalement touristique, Genève pouvant être considérée comme une ville d'étape.

Liaisons locales, périphériques et radiales

L’excentricité des nouvelles agglomérations suburbaines exige d’une part des liaisons rapides entre elles et, d'autre part, leur liaison avec le centre commercial. Afin de canaliser la plus grande partie possible de trafic, ceci pour dégager la cité, il est nécessaire de tracer une « ceinture» de circulation rapide sans croisement, la plus proche possible du centre urbain.Ces voies de circulation rapide ne peuvent être créées dans la cité actuelle sans démolir ou bouleverser certains quartiers. Les raccords sans croisement avec les radiales existantes, aménagées en voies prioritaires, exigent de larges espaces. Une telle solution, en revanche, est réalisable à la périphérie de la cité, en réservant ces espaces dans la zone existante des villas (future ceinture verte) avant d’envisager de nouvelles extensions de zones urbaines. Les tracés le long des voies naturelles (Rhône et Arve) offrent des possibilités naturelles de raccordement au centre des affaires.

Raccordement au centre

Ces raccordements exigent en général des ouvrages d'art onéreux. Les travaux en cours dans le centre de Lyon, une des premières villes d’Europe qui a résolu ce problème, donnent une Idée de l’ampleur des dispositions à prendre. A Genève, il a été prévu que les voies de circulation rapide à sens unique, aménagées le long des quais et passant sous les têtes de pont seraient doublées de voies bordières à circulation lente de même sens de circulation, qui assure raient les liaisons par tangence entre les voies à régimes de trafic différents.
Ces lignes de tangence sont suffisantes pour assurer les échanges de circulation lente et rapide aux heures de pointe.

De ce fait, les voies à circulation rapide constitueront de véritables drains qui, en aspirant le trafic interurbain, libéreront le trafic de desserte que le réseau des rues anciennes est seul capable d'assurer. Le sens unique tracé dans le sens des aiguilles d'une montre permet de passer en trafic lent d'une rive à l'autre sans interruption.Remarquons qu'à Genève le choix de cette direction des circulations à sens unique se trouve encore renforcé du fait des sens uniques existants actuellement dans les rues basses d'une part, au boulevard James-Fazy d'autre part. Le sens des circulations sur chaque rive se trouve ainsi équilibré par une grande voie à sens unique de direction contraire. Pour l'aménagement de la nouvelle rade, en amont du nouveau pont, nous avons repris la proposition étudiée en 1912 par H. de Saussure. La nouvelle rade, tracée à l'échelle de l’agglomération future, englobe les grandes réserves de verdure des Parcs de la Grange, des Eaux-Vives et de Monrepos.

Cheminement des piétons

Tous les espaces situés entre les voies à circulation rapide et les rivages du lac et du Rhône sont réservés aux piétons, qui cheminent en sécurité des parcs jusqu’au centre par l’ancien Pont-des-Bergues et la plate-forme de l’Ile libérée du trafic motorisé. Les piétons se rendant sur les quais emprunteront des passages au sommet des têtes de pont; passages aménagés sous les voies bordières et au-dessus des voies rapides passant en trémie sous les têtes de pont.

Trafic lourd

Une grande ceinture liant les différentes zones industrielles aux autoroutes dont les voies de pénétration en ville seront aussi libérées du trafic lourd.

Canal navigable

Le canal navigable prévu à ciel ouvert a été tracé en parallèle du barrage existant formé par les voies ferrées. Le canal coupe la ville dans sa partie actuellement la plus étroite, au travers d’un quartier insalubre. Ce tracé offre en outre l'avantage de faciliter la solution du problème de la gare routière qui pourrait être placée en contact direct avec la gare ferroviaire de Cornavin; les deux rives du canal permettant de résoudre le problème de la liaison sans croisement aux différentes autoroutes.

Extension de la ville

La nouvelle liaison entre les deux rives (nouveau pont) sera d'autant plus nécessaire que l'on peut envisager, sans hésitation, une extension des habitations collectives sur le haut des coteaux riverains de Pregny et de Cologny, en amont de la ville, lieux particulièrement propices pour l'habitat. Les quartiers de villas établis de fraîche date, entourant la cité urbaine actuelle, seraient maintenus comme zone de verdure reliant les grands parcs de la ville: Vus depuis les quais les coteaux riverains se prolongeraient tout autour de la ville en accusant sa topographie caractéristique. Ces quartiers constitueraient tout naturellement des réserves pour des bâtiments d'intérêt public (écoles, hôpitaux, bibliothèques, places de jeux, etc.).Les nouveaux quartiers d'habitations collectives seraient construits au-delà de la ceinture verte, en relation avec l'extension des zones industrielles de la Praille, Chêne-Bourg et Vernier.

Notre étude n'a qu'un caractère schématique. Elle n’en constitue pas moins, nous l’espérons, une contribution aux projets établis par le service d'urbanisme du Département des travaux publics qui doit faire face aux problèmes dont la solution devient de jour en jour plus urgente. Il est clair que l’étude d'un plan directeur définitif de la circulation ne peut être établi que sur la base de recherches analytiques. D'une part, il s’agit de déterminer le débit du trafic existant en effectuant des contrôles chiffrés; d’autre part, il faut estimer le débit futur sur la base d'enquêtes « origines-destinations ».

Ces études statistiques sont actuellement en cours sous la direction du Département des travaux publics, et leur interprétation judicieuse permettra seule de choisir la meilleure solution du problème de la circulation, en harmonie avec les nombreux autres facteurs entrant en ligne de compte dans un urbanisme global.