Avenir de la préfabrication

On sait que la construction de logements économiques occupe la première place au programme actuel d’un grand nombre d'architectes, tant en Suisse que dans les pays voisins. Les services publics s’efforcent de leur côté d’orienter dans cette voie l'activité du bâtiment; le problème est donc d'une façon générale à l'ordre du jour.

Les moyens de parvenir à des constructions économiques sont d'ordres divers: subventions ou participation financière des Services publics, simplification et normalisation des plans de l'architecte, économie des moyens, adaptation de l'architecture aux besoins de certaines couches sociaies qui ne trouvent que très difficilement sur le marché actuel des logements à leur portée. Il semblerait logique d'observer les mêmes tendances dans l’application des moyens d'exécution, en particulier dans l'augmentation du rendement des entreprises et corré-

, lativement dans la diminution du coût çle leurs prestations. Or, c'est dans le domaine du bâtiment que les progrès techniques sont les plus lents, c'est là que les méthodes nouvelles ont le plus de peine à s’imposer, que l'industrialisation rencontre le plus d'obstacles.

Il n'est pas douteux néanmoins que cette industrialisation est un facteur essentiel de l'abaissëment du coût de la construction et, depuis la fin de la dernière guerre, de très nombreuses tentatives ont été faites dans ce sens. En particulier, la pré-fabrication, qui est l'une des formes principales de l’industrialisation dans le bâtiment, est parvenue à se créer une place à côté des disciplines traditionnelles de construction. Industrie du bâtiment, ses progrès ont été lents, ses échecs nombreux, ses réussites rarement spectaculaires.

Actuellement encore, la préfabrication en est à chercher ses voies, et il est difficile de prédire avec certitude dans quels domaines et sous quelles formes elle connaîtra dans l’avenir une réussite totale.

La lenteur de son évolution a des causes très diverses; les énumérer toutes sortirait du cadre de cet exposé et ne ferait que répéter les conclusions d'analyses nombreuses déjà faites sur un sujet qui préoccupe évidemment tous ceux dont l’activité est liée à la construction.

Mais il n'est sans doute pas inutile de retenir l'attention du lecteur sur une cause d'ordre technique, essentielle, qui réside dans la nature même des "matériaux traditionnels utilisés dans la construction.

La liste des matériaux qu’on peut considérer comme matériaux de base n'est pas longue;" les métaux d'une part, fer et aluminium, les matériaux pierreux d'autre part, béton, briques, pierres naturelles ou artificielles.

Matériaux typiquement industriels, les métaux entrent dans une classe particulière de la préfabrication. Utilisés en ossature, en revêtement de façades, ou en cloisonnement d'intérieur, ils ont donné lieu à des réalisations qu'on peut considérer comme des réussites complètes tant du point de vue architectural que du point de vue industriel. Il faut d’ailleurs remarquer que leur transformation ne peut avoir lieu sur le chantier et qu’ils ne peuvent être employés dans la construction que sous forme d'éléments préfabriqués.

Mais en raison d'un coût élevé, l'emploi d’éléments métalliques ne peut être envisagé, tout au moins dans l'état actuel des choses, pour la construction d'habitations économiques. Dans ce domaine, le matériau type reste le matériau pierreux dont on peut dire qu’il est lourd, encombrant et fragile, irrégulier et mal connu dans ses propriétés physiques, difficile à mettre en œuvre, impropre à l'obtention de produits finis de qualité constante, et de dimensions précises.

Les installations industrielles nécessaires à sa transformation sont donc nécessairement des installations lourdes, étendues sur de grandes surfaces, pourvues d'un outillage de manutention développé. Elles exigent une main d'œuvre nombreuse dont le rendement reste bas, en dépit de tous les efforts faits pour l’améliorer. Les caractéristiques des matières premières sont changeantes, elles varient avec le lieu d'origine, avec le temps. Les objetsfinis eux-mêmes nesont pas stables, le retrait modifie leurs dimensions, les transformations internes leur aspect. Le stockage, le transport à pied d'œuvre et la mise en place des éléments terminés posent des problèmes difficiles à résoudre dans des conditions économiques. A lire cette énumération, il semble qu'on exclue du domaine de la préfabrication chacune des conditions qui ont permis à l'industrie de connaître dans d'autres domaines des réussites éclatantes et que le bilan final soit obligatoirement négatif.

En vérité, les résultats obtenus au cours de ces dernières années dans l'industrie de la préfabrication sont modestes. Ils sont souvent discutables et en tout cas très discutés. Mais il est impossible d'admettre que la construction, qui entre pour une part considérable dans le bilan économique de chaque pays, refuse l'industrialisation et soit condamnée définitivement à l’artisanat. En raison de l'existence de programmes de construction, caractérisés par leur ampleur, l'urgence de leur réalisation, et la modicité obligée de leur coût, le perfectionnement et la généralisation des méthodes de préfabrication apparaissent comme une nécessité. On ne peut attendre, en effet, des méthodes traditionnelles la satisfaction des besoins existants. L'entreprise du bâtiment classique manque de maind'œuvre convenable, manque de temps.

Dans l’état actuel des choses, elle ne peut abaisser le prix de ses prestations.

Il faut donc trouver la solution ailleurs que sur le chantier; c'est à l’usine qu’elle se trouve.

Quelles sont donc les perspectives de perfectionnement des techniques de la préfabrication ? Il ne semble pas qu'on puisse éviter la nécessité d'installations lourdes. Au contraire, l'avenir est sans doute dans la mise en œuvre d'éléments • de grandes dimensions. On assiste actuellement à une évolution dans ce sens, non seulement en ce qui concerne la production d’éléments en béton armé, mais encore dans le domaine de la terre cuite. De nombreux essais sont actuellement en cours pour la mise au point d'éléments de murs et de planchers de grande dimension en briques assemblées à l'usine par précontrainte. Les premières réalisations de cet ordre sont déjà anciennes et, sous la forme de poutrelles de planchers précontraintes, sont connues des utilisateurs. Mais la tendance actuelle semble être au panneau de dimensions supérieures permettant de réaliser une économie de main d'œuvre sur le chantier, sans toutefois atteindre des poids prohibitifs.

Dans le domaine du béton armé, les réalisations sont encore plus anciennes, et des normes, en Allemagne en particulier, tentent de standardiser les préfabrications. Avec un peu de recul, on assiste, à partir du plot de ciment, à une évolution en direction de l’élément lourd, la limite étant atteinte avec des cellules d'habitation monolithes, chaque cellule ayant les dimensions d'une pièce, un allègement étant obtenu par l'emploi de béton léger à base de ponce naturelle ou de laitiers granulés et expansés. Des réalisations de ce type ont eu lieu dans le nord-est de la France en particulier, • mais il est bon de préciser qu’elles ont eu lieu dans le cadre de la construction de cités industrielles d'une ampleur exceptionnelle où la répétition d'un grand nombre d’exemplaires identiques est possible, et où de plus, les industries minières et sidérurgiques existantes imposent l'adoption de procédés de construction dans lesquelles elles voient un débouché intéressant pour leurs sousproduits.

Par ailleurs, out peut s'attendre à une évolution dans la structure de l'entreprise de construction traditionnelle, évolution dans le sens de la concentration des moyens. Comme en bien d’autres domaines, on peut trouver dans l'organisation actuelle de la construction de caractère populaire aux U.S.A., l'image de l'organisation future de celle-ci en Europe; dans la règle, les programmes importants sont réalisés par de puissants organismes groupant le maître de l’œuvre, les architectes, les ingénieurs et les maîtres d'état. Une planification poussée permet une augmentation du rendement aux divers échelons de l’exécution et la concentration des moyens financiers et techniques laisse envisager l'emploi d'éléments préfabriqués dont le poids et l’encombrement sont secondaires, mais dont la standardisation est par contre rendue possible en raison de l'ampleur des programmes.

Une telle organisation n'est pas actuellement à notre échelle, nous n’y parviendrons que lentement, sous la pression des nécessités économiques et sociales.

Il est même prévisible que des pays sousdéveloppés, où tout est à faire à partir de rien, où ne préexiste aucune structure professionnelle dans le domaine de la construction, y parviendront avant nous.

C'est ainsi que la mise en exploitation de richesses nouvellement découvertes au Sahara où la nécessité urgente d’améliorer les conditions de vie, et en particulier d’habitat, de populations entières au Moyen-Orient, conduit les organismes responsables non seulement à y créer de toutes pièces une industrie du bâtiment oganisée sur la base des expériences les plus récentes, mais encore à tirer parti des matériaux disponibles sur place. Dans ces pays défavorisés, la création et l'exploitation d'usines aussi évoluées qu'une cimenterie ou une briqueterie modernes ne peuvent être envisagées comme première étape de la reconstruction. Le temps presse, les crédits disponibles suffisent à peine aux réalisations ; par contre, des installations indigènes telles que des fours à chaux et à plâtre préexistent et alimentent depuis longtemps l’artisanat local. C’est la raison pour laquelle, au cours de ces dernières années, des recherches systématiques ont eu lieu en Europe dans le but de reprendre de fond en comble l'étude de matériaux pauvres, supplantés depuis longtemps sous nos latitudes par les matériaux modernes, tenus à l'écart des perfectionnements industriels et des normalisations officielles. Les premiers résultats de ces recherches conduisent à des conclusions inattendues. C'est ainsi que la chauxtraitée convenablement permet d'obtenir industriellement de véritables calcaires reconstitués qui présentent toutes les qualités de résistance, d'imperméabilité et de beauté des calcaires naturels, dans des conditions économiques sans rapport avec celles dans lesquelles nous utilisons les pierres naturelles que nous tirons de nos carrières. De même, le plâtre, matériau réputé tendre et sans résistance, utilisé dans nos pays pour la confection d’enduits et d'éléments de décoration, peut être traité industriellement par des méthodes nouvelles et fournir des matériaux de haute qualité dont les caractéristiques mécaniques égalent et dépassent celles des meilleurs bétons de ciment dans des conditions d'homogénéité et de maniabilité inconnues pour ces derniers. Chacune de ces découvertes contient en puissance la solution à des problèmes depuis longtemps posés chez nous et restés jusqu’ici sans réponse satisfaisante. C'est le cas, par exemple, du problème des garnissages intérieurs de nos habitations, cloisons et plafonds, auquel la préfabrication n'avait apporté jusqu’ici aucune solution viable.

Des réalisations récentes et qui n'en sont encore qu'à leur début, permettent d’espérer qu’une solution complète est en vue dans ce domaine.

En conclusion, la préfabrication n’est pas une démarche artificielle de techniciens en mal de nouveauté. Elle n'est qu'une manifestation encore timide d'une industrialisation qui, dans le bâtiment, tarde et cherche encore ses voies, mais dont l'avènement est inéluctable. Dans un avenir plus ou moins proche, la construction alignera ses méthodes sur celles des industries plus évoluées; la préfabrication s’inscrira alors tout naturellement parmi ces méthodes.

G. Berthier ingénieur SIA