Hommage à Henry van de Velde, 1863-1957
Henry van de Velde, dont l'œuvre a mis son signe sur l'art moderne, naissait au moment où un autre grand esprit, Charles Baudelaire, définissait dans les « Curiosités esthétiques » les points essentiels des grands mouvements des idées et des œuvres qui, allant d'Eugène Delacroix, ont déferlé de nos jours, jusqu’au cubisme et au surréalisme.
Dans notre temps, où les artistes, ébranlés dans leur pensée par trop d’informations sensationnelles, par trop d'appels à la notoriété, ne conçoivent plus en profondeur et se bornent à se référer, quand ce n'est à des notions techniques ou fonctionnelles à des formules économiques ou sociales dont même la politique a, depuis longtemps, illustré l’inanité, des hommes aux connaissances vastes et éprouvées font presque figure de fossile, alors que leur action, par une élaboration lente et sûre, s’impose non pas à la mode, mais au monde; et celle de van de Velde, durant presque un siècle entier, était celle d’un pionnier, d'un précurseur. En réalité, telle est la solidité des propos que van de Velde a concrétisés il y a cinquante ans dans ses « Formules d'une esthétique moderne » qu’il a suffi, un jour, au cours d'une conférence, que j'en cite quelques passages, pour que les applaudissements crépitent dans un auditoire jeune qui pensait entendre les énoncés de Le Corbusier, coryphée de la génération actuelle. Ces formules apparaissent aujourd'hui, pour qui veut se donner la peine de les lire, annonciatrices des temps futurs parce que, au lieu de tenter de satisfaire les nécessités de l'architecture actuelle qui s'enlise jusqu'à satiété dans des effets techniques, il a toujours décelé les élans psychiques, les tensions intérieures et les vertus essentielles du créateur dont l’expression doit concourir à l'éclosion d'une œuvre d’art ou d'un « style », ainsi qu'il en a recherché d'en définir l’essence après avoir, il est vrai, longtemps cru qu'il était possible de provoquer un « style nouveau » (dont témoignent certaines de ses propres œuvres) jusqu'au moment où il parvint à proclamer l'exigence de créations possédant les qualités de durée et qu'il appela les œuvres de style éternel.
C'est en s'attachant à la recherche de la pérennité des œuvres architecturales qu'il a marqué de son sceau le problème de la création, objective, désintéressée et élevée.
Aussi est-ce bien grâce à la vaste action de van de Velde que, à partir de l'introduction dans l’architecture des techniques nouvelles du fer et du béton armé, l'abandon définitif des styles historiques put s’accomplir, non sans luttes, et que la voie de l'architecture nouvelle fut libérée.
L'école des arts et métiers qu’il ouvrit, en 1906, à Weimar, après que l'Allemagne eut accueilli avec enthousiasme ce peintre belge devenu décorateur et architecte, créateur de mobiliers, d'objets usuels, d'intérieurs et de maisons, inaugura la troisième période glorieuse de cette ville qu'avaient précédemment illustrée Goethe et, plus tard, Liszt; cette école fut à l'origine du célèbre Bauhaus de réputation mondiale où œuvra, dès 1918, cet autre génie authentique de l’architecture, Walter Gropius, de vingt ans plus jeune que van de Velde.
Bien que l'esprit investigateur du maître s'attarda à sonder les profondeurs de la création artistique, il ne quitta pas le contact avec les réalités de la vie et les merveilles du monde. Son éloge de la beauté des choses visibles, l'exaltant poème « Amo », n'a d'égal que les « Louanges » de saint François d'Assise : J'aime les fleurs qui sont les yeux de la Terre J’aime le corps humain et ceux des animaux J'aime ces coquillages coniques et minuscules ... les meubles qui ont sauvegardé leur signification et leur pureté,...
J'aime les verres, les vases en grès...
... les immémoriaux et invariables outils...
J'aime toute la série des instruments à corde,...
J'aime les machines qui sont comme des créatures à l'état d’incarnation supérieure,...
J'aime tous les véhicules, les autos et les prodigieux flyers (avions)...
Van de Velde ayant achevé en Suisse la dernière période de sa longue vie, un hommage sera apporté prochainement par une grande exposition rétrospective à l'Ecole des Arts et Métiers de Zurich où apparaîtront la signification de son œuvre, l'ampleur de son enseignement et la qualité de ses créations à la fois innovatrices et durables.
H.-R. Von der Mühll