L’architecture d’Alfred Roth
Ilya trente ans déjà qu'Alfred Roth s’est tourné vers la peinture non figurative et l’architecture rationnelle. Depuis, il a suivi une ligne d'évolution logique et conséquente, en évitant le maniérisme dans lequel s'enlise fréquemment l'architecture suisse alémanique. Tout d'abord, il soumit le champ de sa vision picturale aux strictes et géométriques ordonnances de Piet Mondrian, puis il étudia l’art de construire sous l'enseignement de Karl Moser, premier pionnier de l'architecture moderne en Suisse. Après un stage dans l’atelier de son maître (1926), il entra dans celui de Le Corbusier (19271928), pour le compte duquel il dirigea le chantier de construction de deux maisons expérimentales à l’Exposition internationale d'Architecture moderne de Stuttgart. En 1930, il réalisa un pavillon d’été sur le littoral occidental de la Suède; de 1935 à 1939, il travailla en collaboration avec son cousin, l'architecte Emil Roth; en 1935-1936, en association avec Marcel Breuer et Emil Roth, il éleva à Zurich le remarquable groupe d’immeubles locatifs «Doldertal»; récemment, en 1951-1952, avec Hellmuth, Yamasaki et Leiweber, il bâtit une école primaire et une église à Berkeley (Saint-Louis, U.S.A.).
Si Roth, à juste titre, ne renonça jamais aux schémas linéaires et rigides, il tendit cependant vers un ordre différent et chaque fois plus complexe. C'est pourquoi son œuvre ne résulte pas d'un déterminisme absolu, mais d'une gamme de structures obéissant à des règles d'une extrême souplesse. S’il est l'architecte de la modération, des thèmes pondérés et des solutions prudentes, les articulations exigeantes de ses plans restent toutefois sensibles aux partis fluctuants d'une architecture qui se veut avant tout limpide et reposante.
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Observateur attentif de tous les mouvements qui ont donné à l'architecture son importance actuelle, Alfred Roth a souvent souligné ce qu'ils avaient de plus valable et mis en évidence le rapport nécessaire qui doit exister entre la taille humaine et l’édifice, entre la fonction et la forme, entre les caractères impératifs sociaux et les exigeances de la plastique, entre les buts de la technique et le mandat spirituel de l'œuvre. Avec la villa Simonsson à Göteborg, sur la mer Baltique (1930), par exemple, il fait non seulement entrer le néo-plasticisme dans un ordre architectural naturel, mais il construit la maison suédoise la plus moderne de l’époque et incorpore la peinture dans le bâtiment comme un élément chromatique indispensable à la composition générale de l'ouvrage et non comme un adjuvant décoratif ou un détail auxiliaire. Par contre, dans la résidence de Madame Hélène de Mandrot (la généreuse inspiratrice des Congrès internationaux d’Architecture moderne), au Zürichberg (1943-1944), qu'il réalise en trois mois et qu'il habite maintenant, Roth applique pour la première fois des lois nouvelles de l'architecture organique permettant de soustraire l'édifice aux radiations telluriques dont l’influence est nocive aux hommes, aux animaux et aux plantes.
Alfred Roth est l’auteur d'une phrase désormais célèbre qu'il a prononcée au Congrès international sur les proportions en architecture et dans les arts plastiques, qui eut lieu à la IXe Triennale de Milan, en 1951. Dans une belle envolée oratoire, il a déclaré que «la Beauté ne se construit pas — elle se crée !» Nous ne voulons pas trop chicaner à ce propos, mais cette affirmation de Roth, difficile à comprendre pour nous autres latins,
n'a pas été énoncée aussi clairement que son architecture. Nous pensons cependant qu’au delà de ce schématisme primaire et peu cartésien, Roth a voulu dire (et nous abondons alors dans ce sens) qu'on doit créer la beauté sous l'effet d'une invention et non la construire suivant une méthode exclusivement mathématique ou un type déjà consacré, modèle qui peut fort bien conserver historiquement toute sa valeur mais qui n'est plus admissible aujourd'hui.
Spécialiste de la construction en bois, Roth a toutefois été tenté par toutes les techniques pouvant participer à la rénovation des principes de l'architecture et la rendre plus apte à résoudre les problèmes de notre temps. Dans ses conceptions de la construction et de la mission dévolue à l'architecte dans notre société, Alfred Roth n'est nullement un conformiste valétudinaire, mais un animateur fervent et un porte-parole d'une grande correction. Ses idées, qu’une noblesse d’esprit illumine, sont celles d'un chercheur savant et désintéressé qui sait affronter les thèses les plus variées. Son action exprime bien l'état où se trouvent les meilleurs créateurs de notre siècle, en ce moment où les novateurs authentiques poursuivent la délivrance du monde de l’architecture des préjugés et de l'obscurantisme qui entravent encore son plein-épanouissement.
Alberto Sartoris
A droite: Usine à Wangen a/A. (Suisse), 1928. Façade principale. En bas: maison de vacances au bord de la mer (près Gothembourg, Suède), 1929-1930. Vue frontale
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Alfred Roth
En haut: Projet d'une grande villa sur les bords du Nil, à Gizeh (Egypte), 1939. Vue Ouest de la maquette. A gauche : groupe d'immeubles locatifs « Doldertal », à Zurich (Suisse), 1935-1936. Avec la collaboration de Marcel Breuer et Emile Roth. Vue intérieure de l'atelier d’Alfred Roth, (façade: voir page 73)
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Maison de l’architecte au Zurichberg (Zurich, Suisse), 1943-1944.
De haut en bas: façade Sud ; détail de l'entrée ; vue Intérieure du studio
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Alfred Roth
Ecole primaire à Berkeley, Saint-Louis (Missouri, U.S.A.), 1951-1952. Avec la collaboration de Hellmuth, Yamasaki et Leinweber. De haut en bas: façade Nord; entrée principale; façade Ouest; façade Est
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Villa à Küsnacht (Zurich, Suisse), 1955-1956. Façade Ouest.
Détail de la terrasse couverte et vue intérieure du living
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Alfred Roth
En haut: projet pour deux grandes villas à Bruxelles (Belgique), 1956. Maquette, vue prise du Sud. A droite: section suisse à la XI' Triennale de Milan (Italie), 1957. Détail intérieur; à droite de l’illustration, peinture murale de R. P.
Lohse. En bas: vue d’ensemble prise de l’entrée