Charles-Oscar Chollet au pied du mur

Je ne connais guère de peintre plus «mural» que Charles-O. Chollet. Mural, il l’est jusqu’au bout des ongles et cela importune quelquefois certains décorateurs camphrés redoutablement badigeonneurs.

Chollet, mis au pied du mur est capable de résoudre les problèmes les plus compliqués. Ses réalisations sont des modèles du genre. S’adaptant à la géographie du lieu, œuvrant selon des données précises, calculant ses risques et mesurant ses audaces, Chollet réalise d'une manière irréprochable l’intégration de son art dans l'architecture. Et Dieu sait si cette fameuse «intégration» pose de délicats problèmes. La peinture murale n'a plus rien à voir avec la peinture de chevalet. L'artiste « mural » doit éliminer définitivement tout effet pictural de sa composition qui, tout en étant fonctionnelle, doit être comme un beau jardin: «Vivre dans nos maisons, dans nos bureaux, dans nos usines, écrit Chollet, ce devrait être vivre dans des jardins... » L'art «monumental» doit être statique dans une certaine mesure: de trop grands bouleversements mettraient en danger le mur et détruiraient l’architecture. Il doit être tout à la fois, comme Léger l’a écrit, mesure et équilibre, invention et rythme. Trop souvent l’art mural tourne, chez nous et ailleurs, en un monstrueux colin-maillard. Et l’artiste, sans contact avec l'architecture, agit en aveugle. Il se contente alors de coller une «image» contre un « emplacement réservé à la décoration ». Dès lors nous assistons aux pires catastrophes murales. Il y a aussi autre chose. Une peinture murale comme une « mise en couleurs » doivent être irréprochablement exécutées. Et cela n'est pas donné à tout le monde. Il ne suffit pas d'avoir réfléchi sur la quantité, la qualité, la densité, le poids d'une couleur ou d'une autre; sur les différents mouvements qui animent les couleurs; sur leurs pouvoirs physiques et spirituels; sur les différents axes de gravité des formes, etc., et cette «mathématique du peintre», peu d'artistes la possèdent autant que Chollet.

Mais il faut encore savoir réaliser son œuvre, savoir l'exécuter sans bavure et sans faux effets picturaux.

Dans ce domaine — combien délicat — Chollet se joue de toutes les difficultés puisque chacune de ses compositions murales est une perfection en son genre.

André Kuenzi

Charles-Oscar Chollet nous déclare :

Nous avons été ausculter sur place et en compagnie de l'artiste quelques-unes de ses peintures murales — et particulièrement admirer les « muraux » du collège d'Ecublens et des maisons locatives de Bellevaux-sur-Lausanne. Devant ces œuvres claires et si savamment articulées, je pensais à Fernand Léger qui aimait à dire: «Si, dans votre usine, on vous mettait de belles couleurs fraîches, si on foutait en l’air toute cette grisaille et cette moisissure, si on vous posait simplement des touches de couleurs, comme des fleurs, hein! ça ne ferait-il pas un splendide bouquet? La couleur est si tonique que souvent elle a l’air de vouloir éloigner la maladie et le malheur...» Charles-Oscar Chollet, lui aussi, nous a parlé de fleurs: «Vivre dans nos maisons, dans nos usines, ce devrait être vivre dans des jardins... » — Parlez-nous de la peinture murale.

— Peintures murales et mises en couleurs contribuent à l’aspect et au confort — sans oublier la connaissance. Ces deux pratiques ne sont pas à la portée immédiate des peintres de chevalet.

— Le peintre mural doit savoir intégrer son art dans une architecture.

— Il doit se conformer aux exigences de la peinture tout court et aux servitudes inhérentes à la localisation, la fonction, la dimension de l'œuvre.

— Le peintre, peut-il se contenter d'agrandir une maquette ?

— Non. Il est faux de croire possible l'agrandissement pur et simple d'une maquette comme cela

se fait si souvent, trop souvent. Il n’y a, en effet, que peu de rapports d'identité entre ces deux aspects.

Face au mur, l’artiste doit donc inventer, s'adapter au climat du lieu.

— Pourquoi « œuvrez »-vous au mat? Quel rôle joue cette technique particulière ?

— Le peintre travaillant à l’huile et vernissant ses toiles a quelque peine à œuvrer au mat: le brillant permet à la lumière de pénétrer, de s’amuser, de fondre des passages, des tons un peu scabreux.

Le mat, en revanche, diffuse la lumière et les teintes doivent être choisies d'une manière plus rigoureuse et l'exécution doit être beaucoup plus soignée que dans une peinture de petit format plus en rapport avec la dimension du geste...

Et Chollet nous parle ensuite du pouvoir et de la signification des couleurs (en passant par les courts de tennis rouges pour arriver aux volets verts de nos anciennes demeures: «Vert, durabilité. C'est la couleur qui s'adapte le mieux aux intempéries. — Rouge: sentiment de force, de virilité. Le rouge est lourd, alors que le jaune s’envole.») — Les fameuses « mises en couleurs » des immeubles locatifs, avouez-le, ne sont pas toujours des plus réussies... Ainsi ces volets jaune canari contre le gris de cette façade...

— C’est ridicule, ces volets qui s'envolent ! Là encore l’architecte devrait demander au peintre des conseils. La plupart des immeubles « mis en couleurs » sont de grinçantes pièces-montées.

— Quel est le rôle que l’artiste doit jouer dans la société ?

— Son rôle est d'informer, de communiquer et de concrétiser la présence de l'homme dans la nature, dans l'espace et dans le temps.

— Quel est le dessein que poursuit la peinture concrète, non figurative ?

— La peinture abstraite-concrète-non figurative se réfère à la notion de fonction, notion sans visage, mais combien dynamique ! Nous ne sommes qu'au début de son règne, mais déjà des bouleversements spectaculaires apparaissent dans tous les domaines. L’art n’est point passif, à la remorque de la science. Il joue un rôle primordial d'informateur.

Ses communications pénètrent les couches de la population transmettant à tous des informations sur la connaissance, la culture, la volonté d’évolution, et cela dans un langage universel. L'art mural permet enfin à l'artiste de descendre dans la rue... » Et Chollet ajoute très judicieusement: — Ses moyens lui permettent encore d’apporter la gaîté, la lumière, la douceur, la fraîcheur — qui font notre plaisir.

Ch.-O. Chollet