Cinéma «Le Paris», Genève | Marc-J. Saugey

L'histoire du cinéma est trop récente pour que chacun ne se souvienne pas de ses débuts.

Aux balbutiements des premières images a succédé la période triomphante du muet, puis la consécration du sonore.

Aujourd'hui, notre génération assiste à un nouveau départ à travers de multiples expériences. Le cinémascope à peine né semble à brève échéance devoir être remplacé par le « Vista », écran géant; le cinérama apportera des solutions nouvelles aux problèmes du relief; la polyvision prochaine ouvrira une fenêtre sur des possibilités infinies et combien vivantes.

L’écran immense (il en est déjà de 25 x 10 m.), aux visions simultanées, est un des atouts dans la lutte contre la télévision et le théâtre.

La salle, qui depuis longtemps n’avait pas eu ses lettres de noblesse, avait, ces dernières années trouvé un volume stable; compromis entre le principe wagon et celui du secteur de cercle.

Mais aujourd’hui comment concevoir encore la salle conventionnelle avec ses premiers rangs de spectateurs à quelques mètres d'un écran se développant sur un arc de 10 à 25 m. ?

La suppression des 10 à 15 premiers rangs s’impose inéluctablement si l’on ne veut pas confondre cinéma et match de tennis.

Cette condition draconienne permettra à l’architecte de dégager enfin le concept juste de la salle de vision opposée à la salle de spectacle.

Dans cette dernière, le public doit être en contact avec les acteurs, la scène; il est un élément actif.

Dans la salle de cinéma, au contraire, il constitue un facteur passif, car nous sommes en pleine fiction. Quelle que soit plus tard la qualité d’un relief, le public n’aura jamais prise sur le jeu et les acteurs. C’est donc un peu le mirage du désert, l'évasion, le rêve.

La salle nouvelle de l’architecte devra en être l'illustration par l'application de ces principes: la concentration du public tant en hauteur qu'en largeur dans des espaces limités par les angles satisfaisants, et à distance appropriée, et devant lui l'image panoramique surgissant au-dessus d’un horizon noir, en forme de cyclorama, sans limite latérale; le toit de la salle formant un ciel en même temps qu’une frontière au rêve.

La salle du nouveau cinéma « Le Paris » a été conçue selon ces principes.

Disposant d'une surface très restreinte en regard du nombre de places demandé par le programme, l'architecte, pour laisser toute l’ampleur voulue à la partie réservée aux spectateurs et à la vision, a remplacé le complexe halls et escaliers, par de grandes rampes douces qui remplissent le double rôle d’accès et de foyer.

Trois mezzanines permettent de trouver les quelques 900 places. Du hall d’entrée, partent ainsi trois séries de rampes de couleurs différentes, appartenant chacune à l’un des mezzanines. Dès le début de ces rampes, le spectateur commencera déjà à appartenir au domaine du cinéma, donc du rêve, en circulant sur ces surfaces suspendues dans le vide.

Trois immenses surfaces en forme d’arcs, d’une portée de plus de 20 m. et composées de grandes poutres ceintrées supportées sur un treillage métallique à une extrémité et par un seul point à l'autre, constituent les emplacements des spectateurs, leur donnant la sensation de se trouver dans l’espace, donc dans la fiction.

Le recul nécessité par la projection moderne a permis de trouver un grand proscénium partant du sol et montant jusqu’à une ligne d'horizon qui constituera le bas de l’image. L’espace ainsi trouvé a permis de placer tout le système de chauffage climatisation et réfrigération de la salle.

Partant au-dessus du troisième mezzanine, la toiture, puis le plafond suspendu, en forme de coque, descendent vers la ligne supérieure de l’image. La fenêtre de la vision est ainsi constituée.

Plus de rideaux d'écran ou d’encadrements avec les décorations que de telles suggestions comportaient; l'image surgira comme le mirage, nette, conception absolument conforme aux récentes découvertes, par opposition à l'ancienne qui relevait, comme la salle du reste, de l’appareil photographique. La forme de la salle permet d’obtenir des effets phoniques de très grande qualité, de même que les matériaux employés pour arriver à ce but.

Au plafond réfléchissant, s'opposent des murs aux matières légèrement rugueuses absorbantes, un mur de fond de salle en matériau isolant perforé recouvert de simili-cuir et des sols recouverts de tapis.

La structure des mezzanines avec celle des rampes ont été réalisées apparentes, afin que l’architecture intérieure seule surgisse et remplace ce palliatif qui est la décoration. Le spectateur est ainsi placé dans des conditions particulièrement favorables phoniques et de vision.

Les nouveaux systèmes de projection nécessitent des angles de projection très faibles par rapport à l'horizontale, pour éviter les déformations d'images, aussi la cabine de projection a été placée à l’endroit idéal et suspendue au mezzanine intermédiaire.

Ci-dessous, à droite : coupe de présentation.

A gauche: plan général. Photo page de droite: vue plongeante avec vision des 3 mezzanines et de l’unique poteau supportant la moitié des galeries

Les installations de projection et le système sonore ont été particulièrement étudiés et mis au point par un grand spécialiste, la maison Omnilux de Lausanne. Les grandes zones de hauts-parleurs multiples situés derrière l’écran et pouvant fonctionner séparément, sont somplétées par de nombreux hauts-parleurs d'ambiance répartis sur les trois côtés de la salle. Le spectateur est ainsi plongé dans une sorte de bain sonore. Les appareils de projection ont été également étudiés et mis au point par cette maison, pour obtenir une grande qualité d’image.

L’éclairage général de la salle est concentré sur deux grandes bandes lumineuses en plafond, complété par des éclairages d’ambiance, le tout au néon.

Seules les rampes-foyers sont éclairées par les systèmes américains de spotlight à la lumière incandescente, plus particulièrement appréciés des dames.

Le cache-écran est formé par deux grandes parois mobiles coulissant de part et d'autre des sections d'images prévues, allant du film classique, carré, au todd-ao, en passant par le cinémascope ou le panoramique.

Toutes les couleurs ont été déterminées en fonction du but recherché, et vont du noir au bleu clair, avec comme seule tache de couleur vive la grande paroi orange, côtoyant les rampes-foyers.

La salle a été construite en environ une année, sous la direction d'un chef des travaux du bureau d’architecture.

Une immense cuve complètement étanche, descendant à près de 9 m. en-dessous du niveau de la rue, a dû être exécutée tout d'abord. C’est à l’intérieur de cette coque que la salle proprement dite a été édifiée.

Toutes les parties en-dessous des rues sont construites en béton armé. Une immense poutre portée sur deux piliers supporte l’immeuble locatif de la place du Cirque, sous lequel la salle vient s'insérer. Toute la structure, les rampes et les galeries ont été exécutées en charpente métallique.

La conception des galeries et ensuite les calculs statiques, établis par le Bureau d'ingénieurs Froidevaux & Weber, ainsi que l'exécution sous leur surveillance, constituent une particulière réussite, étant donné la présence de deux seuls points d’appui: un tympan métallique d’un côté des mezzanines et à plus de 20 m. un seul point d’appui triangulaire de l’autre côté.

Les rampes également ont posé de nombreux problèmes et ont été résolues avec la même hardiesse.

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