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L'urbanisme passionne actuellement le public. Partout, dans le monde, des tentatives plus ou moins heureuses sont faites. Des réalisations voient le jour. L'Interbau, puis l'Exposition de Bruxelles, ont déplacé les foules. Bientôt à Lausanne une grande manifestation, l'Exposition Nationale 1964, présentera la Suisse aux autres pays. Une fois de plus les urbanistes et les architectes seront mis à contribution. Malheureusement, une extrême confusion règne encore dans les esprits au sujet de ces problèmes.

Il est heureux, certes, de voir l'intérêt du public s’éveiller. Il est, en revanche, regrettable de constater que ce public prend souvent une position contraire aux intérêts mêmes qu'il aimerait défendre, par ignorance des problèmes fondamentaux de l'urbanisme et de l’architecture. La population se désole de la disparition d’une masure, peut-être pittoresque en soi mais sans aucune valeur esthétique, et laisse sans sourcillier démolir des constructions anciennes de style, caractéristiques d'une belle architecture. Fausse sentimentalité, ignorance des styles de l'architecture, et surtout, chose inconcevable au siècle de l'atome et de la conquête de l'espace, confusion entre l'architecture moderne, donc actuelle, et la construction moderniste qui n'a de moderne que sa date de construction. Les Autorités également, par souci de bien faire, et écœurées à juste titre de certaines constructions faussement modernes, où la recherche d’un effet gratuit supplante la recherche d'une architecture, refusent le permis de construction à des projets équilibrés et laissent foisonner les villas «schwitzerli » où le «fauxvieux » triomphe, ainsi que les immeubles de caractère pseudo-moderne, dont la conception est anti-sociale. Il est vrai, que pour certaines « boîtes à loyer », l’intérêt financier entre trop souvent seul en jeu ! Ce qui est d'autant plus regrettable lorsque l'on sait qu'une bonne architecture étudiée dans son complexe urbanistique paie, paie mieux, et surtout paie plus longtemps. Quand donc les financiers comprendront-ils où se trouve leur intérêt?

L’architecte, on ne le répétera jamais assez, a une mission à remplir. Plus peut-être que dans aucun autre métier, le travail de l’urbaniste et de l’architecte a des répercussions lointaines.

Que l'on songe aux conséquences, sur le plan humain et social, qu'un logement mal compris peut avoir sur ses habitants! Un immeuble de 100 appartements compte 100 familles, près de 400 personnes. Si cet immeuble est mal conçu, mal construit, mal situé, 400 personnes sont mal logées et manquent d’une des choses les plus indispensables à la vie de l’homme: un foyer. Des milliers de gens n'ont qu'une idée, dès que leurs moyens le leur permettent, construire une maison bien à eux. Qu'importe si elle est banale, si elle n’est entourée que d'un tout petit jardin, si elle est située parmi d'autres constructions de tous styles : ces milliers de gens se croient enfin chez eux.

Cette situation provient incontestablement de la mauvaise conception urbanistique et architectonique de la plupart des habitations collectives. Certains architectes et financiers sont donc coupables. Deux fois coupables; la première parce qu’ils ont mal construit, la seconde parce qu'ils sont responsables de la prolifération des trop fameuses « zones de villas » qui augmentent stupidement l'étendue d’une cité au détriment des vraies zones de verdure. Et que l'on ne vienne pas nous dire qu'une zone de villas entourées de jardins potagers est un espace vert !

Il n'est plus possible de continuer à nous leurrer et surtout de continuer à tromper le public. Dans vingt ans, dans dix ans même, il sera peut-être trop tard. Déjà, pour ne citer qu'un exemple, les espaces libres au bord du lac Léman se raréfient d’une façon tragique. Entre Villeneuve et Lausanne, tout le terrain est pratiquement morcelé et recouvert de petites villas dont seules quelques-unes peuvent être considérées comme valables. Les villages sont souvent défigurés par des bâtisses ne respectant ni le paysage ni l'architecture.

C'est dans un esprit résolument moderne qu'une solution peut et doit être trouvée, car moderne veut dire urbanisme d'abord, donc organisation logique des villes et des quartiers dans le paysage, car moderne veut aussi dire architecture, donc organisation logique et fonctionnelle des constructions dans les quartiers et dans les villes.

Il semble ahurissant qu'il soit encore nécessaire de prendre aujourd’hui la défense de la bonne architecture. Mais l’architecture banale, en retard sur la civilisation, fait encore trop d’adeptes. Il y a bientôt cinquante ans pourtant que F. L. Wright s'écriait déjà en jugeant le nouveau palais de justice de Milwaukee: « Il ne pourra que proclamer à la postérité que Milwaukee n'était ni érudit ni gentleman. Point érudit, parce que Milwaukee était ignorant du courant de la pensée d'avant-garde répandu dans le monde entier à l'époque. Point gentleman, parce qu’il n'a pas tenu compte de son devoir envers lui-même. » Les conseils et l'aide précieuse que nous ont apportés notre comité de rédaction et de patronage ainsi que le travail fourni par nos nombreux collaborateurs nous ont permis de réaliser ce numéro. Ensemble nous avons cherché à présenter, tant par les articles que par les illustrations, des idées, des projets et des constructions, dûment étudiés, et pouvant, nous l'espérons, amener un peu de clarté à tous ceux qui redoutent encore une prise de position pourtant parfaitement fondée.

Anthony krafft