Emilio Pettoruti, peintre

Né à La Plata (Argentine) en 1895, de parents italiens.

De 1913 à 1923, il travaille à Florence, Rome, Milan, Vienne et Berlin. Il est à Paris en 1924, puis il retourne en Argentine où il va rester vingt-six ans. C'est à Florence qu’il doit sa formation artistique. En 1914 et en 1916 il y présente ses premières compositions abstraites. En Italie, il a participé aux manifestations du mouvement futuriste. C’est par lui que l’art moderne pénètre en Amérique Latine. Nommé en 1930 directeur des Musées des Beaux-Arts de La Plata. En 1947, Perón, pour des raisons politiques, le révoque de son poste. Il revient en Europe en 1951 (Milan, Rome et Florence) et s'installe définitivement à Paris en 1953.

Membre de l'Académie Argentine et Prix Guggenheim des Amériques.

Expositions à Florence, Milan, Berlin, Buenos-Ayres, La Plata, Cordova, Santiago del Estero, Rome, Lausanne, Saint-Etienne, Paris, San-Francisco, New York et dans les principaux centres des Etats-Unis du Brésil, du Chili et de l'Uruguay.

Bien qu’il se soit déjà passé un demi-siècle depuis les premières manifestations de l'esprit nouveau et que l'art moderne ait eu gain de cause autour de 1945, beaucoup ignorent encore ce qui en constitue la substance essentielle. Une tenace méconnaissance des réalités de l'histoire de l'art menace de maintenir dans l’obscurité l’apport décisif de quelques-uns des précurseurs de la peinture absolue. Par ailleurs, on se complaît en général à attribuer une origine exclusivement nordique à ce qui a également sanctionné la force de l'ordre méditerranéen: l'invention de l'esthétique abstraite.

Certes, on ne peut contraindre personne à tirer de l’oubli ce que le temps mettra mieux que quiconque en évidence; toutefois, il est permis de faire remarquer qu'en négligeant la recherche de la vérité on renonce obligatoirement aux bénéfices de l’exactitude et aux bienfaits de la lumière. Aujourd'hui, des préjugés opiniâtres masquent les sources mêmes des idées qui ont contribué à libérer l'art libre des hommes libres. Des témoignages primordiaux sont sous la coupe des paradoxes d'un accaparant et prétentieux exclusivisme.

Si l'on admet que l'art nouveau répond à une des exigences fondamentales de l'homme, on est en droit d’attendre des historiens qu’ils l'embrassent en entier et en soulignent le caractère universel. La plupart des critiques, cependant, hésitent à reconnaître que l'art moderne n'est pas l'apanage d’un seul créateur, d'une seule capitale ou d'un seul pays, qu’il est la conséquence des effets de courants multiples et singuliers issus aussi bien du monde latin que du monde nordique. Là où le style risque de se dégrader en un rite captieux de chapelle, on peut craindre que l'art soit réduit à ne montrer qu'une des faces de sa fantaisie, qu'un des côtés de l’imagination.

Parmi les animateurs d'exception qu'on a tenu dans l'isolement et dont on a omis de considérer l'ampleur du langage plastique, on doit compter en premier lieu Emilio Pettoruti. En même temps que Picasso, Gris et Braque, et dans une mesure identique, ce grand méditerranéen a pourtant participé au pouvoir et au prestige de la réforme novatrice qui a conduit la peinture aux confins extrêmes et lucides de l’invention. En 1958, Georges Pillement a relevé l'inconséquence de la situation de Pettoruti et l'a placé dans son véritable milieu. «J'estime, a-t-il écrit, que c'est une grande chance, pour le public français, d'avoir l’occasion de découvrir un artiste d'une classe internationale qui lui est à peu près inconnu. Célèbre en Argentine et dans toute l'Amérique, et aussi en Italie, Pettoruti risquait de rester ignoré des Parisiens, si, depuis quatre ans, il ne s'était installé chez nous. Malgré tout ce qu'on peut dire, et tout ce qu'on peut tenter ailleurs, Paris reste encore la capitale des arts. Il n'est pas de renommée véritablement assise tant qu'elle n'est pas reconnue ici, tant que les milieux artistiques de Paris n'ont pas donné leur «approbatur». »

Sans doute, à l'instar de tous les précurseurs de l'art abstrait, il n'est pas de chapitre des conquêtes d’Emilio Pettoruti qui ne se ressente du climat partisan de la période de recherches qu'il a vécue. Mais, c'est de plein droit qu'il répandit abondamment des formes et des compositions qu'on rencontre également ailleurs, puisqu'il contribua largement à en déterminer les principes, en participant à la même entreprise.

S’il est donc vrai qu'il assimila, sans esprit particulier d'affectation, les motifs ornementaux classiques ou les sujets communs inspirateurs du moment — tels que guitares et autres instruments de musique, bouteilles, coupes, verres, pommes, oranges, natures mortes synthétisées, figures à éléments divisés et distribués —, il est non moins certain qu'il peignit déjà des arlequins pendant l'époque italienne, c'est-à-dire de 1914 à 1923. D'autre part, s'il subit logiquement l'influence des théories de son temps, il ne sè rendit esclave d'aucunes d'elles et ne s'inféoda jamais à un parti esthétique. En accumulant ses propres expériences, il conféra son empreinte catégorique au futurisme, au cubisme, à l’art abstrait et à l'art métaphysique dont il pesa les diversités et les nuances.

Promoteur de l’indépendance culturelle, pionnier de la création autonome, défenseur acharné de la primauté du spirituel qui révèle et ennoblit l'homme, Pettoruti n'afficha aucun programme, ne signa aucun manifeste, ne toléra aucun compromis, ne céda à aucune pression, n'adhéra à aucun groupe, n'appartint à aucune école, ne souscrivit point aux engagements de courants passagers ou locaux.

A une époque où les valeurs réelles de l'art semblaient sur le point de sombrer dans l'anarchie d'un monde bouleversé, sa profonde connaissance de la peinture lui permit d'affirmer l'ordre et la science de l'unité. Au cours de son développement, Pettoruti fut en toutes circonstances, et sans effort, supérieur à ce qui retint son intérêt et sa curiosité.

La manière de peindre de Pettoruti, qui est celle d'un magicien exploitant au maximum les lumières tranchantes et la phosphorescence des tons mystérieux, le différencie totalement des plus grands plasticiens de notre temps. Ayant savamment étudié l’ensemble des procédés de l’art des Anciens, il s’exprime posément grâce à une technique extraordinaire qu’il s’est forgée de toutes pièces, qu’il possède à fond et qu'il pratique avec la même assurance et la même puissance que ses illustres prédécesseurs.

Emilio Pettoruti, qui — soulignons-le — s'est formé à l’art abstrait à Florence dès 1913, est un des maîtres nouveaux de la forme parfaite, de la forme accomplie, et, sans contredit, le seul classique moderne.

La magnificence providentielle de son œuvre en est la plus frappante démonstration.

Alberto Sartoris