Bernard Schorderet

A l'heure où les expériences se font de plus en plus nombreuses dans les laboratoires de la plastique contemporaine, à l'heure aussi où la peinture gesticulatoire et paroxystique fait tache d’huile et devient le pain quotidien des artistes et des marchands, on pourrait se demander si une certaine abstraction géométrique telle que la pratique Bernard Schorderet n’est pas complètement dépassée. Personnellement je ne le pense pas. Bien au contraire. Je pense que Schorderet a mille fois raison de poursuivre des recherches qui s'accomplissent sans heurts apparents, avec une surprenante sûreté dans les moyens plastiques, moyens qui ne cessent de s'affirmer d'année en année.

Je crois aussi que si la multiplicité des « ismes » a fait tourner la tête à plus d'un arriviste en quête de publicité et de public (en cinquante années, que d'étiquettes collées contre la Peinture!) il ne faut pas trop se leurrer et croire que l’on peut tous les cinq ou dix ans renouveler le langage pictural. Ce qui compte, en définitive, plus que les formules, les recettes, les théories c'est le génie du peintre. Le souffle et l'imagination créatrice font plus, en arts, que la dialectique et les savantes exégèses. Que d'écrits ! Que de paroles ! Que n'a-t-on pas entendu — comme nous le dit Tapié — «à propos de trompe-l’œil, vérisme, réalisme, plastique, composition, expression, imitation, hiératisme, style, construction, forme, matière, lumière, lyrisme, drame, synthèse, dynamisme, plein-air, clair-obscur, chromatisme, classicisme, humanisme, perspective, architecture, romantisme, socialisme, sensibilité, intimisme, populisme, éclectisme, pureté, naïveté, magie, académisme, etc...» Ouf! Et pourtant: on continue. Il le faut bien!

Dans ce panier à crabes qu'est la peinture actuelle il est souvent bien difficile d’y voir clair: les épigones, les maniéristes et les faiseurs — sans compter l'expérimental pur — sont monnaie courante. Plus rares se font les créateurs qui ont quelque chose à nous dire. Et nous les rencontrons tout aussi bien chez les « lyriques » abstraits (ou expressionnisme) que chez les «géométriques». Sur ces termes règne d'ailleurs la confusion. Léon Degand avait raison d'écrire: «Le terme géométrique, du fait qu'on l'oppose à celui de lyrique, signifie qu’un langage d’inspiration géométrique ou géométrisante est nécessairement incompatible avec l’expression du lyrisme et que l'antigéométrisme seul est capable d’extérioriser les émotions les plus spontanées, les plus hautes voire les plus authentiques. C’est là confondre langage pictural et tempérament d'artiste, et les apparences avec la réalité »...

C'est précisément en contemplant certaines créations récentes de Bernard Schorderet que je songeais à cela: il y a autant de lyrisme que de ferveur dans ses compositions murales ou ses vitraux. Quant aux différentes formes d’expression: «aucune variété du langage plastique ne peut prétendre plus qu'une autre au privilège de susciter la qualité, ce privilège ne dépendant que de l’artiste ». J’admire chez Bernard Schorderet la force calme qui habite chacune de ses toiles ou de ses peintures murales. Ce sens du rythme et du monumental et ces couleurs profondes et vibrantes qui portent en elles les certitudes ou les appréhensions d'un artiste qui craint autant le bluff que la facilité. Cet art basé sur la réflexion, sur la méditation, cet art résolument pensé, aux antipodes de l'antiplastique extatique et de la haute désinvolture, devait tout naturellement s'orienter vers l'architecture et le vitrail.

Les réussites de Schorderet, dans ce domaine combien complexe et délicat de l'intégration des arts dans l'architecture, sont nombreuses.

Cet artiste a le don d'animer une paroi sans en détruire les rapports fondamentaux, de donner de la tension à une surface qui nous semblait morte, de faire brûler mystérieusement dans une église les feux spirituels de ses vitraux. En contemplant longuement telle ou telle œuvre de Schorderet nous avons la certitude de communiquer avec le monde intérieur, avec l’âme de l'artiste.

Schorderet pourrait bien être l'un de nos meilleurs « verriers » contemporains: il n'est qu'à contempler sa série de vitraux de l'église de Cottens pour s’en convaincre. Sans parler de la réalité spirituelle et religieuse qui se dégage de ces harmonies chromatiques, il faut relever la très haute qualité plastique de ces verrières qui nous prouvent, une fois encore, que l'art abstrait peut devenir, entre les mains d'un poète de la couleur débordant d'enthousiasme et de ferveur, fe plus efficace, le plus révélateur et le plus émouvant des arts sacrés.

André Kuenzi