APAURBAL Association pour l'aménagement urbain et rural du bassin lémanique

Notes à propos d'un mémoire sur l’aménagement de la région Lausanne-Bussigny-Morges

Lorsque les Romains perçaient leurs routes ou construisaient leurs colonies militaires — Bâle, Baden, Avenches, Saint-Maurice —, ils disposaient d'une terre vierge et suivaient des impératifs clairs et précis : il fallait s'armer contre la pression des barbares sur le Rhin. Lorsque les Zähringen fondaient leurs cités au XIe siècle, ils choisissaient tout autant des emplacements et des plans dictés par des raisons stratégiques. Nous avons hérité des villes et des routes romaines, des bourgs médiévaux. Ce patrimoine fait de nous des gens fortunés au regard des habitants des pays neufs ou des contrées ravagées par la guerre. Mais — revers de la médaille — il nous contient dans un cadre limité conforme aux besoins et aux expériences d’autres siècles. Les nécessités d’aujourd’hui sont différentes: elles correspondent à une économie d’industrie et d'échanges élargis, à une vie bruyante et intensive, parfaitement étrangères aux siècles précédents. Faute de s’adapter aux problèmes totalement nouveaux de la civilisation du vingtième siècle, l'homme circule à toute vitesse mais perd une heure pour se rendre à son lieu de travail, dispose d’une salle de bains et de vaccins polyvalents mais succombe à un infarctus du myocarde, a la mer et la montagne à sa portée mais s’asphyxie dans les fumées des villes. L’homme contemporain ravaude les cités qu’il a reçues en legs et ronge ses campagnes au lieu de dresser l’inventaire de ses moyens, de les grouper et de les utiliser pleinement en fonction de la vie. C’est ainsi que Londres s’étend sur soixante kilomètres d'ouest en est, que Zurich absorbe son canton et menace ses voisins, que Lausanne elle-même, à force de faire ses humanités, étend sans aucune méthode des constructions disparates, semi-urbaines par-dessus Malley et Renens en direction de Morges et de Bussigny. Il s'en faut de dix ans pour que ce merveilleux pays ne devienne un grouillement de dortoirs, de chalets-bungalowscottages, refuges des citadins émancipés, où l’agriculteur doit se transformer en maraîcher, puis en voyageur de commerce ou en manœuvre. Il s’agit dès lors d’épargner à nos régions l'embouteillage qui les guette, en prévenant la poussée de l’histoire — car on n'en remonte pas le cours — ; il s'agit entre autres devoirs d’ordonner l’agrandissement de la ville classique, d'éviter sa congestion, tout en organisant l’arrière-pays nourricier.

Les recherches entreprises par l’Association APAURBAL

...dans des domaines non exclusivement architecturaux ou urbanistiques, l’examen d’études théoriques et de réalisations suisses et étrangères ont conduit à une proposition adaptée au problème particulier de la région lémanique. Ainsi, dans le cas de la communauté lausannoise, il est apparu indispensable de limiter l'extension urbaine à Vidy, et de créer parallèlement dans le triangle que la ville détermine avec Morges et Bussigny une agglomération nouvelle, stable, qui ne corrode pas les nombreuses localités voisines encore relativement intactes. Inscrit dans le cadre de l'Exposition nationale, cet acte marquerait la volonté provisoirement limitée à une région, de contribuer à l’équilibre nécessaire d'une communauté, à l'ordonnance des relations entre les hommes qui la constituent.

On ne saurait parler d'aménagement du territoire sans rappeler que d'autres associations se sont déjà préoccupées de l'aménagement de notre pays. C'est l'A.S.P.A.N. qui dans ce domaine a fourni l’effort principal, avant tout par les travaux de sa commission technique. Durant ces vingt dernières années, de nombreuses études ont été faites par des membres actifs de l’A.S.P.A.N. : ces travaux fournissent des éléments indispensables à la connaissance des différents problèmes que pose l’occupation de notre sol. Cependant, ces techniciens eux-mêmes reconnaissent que tous leurs travaux, leurs recommandations aux diverses autorités et leursmultiples actions de propagande n’ont pas encore obtenu des résultats proportionnés à l’effort fourni. Au contraire, nos banlieues foisonnent de plus en plus, le développement de la construction se poursuit de façon toujours plus désordonnée et dispendieuse pour la collectivité, la spéculation foncière s’amplifie et de nombreux villages se dénaturent. Pour lutter contre un tel état de fait, les plans directeurs et les plans d'extension se révèlent insuffisants, lorsqu’ils ne favorisent pas ce désordre.

C'est pourquoi on estime actuellement dans les milieux de l'A.S.P.A.N. que des dispositions légales plus restrictives quant à l'usage de la propriété foncière peuvent seules fournir le remède adéquat. Or, de telles modifications législatives sont extrêmement délicates et les esprits n’y paraissent en général que fort mal préparés. Des techniciens de cette association ont donc estimé indispensable de promouvoir des moyens d'action plus directs. Un de ceux qui leur a paru le plus efficace serait de provoquer quelque part en terrain relativement inoccupé la fondation à titre, d’exemple, d’une nouvelle ville de quelque trente mille habitants. Il s'agirait, dans leur idée, de rassembler les initiatives dispersées, de les associer à une réalisation commune, conçue comme un tout et réalisée dans un temps relativement court ; elle offrirait des avantages considérables par rapport aux agglomérations auxquelles nous sommes accoutumés. Ainsi pourrait être créé un modèle fournissant des normes de toute nature (juridiques, financières, techniques) pour le développement et le remembrement de nos agglomérations. C'est pour mener à bien cette tâche précise que s'est constituée en Suisse allemande l’association « Die Neue Stadt»; nous avons fait nôtre sa thèse centrale: un meilleur urbanisme et l’aménagement de notre territoire ne deviendront possibles que lorsqu’on aura pu procéder en Suisse à une réalisation complète et spectaculaire, bénéficiant de circonstances exceptionnelles.

Nous pensons néanmoins que la création d'une ville nouvelle de trente mille habitants serait particulièrement difficile et sans doute injustifiée, en Suisse romande du moins. Notre conception de l’aménagement du territoire a été de plus influencée par les idées de Le Corbusier: elle nous paraît ainsi mieux s’adapter aux diverses conditions régionales.

Le problème général étant posé, l’idée d'une réalisation expérimentale et exemplaire localisée dans la région ouest de Lausanne peut être précisée. Cette cité à la taille de l’homme comprend en plus des habitations les centres scolaire, commercial, sportif et culturel nécessaires à son existence. Elle est liée à un secteur industriel conçu organiquement et nettement circonscrit. A un quart d’heure de son domicile, l’homme travaille dans les conditions les meilleures que puisse accorder l'inscription d'un outil rationnel de production dans un contexte naturel respecté. Tout autour, sous la protection de la législation, une zone agricole traditionnelle est maintenue.

population: 8000 - 8500 habitants

terrains: 40 ha pour la zone de la cité, soit 3 ha habitation, 3 ha pour le centre commercial et civique,3 ha pour la viabilité, 31 ha espace libre, terrains de jeux et sport

densité: 181 habitants/ha

industrie: 50 ha: possibilité d'occuper 2000 personnes

coût: terrains, habitations, locaux commerciaux et civiques, viabilité, environ fr. 150 000 000.—

La création de la nouvelle cité incomberait à une société d’économie mixte, et devrait être en elle-même une opération rentable. Les études, la récolte de fonds et les transactions nécessiteraient deux ans environ, et il faudrait compter trois à quatre ans pour la réalisation. L'effort correspondrait à celui que demande la réalisation d'un barrage de moyenne importance.

Il serait erroné de concevoir un aménagement de la région Lausanne-Bussigny-Morges comme un simple développement de la ville de Lausanne. Il faudra au contraire éviter toute expansion de la collectivité lausannoise sur les communes voisines, et endiguer cette expansion où elle a déjà eu lieu. Les décennies qui viennent verront peu à peu le remaniement général de la ville. Il s’agira surtout de mieux différencier les quartiers, d'augmenter leur densité tout en agrandissant les espaces libres de construction. Dans cette perspective, nous proposons comme corollaire à la création d'une cité dans la région Lausanne-Bussigny-Morges la réalisation parallèle d’un quartier exemplaire de Lausanne. Les terrains situés à l'embouchure du Flon partiellement en retrait des comblements prévus se prêteraient particulièrement bien par leur situation à une telle réalisation. Cet espace est nettement limité dans sa topographie. Les habitants bénéficieraient de liaisons aisées et rapides avec le centre de la ville et les quartiers industriels de Malley et Renens. De plus, ces terrains remplissent la condition indispensable pour une réalisation importante en milieu urbain caractérisé: ils appartiennent aux pouvoirs publics. Ils sont actuellement occupés par des installations sportives, mais une partie de ces installations pourrait être transférée dans l’espace gagné sur le lac. Par ailleurs, ce quartier se prêterait remarquablement à l’implantation de certains édifices culturels et d'une cité universitaire.

«Il s'agit d’assurer à l'homme une vie saine et de l'enrichir dans son âme et dans son imagination. Il s'agit de lui donner dans les moindres actes de sa journée, non par des discours, mais par la leçon des lieux où il vit, la conscience de la dignité, de la facilité, de la beauté de la vie moderne.» (Giraudoux.)