Qui finance la construction?

La politique suivie en matière de logement et, par conséquent, les méthodes de financement employées dépendent étroitement de la politique appliquée dans les domaines économique et social, variable d'un pays à l'autre. A un extrême, on considère que le logement est un service qui doit être mis à la disposition des usagers pour un prix symbolique ou très bas ; selon la thèse opposée, la politique doit essentiellement viser à favoriser l'accession à la propriété par une aide financière publique aussi faible que possible.

Il est donc évident qu’en examinant par exemple le financement du logement en Europe, on ne peut aboutir qu'à un nombre restreint de conclusions valables pour l'ensemble de ce continent.

Cependant, malgré des différences très grandes entre les pays, il est incontestable que, partout, on a besoin de logements plus nombreux et mieux aménagés.

Le coût en capital d'une maison est élevé; aussi le secteur du logement exerce-t-il une forte demande sur les ressources affectées à l'investissement; la concurrence est particulièrement vive entre l’investissement dans le logement et les investissements visant à accroître la productivité industrielle et agricole.

En outre, la construction représentant une forte charge en capital, il est indispensable que les méthodes de financement soient aussi efficaces et peu onéreuses que possible. Lorsque l'aide des pouvoirs publics est nécessaire, il faut qu'elle soit utilisée au maximum pour la satisfaction des besoins sociaux.

Enfin le financement a une influence sur le prix de revient de la construction et il importe de tenir compte de cette considération lorsqu'on vise à réduire le coût de la construction.

Provenance des capitaux destinés à la construction de logements Il est de toute évidence que les sources privées de financement se distinguent des capitaux publics consacrés à la construction de logements.

La proportion dans laquelle la construction de maisons d'habitation est financée par des fonds publics est avant tout fonction de l'importance du nombre de logements bâtis par des organismes publics et de la mesure dans laquelle il faut compléter les capitaux privés, et améliorer leurs conditions d'octroi pour que la construction de logements soit à la portée des familles à revenu moyen.

En Suisse, les taux d’intérêt et d'amortissement du crédit privé étant relativement bas, les fonds publics consacrés à la construction de maisons d’habitation ne sont pas très importants. Ainsi en 1955, ils représentaient le 1% des dépenses totales, alors que les fonds privés en assumaient le 30% et que les établissements privés de crédit finançaient le 69% de la construction.

Toutefois, le nombre de logements neufs qui sont à la portée des familles peu aisées a été jugé insuffisant et les autorités fédérales ont décidé d’accorder à nouveau, à partir de 1958, une aide financière à la construction en vue d'abaisser le coût du loyer de 10 000 logements au maximum, soit environ 2500 logements par an, ce qui correspond à 5% du nombre total annuel de logements construits ces dernières années.

L'investissement de fonds privés A part la Suisse, ce sont la Belgique, l'Italie et la Norvège qui font le plus appel aux capitaux privés pour la construction de logements. Si les investissements privés jouent un rôle important en Belgique, la raison en est que, dans ce pays, l'accession à la propriété connaît une grande faveur et que la moitié environ des logements construits, vu leurs dimensions et leur coût, ne répondent pas aux conditions nécessaires pour bénéficier d'une aide financière des pouvoirs publics.

Dans tous les pays, l'épargne personnelle intervient pour les constructions qui sont faites par des propriétaires désirant se loger eux-mêmes et agissant, soit isolément, soit comme membres de coopératives ou d'autres groupements légalement reconnus. Ce mode de financement est ainsi un moyen important de drainer l'épargne, quel qu’en soit le volume, et même d’encourager sa formation. Il permet d’utiliser des capitaux qui ne demandent en général qu’un intérêt minime puisque l’objet principal de l'investissement n'est ni la recherche de la rentabilité, ni une opération spéculative, mais l'acquisition d'une maison.

L'importance de ce mode de financement est fonction de divers éléments. L’apport personnel de l’occupant est, par exemple, un élément essentiel du financement des constructions rurales. En effet, d’une part, l’accession de la classe paysanne à la propriété est encouragée et, d’autre part, l’apport financier est complété par un apport en nature, notamment en travail.

La part que représente l’apport personnel du propriétaire-occupant varie avec la capacité d'épargne de celui-ci, mais, en général, dans les logements destinés à la masse de la population, elle ne dépasse guère 10 à 20% du prix de revient.

On peut rapprocher de la contribution apportée par une famille désirant accéder à la propriété celle qui est demandée à la personne qui adhère à une coopérative de locataires. Au point de vue de l'investissemènt des capitaux dans la construction et du coût de ces fonds, le processus financier et les conséquences sont identiques. Si, dans de telles circonstances, l'occupant qui apporte une partie de son épargne n'a pas juridiquement un droit de propriété, il a cependant un droit de jouissance et, en cas de départ, il peut retrouver tout ou partie des sommes qu'il a investies, peut-être même réaliser un bénéfice.

L’investissement privé dans une construction locative a longtemps été l’une des principales sources de financement de la construction. Cette source de capitaux, qui avait beaucoup diminué en Europe après la première guerre mondiale, s'est amenuisée encore au cours de la deuxième. La cause essentielle de ce decrescendo a été l’institution d'une réglementation des loyers dans tous les pays et le blocage des loyers à des niveaux qui parfois, malgré certains relèvements, n’arrivaient plus à assurer la rentabilité des immeubles ou, en tout cas, maintenaient cette rentabilité bien en dessous des taux que les fonds en quête de placement pouvaient trouver ailleurs.

Cependant, depuis quelques années, un revirement se fait sentir dans les pays dont l'économie est plus libérale et où l'on a autorisé une hausse progressive des loyers, même la liberté complète du marché du logement.

Ce mode de financement, qui existe pour les immeubles construits sans l’aide des pouvoirs publics, existe aussi souvent sous une forme ou sous une autre pour les habitations édifiées par des particuliers avec une aide financière publique.

Actuellement, il est difficile de distinguer entre ces capitaux et les fonds apportés par les propriétaires-occupants, dont certains sont amenés à louer leurs logements à autrui.

La souscription d'actions de sociétés immobilières est un aspect particulier de ce mode d’investissement. En effet, aujourd’hui, la fortune privée tend à se diviser et la construction urbaine prend de plus en plus la forme d'immeubles collectifs qui nécessitent davantage de capitaux qu'autrefois. La vente d'actions immobilières, surtout si les titres sont cotés en Bourse, permet de mobiliser de petites sommes qui, prises séparément, ne suffiraient pas à un propriétaire pour un investissement direct dans la construction d'un immeuble lui appartenant.

A ce mode d'investissement privé se rattachent également les constructions entreprises par les industries pour loger leur personnel. Chaque fois qu'il s'agit non d’un prêt, mais d'une construction directe ou d'un versement prélevé sur les ressources propres de l'entreprise, la technique d’investissement est la même que celle des particuliers qui consacrent leurs capitaux à la construction destinée à la location. Cependant, le but économique visé — se procurer de la maind’œuvre — ou le but social — mieux loger

les ouvriers — a pour conséquence que les entreprises ne recherchent pas un bénéfice ou se contentent d'un revenu modique. C'est donc là une source de capitaux avantageuse.

Il faut pourtant remarquer que le développement excessif d'un pareil financement pourrait présenter des inconvénients, par exemple faire supporter à la production une charge non négligeable. De plus, par cette formule, on crée des liens pas toujours heureux entre le contrat de travail et le logement.

Ayant leur source dans l'épargne privée, on pourrait encore signaler les prêts directs entre particuliers, ainsi que ceux accordés par les industries à leurs salariés pour les aider à résoudre leurs problèmes de logement.

En Suisse, les établissements privés de crédit fournissent directement une grosse part des ressources affectées au logement (en 1955, 69 % des dépenses totales) Les prêts des caisses d'épargne constituent un moyen de financement parfois important. Cette formule pose le problème du pourcentage des dépôts à vue ou à court terme qu'il est raisonnable d’utiliser en placement à long terme sans trop risquer de mettre en difficulté l'établissement bancaire s’il devait faire face inopinémentàdes retraits des épargnants.

Néanmoins, la longue expérience de la plupart des pays d’Europe, qui ont connu des crises financières sérieuses, montre que l’on peut, sans inconvénient particulier, investir en prêts à long terme à la construction une grande partie, probablement plus du 50%, des dépôts des caisses d'épargne.

Les compagnies d’assurances ont pendant longtemps placé leurs réserves en prêts immobiliers à long terme garantis par une hypothèque. Ce genre de placement était intéressant, mais les difficultés d'après-guerre, qui, dans presque tous les pays d'Europe, ont détourné les capitaux du secteur immobilier, ont eu pour effet de réduire l'importance de ces placements des compagnies d'assurances. Cependant avec le retour progressif de la stabilité économique et le développement de la politique de construction, la tendance s'est inversée.

Dans la plupart des pays, certaines banques concourent au financement du logement, mais on distingue entre les banques ordinaires, dont une partie du portefeuille est constituée par des prêts immobiliers, et les établissements financiers spécialisés dans les prêts fonciers.

En général, ce ne sont pas les banques ordinaires qui accordent des prêts à long terme pour la construction d’habitations.

En Suisse, elles jouent surtout un rôle important par l'octroi de crédit à court et moyen terme pour des achats de terrain ou d'immeubles existants, ou par l'avance de fonds pendant la période de construction.

On peut donc répartir les investissements privés dans la construction de logements en trois catégories, selon la manière dont ces investissements sont effectivement utilisés : a) l’épargne que le public place lui-même à long terme: investissements de capitaux faits par le propriétaire, souscriptions d'actions de sociétés immobilières, prêts entre particuliers, souscriptions d’obligations à long terme émises par des établissements financiers en contrepartie des prêts immobiliers qu'ils consentent.

b) l’épargne que le public dépose à court terme auprès d'institutions qui utilisent ces fonds, en partie du moins, pour des prêts à long terme. Ce sont les prêts immobiliers des caisses d'épargne et des sociétés coopératives de construction, de même que les prêts consentis par des établissements bancaires sur des comptes de dépôts ou des comptes-courants.

c) l’épargne constituée par le public sous forme de primes d'assurance de toute nature, créant les réserves des compagnies que celles-ci investissent dans la construction.

L'aide financière des pouvoirs publics Les statistiques de 1955 indiquent qu’en Suisse, sur 39 300 logements achevés, 2800 seulement ont été construits avec  l'aide financière des pouvoirs publics.

Le financement public ne touche donc qu’une faible proportion des logements construits; le total des sommes ainsi affectées est limité et réservé, en général, à certains groupes de population à revenu faible.

En Irlande, le secteur de la construction subventionnée est aujourd’hui relativement plus important qu'il ne l'était il y a quelques années; en 1950, les logements locatifs construits avec l’aide des pouvoirs publics représentaient les deux tiers de la production totale. En France l'accession à la propriété a perdu de son importance et l'on encourage la construction d'immeubles collectifs. En revanche, la Norvège, où l'accession à la propriété est très commune, suit une politique en matière de logement qui a pour ainsi dire supprimé les maisons locatives appartenant à des collectivités publiques. La cause en est que, dans le passé, on a éprouvé de nombreuses difficultés à maintenir ces immeubles en bon état et aussi que la formule de la propriété immobilière individuelle convient mieux à un pays où la population est très dispersée.

Etant donné la variété des circonstances nationales, il est pratiquement impossible de comparer l’importance de l’aide financière des pouvoirs publics et les motifs de celle-ci pour en tirer des conclusions. Néanmoins, on peut dire que l’utilisation des fonds publics tend à diminuer. Ainsi, en Allemagne occidentale, l’investissement de capitaux publics, qui entrait pour 47% dans le total des sommes affectées à la construction de logements en 1951, n’a cessé de diminuer, tandis que le volume de la construction s’est notablement accru.

Si les pouvoirs publics entreprennent de construire des logements, c'est afin de satisfaire les besoins sociaux les plus urgents, dans un ordre de priorité convenable, et de s’assurer que l'intérêt public n’est pas lésé lorsqu'il s’agit de dépenses de capitaux et d'octroi de subventions.

De plus, les investissements publics de capitaux dans le logement révèlent dans quelle mesure l’épargne disponible pour des prêts à long terme est insuffisante et doit être complétée par des emprunts publics ou par l’impôt. L'intensification de l'épargne est surtout une question de politique économique générale, mais des mesures précises peuvent aussi être adoptées dans le domaine du logement.

Les investissements publics dans la construction peuvent consister en des fonds empruntés par les pouvoirs publics aux établissements de crédit privés ; dans ce cas, les autorités n’augmentent pas l’apport des capitaux sur le marché, mais se contentent d'orienter ceux-ci dans un sens déterminé. Elles peuvent ainsi, sans qu’il en résulte une perte pour le trésor public, abaisser le loyer de l'argent puisqu'il leur est possible d’emprunter à des taux inférieurs à ceux qu’on exige des particuliers, et de prêter à plus long terme.

En outre, les pouvoirs publics ont la possibilité de contrôler directement l'utilisation sociale de ces fonds, protéger le logement contre les fluctuations du taux de l'intérêt et de l’offre de capitaux et fournir des facilités de crédit dans les régions où il n’existe pas d’établissements bancaires.

Celui qui construit des immeubles locatifs avec ses propres capitaux joue également un rôle très important dans la politique du logement, mais il est évident que le blocage des loyers a limité l’ampleur de la construction locative financée entièrement par des capitaux privés.

On peut accroître les apports de capitaux pour la construction en encourageant l'accession à la propriété à la fois au moyen de la mise de fonds que doit verser l’occupant propriétaire et par l’obligation qui lui est souvent faite de prélever une épargne complémentaire sur son revenu courant.

Par ailleurs, l'importance de la construction de logements par des particuliers et par des coopératives en vue de l'accession à la propriété va croissant.

Les besoins d’une augmentation rapide du rythme de la construction de logements ont été reconnus, et l'on admet aujourd'hui l’utilité de l’initiative des

particuliers et l’intérêt des capitaux supplémentaires que peuvent apporter les particuliers et les coopératives. Aussi les pouvoirs publics encouragent-ils officiellement la construction privée et coopérative, se réservant d'intervenir uniquement dans les cas d'urgence. En fait, pour créer les conditions nécessaires au succès complet de l’entreprise privée du bâtiment, la politique du logement devrait essentiellement viser à adoucir les effets du contrôle des loyers, voire à le supprimer par étapes progressives.

Fédération romande des intérêts immobiliers Le secrétaire: R. Bron Sources : Le financement du logement en Europe Nations Unies 1958.