Urbanisme de Brasilia | Sir William Holford, Grande-Bretagne
Sir William est né en 1907 à Johannesburg. Il a étudié l’architecture à Liverpool de 1925 à 1930. En 1935, il gagna la Bourse H. L. Florence et la Distinction d'Urbanisme de l’Institut Royal des Architectes Britanniques.
Il est nommé professeur en 1936 à l' Université de Liverpool. En 1948, il succède à Sir Patrick Abercrombie comme professeur d'urbanisme à l’Université de Londres.
Entre autres charges, il est président du Centre de logement de la ville de Londres et président de l’Institut Royal Britannique des Architectes pour 1960-1961.
Le Professeur Mario Pedrosa a déclaré en parlant de Brasilia que cette cité nouvelle était une gageure.
C’est une gageure lancée par le peuple et par la Constitution du Brésil. Le Président Juscelino Kubitschek s’en est emparé et en a confié la réalisation au Dr Israël Pinheiro, à Oscar Niemeyer et ses associés, et aux ingénieurs de la Novacap. Lorsqu’on se trouve devant une gageure d’une telle importance historique, produire une simple organisation ne me semble pas suffisant. Il faut produire quelque chose qui puisse communiquer; il faut donc produire une œuvre d’art. Tout au long de l’Histoire on constate que l’artiste seul parvient à transmettre son message à travers les siècles.
Prenons l’exemple d’un bison qui fut dessiné sur le mur d’une caverne d’Altamira il y a cinquante mille ans; il peut être compris par un chasseur de nos jours. Picasso peut prendre un morceau de craie et dessiner une colombe, la colombe de la Paix, et son dessin devient immédiatement compréhensible pour le monde entier. Cette faculté de communication doit par conséquent s’étendre maintenant non pas à l’échelle d’un seul édifice ou d’un groupe d’édifices, mais à l’échelle d’une ville entière.
Je pense qu’on n’a pas tenu compte de cette idée, lors du concours pour le plan-pilote de Brasilia. On entend souvent dire: «Pourquoi ne choisissez-vous pas un plan qui soit bien organisé, qui parte d’un petit noyau qui s’agrandisse lentement au cours des années et qui devienne graduellement une ville comme celles que nous avons tous connues? » En fait, pour le Brésil, ce fut justement cela qu’on voulait éviter.
Certains ajoutent: «Nous sommes surpris que vous, Anglais conservateurs, approuviez un tel plan », et ma réponse est que tous les membres du jury pensèrent à la conservation dans le vrai sens historique du mot, à quelque chose qui formerait un centre stable, un foyer, non seulement pour la région mais pour le pays entier. Et si ce foyer devait être une œuvre d’art, il ne fallait pas concevoir un petit projet ou construire un camp de concentration diplomatique.
En fait il existe deux méthodes pour préparer un pays neuf. La première, par un réseau de communications, c’est-à-dire par des « villes linéaires » qui s’étendent à travers tout le pays, le fertilisent et le préparent à la culture. La deuxième consiste à créer un centre d’expansion comme on laisserait tomber une tache d’encre sur un buvard où elle s’étendrait toute seule.
Je suis sûr qu’au Brésil l’une et l’autre méthodes sont essentielles. Mais Brasilia se conforme à la deuxième possibilité, et mon idée est que Brasilia aurait dû être dès le début un foyer et non pas un organisme incapable d’irradier son influence en dehors du centre de gravité du pays entier.
André Malraux a très justement dit que c’est là la première capitale de la nouvelle civilisation. Washington, Ottawa, Pretoria en Afrique du Sud, Canberra en Australie, toutes furent établies d’après ce que nous pourrions appeler l’ancien moule. Chandigarh, dans le Punjab, est une cité nouvelle mais son échelle ne peut être tout à fait comparée à celle de Brasilia. Les objections furent, par conséquent, qu’une ville nouvelle n’était pas du tout nécessaire et que l’argent employé aurait pu être investi dans des routes et dans l’irrigation. D’autres critiques ont dit au contraire: «Pourquoi ne pas utiliser une ville déjà existante? » Mais prenez Washington, qui n’enlève rien de l’importance de New York, ou Johannesburg, qui est une ville beaucoup plus grande que Pretoria, et vous comprendrez que la fonction d’une capitale qui est le centre administratif n’est pas celle d’une grande ville métropolitaine industrielle et commerciale. Par conséquent, avant même que son plan n’eût été élaboré, il était évident que Brasilia devait représenter le foyer de la volonté et de l’intérêt nationaux, et qu ’elle devait être une ville unifiée aux constructions équilibrées. Le plan de M. Costa souligne la qualité essentielle de cette ville: elle devait être extroverse. Elle ne devait pas se refermer sur elle-même, être secrète, confortable, tranquille; elle devait se tourner vers l’extérieur et présenter une silhouette et une forme immédiatement compréhensibles pour chacun. Elle est un peu comme ces villes italiennes bâties sur le sommet d’une colline, mais à une échelle beaucoup plus grande. Elle possède aussi les mêmes qualités que certaines grandes compositions réalisées dans les capitales européennes— les Champs-Elysées à Paris, le Mail à Londres, et autres. Mais au lieu de créer dans la ville un élément unique, la ville elle-même doit être un objet complet et unifié, se détachant du paysage et visible de toutes les directions. Il est intéressant d ’observer que les autres capitales regardent au-dedans. Canberra est aussi en train de construire un lac en son centre, mais elle se tourne vers ce lac et est entourée de collines; il en va de même pour de nombreuses autres capitales.
Dans le plan de M. Costa, la ville s’expose extrêmement bien avec son axe-pilote se jetant vers l’espaceouvert, la Place des Trois Pouvoirs à son extrémité, située sur une longue terrasse et protégée à tout jamais du développement qui pourrait modifier sa silhouette. Brasilia est une ville vertébrée. Elle a une colonne vertébrale, une épine dorsale, qui est fixe et permanente. Il aurait été plus facile à Brasilia de s’agrandir par la simple multiplication des parties: d ’ajouter un Ministère après l’autre, un bloc résidentiel après l’autre, et de s’étendre graduellement. Mais elle est en fait un animal très compliqué. Elle a une charpente qui est permanente et fixe et, à l’intérieur de cette charpente, elle présente des cellules qui peuvent
croître jusqu’à un certain point et qui peuvent aussi se modifier au cours des temps. C’ est par conséquent une ville complexe et organique, étant donné la façon dont elle a été projetée. Je pense que la chose la plus importante est le système de croissance. Rio est comme une très jolie femme, mais dont la croissance est cancéreuse. Cette croissance se fait d’une façon incontrôlée; personne ne peut prévenir l’expansion des« favelas » et l’expansion des immeubles collectifs. Quelque chose devait être fait à Brasilia, qui ne pouvait l’être à Rio, c’est-à-dire prévoir une méthoded ’expansion saine, ordonnée et capable d ’être stoppée à un point déterminé.
Mais il faut émettre ici une critique. C’est qu ’une cité fondée sur une structure organique très complexe, est très vulnérable aux défauts. Financièrement, il faut investir des sommes considérables dans une entreprise qui n’est pas immédiatement rentable; il faut construire tout un système de routes qui ne donnent pas naissance à des propriétés lucratives; socialement, il faut anticiper sur les désirs de ceux qui ne sont pas encore des citoyens de la ville. Mais je ne veux pas prédire des difficultés; je veux seulement souligner
qu ’elles seront très sérieuses étant donné la taille de « l’animal » en question.
Finalement, je pense que le facteur le plus important dans le plan de la ville de Brasilia est qu ’une forme de contrôle a été établie contre l’accroissement excessif. M. Lucio Costa avait le choix entre deux possibilités, fixer des cadres trop rigides ou laisser une trop grande liberté; et j’ai le sentiment qu’il a fixé les choses essentielles et a laissé dans son plan une marge — en particulier dans les quartiers résidentiels — - pour que l’expansion se fasse tranquillement et lentement dans le cadre de cette charpente principale. C’ est donc une combinaison du fixe et flexible, de ce qui peut être laissé à son libre cours. Je pense que ce point, dans le plan final de M. Costa, représente un des faits les plus significatifs.