Œuvres d’art, monuments et édifices publics dans la cité nouvelle | Alberto Sartoris Suisse

Architecte, urbaniste, professeur, historien et critique d'art. Dès 1920, a milité dans le mouvement futuriste dont il a été un de ses principaux représentants. Premier Grand Prix d’Architecture en 1928. Signataire du manifeste de La Sarraz, membre fondateur des Congrès Internationaux d’Architecture Moderne. Auteur de la « cité-crémaillère » et de la ville satellite de Rebbio. Constructions en Suisse, Italie, France et aux Canaries. Théoricien de l'architecture fonctionnelle et de l’art abstrait, a écrit de nombreux ouvrages, notamment: « Les éléments de l’architecture fonctionnelle », « Introduction à l’architecture moderne », « Encyclopédie de l’architecture nouvelle ». Président de l’Ecole d’Altamira et du Comité permanent du Jour Mondial de l’Urbanisme, membre de l’Association Internationale des Critiques d’Art, membre correspondant du Royal Institute of British Architects, de l’Instituto de Estudios Hispânicos, de la Société Belge des Urbanistes et Architectes Modernistes.

Les problèmes de l’urbanisme, de l’architecture et de la technique s’inscrivent étroitement dans le vaste domaine de l’humanisme; leur rattachement aux problèmes des arts n’est donc pas fortuit. D’autre part, si l’on considère que les problèmes économiques et sociologiques doivent prévaloir sur les problèmes politiques, il s’ensuit que les mobiles de la construction appartiennent à une sphère qui n’est certes pas celle de la création ordinaire. Toutes complémentaires qu’elles sont, les trois disciplines, les trois activités représentées par l’urbanisme, l’architecture et la technique n’en demeurent pas moins fondamentalement diverses. Mais celui qui les réduit en un seul faisceau, l’architecte, doit être à la fois urbaniste, technicien et plasticien: artiste complet dans le sens créateur.

L’urbanisme fait corps aussi bien avec les arts et l’architecture qu’avec la technique, l’économie et la sociologie; or, pour permettre la coexistence normale de ces divers domaines il faut les envisager dans leurs rapports réciproques, les regarder simultanément, les unir dans un ensemble naturel et concevoir l’urbanisme sur tous ces plans synchronisés.

On ne peut plus fixer rationnellement les thèmes de l’urbanisme sans envisager d’abord ceux de l’aménagement total du territoire. D’où la nécessité d’établir rapidement les bases essentielles et les principaux éléments de plans régulateurs territoriaux, continentaux, nationaux, régionaux et communaux favorisant la création, la répartition et l’exploitation des espaces.

Comme nous l’avons déjà dit en 1935, pour promouvoir l’éclosion et l’extension d’un urbanisme fonctionnel, on doit avant tout lutter contre l’inconséquence des agglomérations démesurées et la prolifération des villes désordonnées, chaotiques et tentaculaires; à cette fin, on élèvera des cités nouvelles dont l’architecture réalise l’intégration des arts dans l’urbanisme.

Brasilia en est actuellement l’exemple le plus frappant, le plus réussi, le plus utile et le plus grand.

Pour autant qu’il se fonde sur un principe urbanistique précis, l’art au service de l’architecture doit modeler une partie des éléments particuliers servant à l’harmonisation des créations de l’urbanisme et à l’amplification des pouvoirs de représentation des monuments et des édifices publics. Le centre civique est l’emblème et le noyau vital de la cité nouvelle.

L’application réelle et effective de ce postulat permet de rechercher l’emplacement exact des œuvres d’art, des monuments et des édifices publics dans la distribution des espaces et d’en établir la théorie rigoureuse.

Dans la cité nouvelle, les œuvres d’art, les monuments et les édifices publics n’ont point le décor pour but.

Ils naissent de besoins précis, ils proviennent des raisons d’une optique constructive, ils représentent des idées, ils marquent les caractères d’une ambiance et d’une atmosphère. Leur placement doit répondre à la structure physique et géographique de la ville, à son anatomie urbaine, à sa signification spatiale, organique et sociale.

Dans une ville se développant autour de centres communaux (petits, moyens ou grands pivots autonomes d’où se dégage une organisation convergente), la répartition des espaces intérieurs et extérieurs, des patios privés et collectifs, des places, des dégagements et des zones vertes règle modulairement et selon un rythme naturel le placement des œuvres publiques.

Dans une ville où l’on a tenu compte de la configuration régionale et des ressources touristiques, où le trafic a été déterminé selon des itinéraires préétablis et un ordre hiérarchique, où les voies de communication ont été tracées en fonction des axes commerciaux, de la direction des extensions et des nécessités variées de la circulation, ainsi que pour desservir des unités de voisinage implantées conformément aux articulations de la cité et aux espaces vicinaux, le placement logique des œuvres d’art, des monuments et des édifices publics découlant d’un tel plan exprime dans chaque quartier, dans chaque espace et dans chaque perspective la vision plastique de la ville harmonieuse.

La ponctuation de la cité par le paysage conduira à une conception de la ville en partie suspendue, de la ville sur buttes, de la ville-belvédère. A ce propos, considérons — du point de vue urbanistique — la différence essentielle que présentent, d’une part des quartiers juchés sur des tertres plantés d’arbres (quartiers conçus pour créer dans la cité des centres isolés, panoramiques et de repos, et dont la zone inférieure peut être occupée par des passages couverts, des ascenseurs, des garages souterrains et de nombreux services publics) et, d’autre part des quartiers dont les bâtiments forment des blocs d’étages s’élevant à la même hauteur! Seuls les gratte-ciel assurent un rendement supérieur. Mais si ces gratte-ciel sont largement séparés pour respecter le droit des hommes à la lumière, ils n’offrent alors que l’équivalent technique sans présenter toujours les avantages urbanistiques des quartiers concentrés sur buttes.

La cité nouvelle exige l’édification d’œuvres d’art et de monuments publics nécessaires qui exercent leur rayonnement au même titre et dans les mêmes limites que l’architecture et l’urbanisme.

La synthèse des arts et l’intégration de la cité nouvelle aux édifices historiques posent aussi le problème de la conservation des monuments et des bâtiments anciens. S’il est salutaire de condamner tous les systèmes de reconstruction aboutissant aux styles pittoresques, en revanche nous estimons indispensables le maintien, l’intégration et la restauration non dévastatrice des témoins authentiques de l’architecture du passé qui pourront constituer, dans certains cas, les couronnes de zones archéologiques et de repos, de centres artistiques, culturels, touristiques et commerciaux interdits aux véhicules et formés de constructions horizontales, de patios, de terrasses, de jardins et de parcs.

L’architecture d’aujourd’hui assure une soudure parfaite avec la véritable architecture de jadis. On peut intégrer les monuments, les édifices anciens et les ensembles historiques à la ville nouvelle soit en les isolant dans des zones vertes ou des zones de repos, soit en les cloisonnant dans des constructions modernes, soit en les flanquant ou en les entourant de bâtiments transparents en retrait ou en saillie dans des rues et des places à redents. La reconstitution des œuvres anciennes, mais toujours vivantes, dans un cadre nouveau, peut se faire sans heurts et selon les règles de la plus naturelle des harmonies.

On se doute bien que cette projection du passé dans le présent et vice versa apporte un support indéniable aux vastes entreprises de l’urbanisme organique.

Mais c’est là, avouons-le, où l’urbanisme a rencontré jusqu’ici une de ses principales pierres d’achoppement.

Les miracles de l’architecture sont cependant renouvelables à l’âge où se préparent les fondements de la ville meilleure.

Alberto Sartoris