La cité nouvelle

La peinture et la sculpture dans le contexte urbanistique et architectural

L’architecture est-il un art majeur dans la cité ?

Raymond Lopez France

Meyer Shapiro critique d'art, professeur à la Columbia University, Fine Arts Dept. (N. Y.) Etats-Unis.

Pourquoi la peinture et la sculpture sont-elles si rarement incluses dans les projets des architectes modernes?

Est-ce à cause d’une réaction contre le monumental et le symbolique dans l’art du XIXe siècle? L’art officiel de l’Antiquité imposait des directives et des croyances dont les artistes modernes devaient se libérer afin de réaliser de nouveaux idéaux. A notre époque, cette tradition du monumental a été reprise dans les Etats totalitaires, qui sont hostiles à l’art moderne.

Mais pourquoi n’use-t-on pas davantage aujourd’hui dans les pays démocratiques d’une peinture d’avantgarde et d’une sculpture dont le contenu satisfasse en même temps les architectes et leurs commanditaires?

L’absence d’une telle conception dans la plupart des projets est-elle due à l’esthétique de l’architecture moderne? Comme la peinture et la sculpture contemporaines, l’architecture tend à une autonomie du travail et lutte pour atteindre à la concision des structures formelles. Ces objectifs peuvent être réalisés par l’individualité concurrente de la peinture et de la sculpture.

Pourquoi éprouve-t-on fréquemment le besoin d’accorder une place plus importante à la peinture et à la sculpture dans l’architecture? Ce désir provient en partie du mécontentement qu’inspire l’état de l’art dans notre société, de son manque de racines et de son existence marginale. Mais il doit être possible, par une nouvelle union entre l’architecture et la peinture de combler cette lacune existant entre la culture et le monde pratiques. Il doit être possible de trouver dans notre société un rapport vivant entre les idéaux collectifs et la sensibilité individuelle.

On peut se demander si une intégration des arts est réalisable dans les conditions actuelles? Les exemples qui viennent à l’esprit ne sont-ils simplement que des réussites occasionnelles, provenant de conjonctures exceptionnelles entre l’événement ou la politique et l’art? Une telle intégration est-elle nécessaire pour le développement de l’art? Avons-nous alors affaire à un contexte artistique dans lequel tous les arts dépendent de circonstances particulières sans qu’aucun d’eux n’occupe une place prééminente dans la formation d’une esthétique de haute qualité?

S’il faut souhaiter une coopération des arts, peut-elle se réaliser sans le stimulant de croyances communes et de valeurs que posséderaient en commun artistes et public? La question est de savoir s’il existe dans notre société un point de vue suffisamment unifié pour fournir la base d’un art civique intégré.

Sans ce fondement, on hésite à admettre que l’intégration soit possible dans l’actuelle structure sociale et culturelle et en ne recourant qu’aux formes et aux contenus des arts plastiques existants.

Cette intégration trouve-t-elle sa justification dans l’expérience de l’art religieux moderne ou dans les peintures murales de l’école mexicaine aux tendances extrémistes? Les divers bâtiments décorés par des peintres et des sculpteurs de renom représentent-ils un accomplissement ou une promesse?

Puisque de nouvelles villes sont réalisées aujourd’hui par l’Etat seul, il faudrait savoir si l’intégration des arts dépend du plan d’organisation fourni par l’Etat pour un développement du bien-être, et si l’Etat peut résister à la tendance totalitaire, qui consiste à contrôler l’art et à s’en servir comme d’un instrument de propagande. On se demande enfin si l’intégration sous les auspices officiels modernes est compatible avec l’intégrité de l’art et avec le besoin d’une pleine liberté d’expression.

Ce sont là quelques questions qui se posent lorsque nous considérons le rôle des arts plastiques dans une ville nouvelle, dans la perspective d’une synthèse des arts.

M. S.

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Mon propos est de susciter des réactions. Car il est dans mon tempérament d’être provoquant. Face à cette question, il fallait s’en douter — et je crois que c’est une gageure de demander à un architecte si l’architecture était bien l’art majeur de la cité — ne pouvait être qu’affirmative. Mais je mentionne cependant quels sont les arts qui concourent à l’épanouissement de la cité, ce microcosme, cette petite microsociété d’un si grand intérêt en raison de sa fonction réelle qui est bien en premier lieu d’abriter les hommes, mais aussi, et peut-être plus encore, de les prédisposer au rêve. Il y a évidemment toute une série d’arts — qui sont l’urbanisme, l’architecture, la sculpture, la peinture, la musique aussi, et qui concourent à la formation, à l’établissement, puis à l’épanouissement de la cité humaine.

D’abord, et très brièvement, l’urbanisme. Je pense que l’urbanisme est un art autant qu’une science, qui détermine d’abord la valeur des espaces dont on dispose.

C’est aussi l’art de défendre ces espaces, c’est enfin l’art le plus difficile qui consiste à créer les espaces heureux. L’urbanisme, n’est-il pas une manière d’architecture, une manière d’architecture à une certaine échelle? Je m’insurge contre ceux qui, dans notre pays, la France, prétendent élever une barrière administrative autant qu’intellectuelle entre les urbanistes, qui ont à traiter des grands problèmes généraux de formation et de conservation de la cité, et les architectes. Ils veulent scinder ces deux opérations qui dans mon esprit n'en font qu’une. Faire de l’urbanisme c’est faire de l’architecture; faire de l’architecture, c’est faire l’urbanisme. Tout concourt à un même but, à des échelles et à des moments différents.

L’architecture — Auguste Perret, ce grand maître qui reste encore notre maître, l’a dit — c’est l’art d’aménager l’espace. Et la cité n’est qu’un aménagement particulier d’un espace. Et je dis que cette cité est toute architecture. Pourquoi? D’abord par le site, cette grande architecture de la nature, cette grande architecture du Créateur, fait bien partie de la cité. Elle est la première manifestation architecturale de la cité nouvelle, celle qu’il faut conserver à tout prix, celle d’un espace aimé qui doit devenir un espace heureux.

Et lorsque nous descendons de cette première architecture du Créateur, nous arrivons à cette architecture des foules, sur les problèmes de laquelle on ne s’est pas encore assez penché. Il existe une architecture des masses et une architecture des foules en marche. C’est l’architecture aussi des masses en stationnement, cette architecture de stationnement sur les stades, sur les places, dans les théâtres. C’est l’architecture aussi des véhicules en mouvement et à l’arrêt qui introduisent unp certaine qualité picturale, une certaine qualité de couleur (et chez les Américains ces véhicules vous mènent même jusqu’au cinéma, puisqu'on reste dans la voiture pour assister au spectacle et qu’on en est même arrivé à rester dans sa voiture pour assister à la messe!).

Et puis, nous en arrivons à l’architecture construite, c’est-à-dire à celle que nous sommes appelés à faire, avec toute la responsabilité que cela comporte pour nous. C’est l’architecture des monuments d’abord, qui ont présidé à la création des villes. Ce sont ensuite les ouvrages d’art, que l’on a longtemps considérés comme des œuvres de caractère purement matériel. La réalisation des systèmes de circulation superposés par exemple est d’autant plus émouvante que l’idée en revient à Leonardo da Vinci. Depuis plusieurs siècles on prévoyait la différenciation des circulations, reprise par Auguste Perret au Havre, mais non réalisée, reprise

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