Les arts industriels dans la cité nouvelle | Gillo A. Dorfles
Le domaine de l’esthétique industrielle couvre des secteurs de plus en plus étendus, allant de ceux qui constituaient jadis le domaine de l’artisanat et des installations domestiques, jusqu’aux grandes structures techniques, y compris les éléments architectoniques préfabriqués et, dans un proche avenir, peut-être les habitations elles-mêmes. Une grande partie de ce qui constitue la Cité nouvelle appartient donc désormais au secteur de la production industrielle. Mais quelle part de cette « production » doit être considérée également comme « art »? Le problème est en quelque sorte le suivant: Quel quotient artistique doit-on attribuer à certains objets produits par l’industrie ?
Il est clair que l’esthétique industrielle joue aujourd’hui un rôle de premier plan dans la formation du goût d’un peuple. II faut ajouter que les objets industriels sont presque les seuls qui soient à la portée des plus larges couches de la population. C’est pourquoi leur rôle est de former le goût du citoyen dont résultera un style nouveau. Ainsi de nos jours, l’œuvre d’art « en série » s’impose à côté de l’œuvre d’art « unique ».
Nous pourrons même en déduire que si une nouvelle « civilisation visuelle » est en train d’éclore, elle devra son existence à des éléments graphiques et plastiques produits par l’industrie. Cela suffit à prouver l’importance que doit avoir une planification (qui ne soit pas une standardisation!) de la signalisation urbaine, du lettering, de tout ce que nous pourrons définir comme « aménagement urbain ».
Au sujet des arts industriels, je me bornerai à indiquer certains points essentiels: L’importance du rapport entre l’objet d’art (pur) et l’objet industriel, dont l’influence réciproque a toujours été incontestable: un même élément formateur se retrouve souvent dans les œuvres de l’art « pur » et l’art «fonctionnel» d’une même époque.
Le rapport entre la forme de l’objet et sa fonction n’est désormais que partiel: il existe, de nos jours, une liberté formelle qui permet de créer des œuvres non seulement techniques mais artistiques.
On doit considérer comme positive une certaine rapidité de « vieillissement » des formes d’un objet, puisque cette rapidité porte en elle l’invention de formes nouvelles.
On doit toujours tenir compte de l’élément symboliqueinformatif de l’objet industriel. Il existe dans chaque objet un quotient symbolique qui est en rapport avec son efficacité publicitaire (ou mieux: autopublicitaire) et qui est favorable à la création de formes nouvelles. Si, d’autre part, nous analysons ce même phénomène selon les données de la « théorie de l’information », nous pouvons considérer que le renouvellement formel de l’objet relève d’une nécessité d’activer incessamment son pouvoir d’information (puisque son vieillissement est dû au degré d’expectation qui diminue chez le consommateur et qui est proportionnel à la quantité d’information offerte par l’objet même).
Ainsi, la Cité nouvelle doit être projetée et planifiée en fonction de la mutabilité formelle des éléments produits à l’échelle industrielle (le projet de Brasilia me semble un exemple superbe de cette « souplesse urbanistique » qui contraste avec la rigidité des villes du passé, depuis les villes hippodamiennes jusqu’aux villes nordaméricaines, sauf peut-être les villes baroques).
Finalement, je considère comme fondamentale la collaboration la plus intime entre l’architecture et les arts industriels, puisque l’aspect des villes futures sera déterminé, plutôt que par une « synthèse des arts majeurs » (selon une formule désormais périmée), par une synthèse des arts procédant de l’intégration de la création artistique avec la technique industrielle.