Les rapports entre l'architecte et l'ingénieur | Jean Prouvé

Français. Ingénieur et constructeur. Professeur au Conservatoire National des Métiers. Collaborateur de Mallet-Stevens et Le Corbusier. Membre fondateur de l’Union des Artistes Modernes. Grand prix d'architecture du Cercle d’Etudes Architecturales. Créateur de la Société « Les Constructions Jean Prouvé ». Ingénieurconseil du Pavillon de la France à Bruxelles, du Palais des Congrès à Liège, de l’Institut des Pétroles à Paris, du Pavillon du Luxembourg à Bruxelles et, actuellement, du C.N.I.T. en construction au Rond-Point de la Défense à Paris. Auteur de nombreuses constructions rationalisées et réalisées avec emploi important d’alliages légers.

Architecte? Ingénieur? Pourquoi se poser cette question? II s’agit de bâtir.

De par le monde, il se construit une quantité de choses: avions, automobiles, machines-outils, ouvrages d’art, etc... L’habitation individuelle ou collective, l’édifice public sont des objets construits à l’égal des précédents pour lesquels la question ne se pose jamais de savoir comment les hommes se sont partagé le travail au sein d’une industrie dirigée en général par un esprit animateur.

Tout objet à créer impose à la base une « idée constructive ». Spontanément, l’homme, le constructeur le voit dans l’espace complètement fini. Les matériaux qu’il connaît, l’ont inspiré. Le parti est déterminé.

Je crois qu’aucun objet construit valablement, grand ou petit, n’a échappé à cette règle.

On exécute ensuite. Tous les techniciens et spécialistes indispensables font équipe et travaillent « l’idée » qu’ils doivent respecter. Leur science permet les contrôles qui seuls, peuvent imposer un remodelage dans l’esprit du créateur.

Parfois ce contrôle aboutit à l’écoulement de l’idée.

Elle était pour le moins douteuse. Un bon et bel avion, un pont ayant les mêmes qualités ne peuvent être réalisés sans ce groupe d’hommes qui œuvrent « l’idée ».

Pourquoi ces constructeurs d’avions, de barrages, etc...

ne porteraient-ils pas le titre d’architecte? On réalise ainsi immédiatement que l’architecte doit être forcément ingénieur: sans cela il ne peut y avoir d’idée sérieusement défendable. L’architecte, comme l’industriel créateur, n’arrivera à la réalisation de son idée qu’avec le concours de l’équipe d’ingénieurs.

H y a des hommes dont la formation est celle de l’ingénieur et qui sont indiscutablement de grands architectes. La réciproque existe; pourrait-on imaginer que les architectes ne soient que les stylistes de la construction? Cette question vient à l’esprit, puisqu’il faut débattre de la position de l’architecte devant l’ingénieur, ce qui est grave. Mon opinion est justement Que la question ne devrait pas se poser.

En fait, et en général, l’architecte a son agence avec ses collaborateurs. Le ou les ingénieurs qu’ils consultent ont aussi leur bureau et leurs collaborateurs. L’entreprise a les siens, toujours avec des ingénieurs, des cadres et des ouvriers, soit trois organismes autonomes, assez jaloux de leurs prérogatives, osons le dire, et n’échappant pas, car ce sont des hommes, à la pratique de la critique de ce qu’ils n’ont pas fait, pour y substituer leur propre idée.

Tout en est amoindri et l'architecte souffre, c’est le compromis!

Après les déductions qui précèdent et qui sont fondées sur une conviction profonde, elle-même étayée sur l’observation et l’analyse, je me dois de présenter dans l’ensemble l’organigramme des tâches, en fait la hiérarchie, telle qu’elle serait souhaitable:

— Architecte ŒUVRE

— Corps d’ingénieurs ŒUVRE

— Dessinateurs ŒUVRE

— EntrepriseŒUVRE

Peut-être pensez-vous que j’enfonce des portes ouvertes?

Cependant, tout autre objet que le bâtiment est réalisé par un seul organisme, une seule industrie, assimilable à une entreprise. Or si l’on veut situer le mal dont souffre l’architecture, on doit réaliser que le bâtiment est le seul objet construit par une profession dont la situation est libérale, par une sorte d’avocat. Là est la cause du retard de l’architecture, donc du bâtiment, par rapport aux progrès rapides de la production industrielle moderne.

Jean Prouvé