L’éducation artistique | Sir Herbert Read
Dans presque tous les pays du monde, on comprend aujourd’hui que l’éducation au moyen de l’art (plus que l’éducation artistique) dépasse le domaine restreint de l’éducation pure.
Les raisons en sont diverses, mais, pour résumer un sujet complexe, je dirai que si le besoin de réforme dans les méthodes d’enseignement de l’art se fait sentir depuis longtemps, s’il est même reconnu par tous (à l’exception de quelques admirateurs obstinés des traditions académiques), les conséquences de ce mouvement ne sont pas encore pleinement acceptées par le grand public.
L’éducation par l’art revêt une importance qui dépasse la sphère professionnelle, et ceci pour deux raisons.
La première est psychologique. Platon l’a clairement exposée il y a plus de deux mille ans. Le développement d’une personnalité dotée d’une âme harmonieuse et sereine dépend de la capacité pour l’individu de réaliser un équilibre entre le monde intérieur des instincts et des désirs, et d’autre part le monde extérieur; il dépend donc de la faculté d’adaptation au milieu, selon des normes satisfaisantes (et anoblissantes, aurait ajouté Platon). L’équilibre psychique implique pour l’homme plus qu ’une simple possibilité de survie, au sens biologique du mot. Depuis que nous avons développé notre conscience, nous avons besoin non seulement de satisfaction animale, mais encore de cet état mental que nous appelons tantôt contentement, tantôt sérénité, tantôt bonheur. L’activité créatrice, la faculté d’adaptation au monde extérieur selon des normes satisfaisantes, tel est le moyen le plus direct et le plus positif pour obtenir cet équilibre mental. Une partie du monde extérieur, auquel nous devons nous adapter, est constituée non seulement d’objets mais aussi de personnes. Nous vivons en groupes: en familles, en collectivités urbaines, en nations. Nous avons besoin de communiquer avec ces « autres gens », et, à cette fin, nous avons créé plusieurs langages. Pour exprimer nos pensées rationnelles, nous possédons un système de signes, savamment organisé en combinaisons de mots et en syntaxe logique. Mais un langage verbal
ne peut pas communiquer nos états d’âme, nos émotions, nos intuitions irrationnelles ou supra-rationnelles. A cette fin nous avons créé le discours symbolique, qui est un langage non pas de mots mais d’images —« formes perceptibles qui expriment le sentiment humain » (Suzanne Langer). L’Art est un nom générique pour ce langage symbolique dans toutes ses
variantes. La fonction de l’art est de créer et de perfectionner les formes qui constituent ce langage symbolique, visant à transmettre à la sensibilité humaine une sorte de connaissance qui ne peut être transmise par d’autres moyens. De l’exercice de cette activité créatrice dépend le développement de la sensibilité elle-même, et c’est pour cette raison que l’art revêt une si grande importance dans la vie intellectuelle et même dans la vie productive (industrielle) de l’humanité. Les sciences dépendent fondamentalement d’instruments que leur ont légué les arts. Un peuple ne peut devenir une nation, au sens historique et culturel, que si la vie de la communauté s’exprime au travers d ’œuvres d’art appropriées et durables. Si harmonieux et serein que soit le tempérament de l’homme, il ne se sentira pas heureux tant qu'il n’aura pas participé à des activités collectives. La plupart de ces activités consiste en des jeux et des compétitions, ce qu’il ne faut pas déplorer. L’Art lui-même n’est-il pas une sorte de jeu? Et comme l’a dit Platon, la vie, elle aussi, gagne à être considérée comme
un jeu. La plupart des jeux nous épuisent physiquement (agréablement aussi), mais l’art est une sorte de jeu qui nous vitalise et qui revigore la communauté. C’est pourquoi, tout au cours de l’histoire, les périodes les plus marquantes et qui méritent notre plus profonde sympathie et notre admiration sont celles qui ont vu l’art s’épanouir.