Félix candela, Architecte, ingénieur et constructeur | alberto sartoris
Il n’est pas indispensable, comme on l’a fait jusqu’ici, de diviser le domaine de l’architecture nouvelle en deux mondes pour comprendre l’œuvre polyvalente de Félix Candela.
On a en effet, fort injustement, relégué dans une sphère isolée l’architecture de formes simples, cubiques, abstraites et purement géométriques ne répondant soi-disant qu’à de rigides et inflexibles principes mathématiques et plastiques, pour mettre en lumière l’architecture de formes ondulantes et volantes, de formes en expansion et en mouvement caractérisant un sens plus souple, plus libre et plus intuitif de la composition: tendance à laquelle appartiendrait Candela. Mais on oublie que ces deux courants se compénètrent avantageusement, qu'ils se complètent, et qu’aussi bien dans l'un que dans l’autre la structure a cessé d’être un élément honteux, semi-occulte ou secondaire, parce qu’il constitue désormais un organe primordial participant à l’expression même de l’édifice.
Aujourd’hui, on n'accorde pas encore assez d’importance, au statut particulier qui a donné le jour aux réalisations extraordinaires de Félix Candela et à l’influence qu’elles exercent actuellement. A l’exemple de tout bon architecte espagnol qui se respecte, Candela ne dresse pas seulement des projets, mais il les calcule et, de plus, il les construit personnellement. Né en 1910 à Madrid, où il fit ses études à la Faculté d’Architecture de l’Université qui lui décerna son diplôme d’architecte en 1935, il se rendit ensuite en Allemagne à titre de pensionnaire de la « Bourse Comte de Carthagène ». En 1939, il partit pour Mexico et devint citoyen mexicain en 1941. Après quelques années de pratique générale, il fonda avec son frère Antonio, en 1950, l’entreprise « Cubiertas Ala S.A. » qu’il dirige et qui s’est spécialisée dans la création et la construction de structures, de voûtes-coquilles et de grandes couvertures-coques en béton armé. Depuis 1953, professeur de dessin à l’Ecole d’Architecture de l’Université Nationale Autonome de Mexico, il donna des cours sur les structures, notamment aux Etats-Unis en 1954 (University of Ann Arbor, Massachusetts Institute of Technology à Cambridge) et en Angleterre (Londres, 1959). Comme architecte, ingénieur et constructeur, Félix Candela éleva des bâtiments au Mexique; comme ingénieur et constructeur, il calcula et exécuta plus de 300 structures au Mexique, au Guatémala, au Venezuela, au Pérou, à Cuba et à Porto-Rico; comme ingénieur-conseil, il travailla au Mexique, au Venezuela, aux Etats-Unis, en Angleterre, en Colombie et à Cuba (où, en 1956, il fut appelé pour étudier les problèmes structuraux du Palais Présidentiel de La Havane conçu par le grand architecte espagnol José Luis Sert). En outre, Candela a dressé, pour les Etats-Unis, les projets de l’église d’Oklahoma et de la banque de Houston.
Parti des principes de la fameuse voûte catalane, des structures de Gaudi et de la tradition mexicaine des coupoles à arcs-boutants, des portails non adossés et des voûtes d’arête, Candela a fini par établir les fondements d’une nouvelle philosophie structurale. D'autre part, dans la théorie statique de la poussée des terres et des piliers en béton fretté, il a amélioré la solution connue de Considère en concevant des voûtes dont les consoles en forme de cloche et constituées par quatre éléments de paraboloïdes hyperboliques unis s’adaptent au terrain et répartissent parfaitement la charge des piliers.
Félix Candela soutient une thèse liminaire et extrême. Le béton armé, écrit-il, est impropre au travail à la flexion; forgé en poutres prismatiques, tout le béton armé situé sous l'axe neutre n’est en somme qu’un poids mort.
En poursuivant l’œuvre de la nature au moyen de son système constructif de dômes et de membranes, il en a fait la claire démonstration.
Grand technicien et plasticien des voûtes légères, des coques laminées en béton armé, des voiles incurvés minces, des voûtes d’arête audacieuses, des porte-à-faux multiples en éventail, des couvertures à parapluies renversés, des coupoles à plan carré et triangulaire, des structures sur piliers, des organismes combinés et des coffrages mobiles, Candela a utilisé les paraboloïdes hyperboliques et les génératrices droites dans la plupart de ses travaux.
Certes, on peut bien imaginer que cette méthode — qui, pour éviter les efforts de flexion, préconise des surfaces incurvées antiélastiques et d’une grande rigidité — comporte un registre de possibilités et de formes varié et étendu. Mais, de l’avis même de son auteur, il n’est ni illimité ni inépuisable, car il doit s’astreindre à certaines conditions qui, en définitive, restreignent singulièrement son champ d'invention. Alors même qu’on croit pouvoir s’adonner librement à tous les degrés de la fantaisie, on se heurte au contraire à d'énormes difficultés et à des obstacles souvent infranchissables.
Candela range la technique au service de l’architecture, comme il attribue plus d’importance à l’intuition qu'à la déduction. Selon lui, dans la composition des structures il y a beaucoup plus d’art que de science. Il estime que l’art, dont les créations sont fondées sur les investigations de la science, se place à un degré beaucoup plus élevé que la science, attendu que celle-ci ne se préoccupe que de la connaissance. Dans l’œuvre de Candela, la technique devient un art, le calcul et l’intuition constructive ne représentant que des moyens naturels pour inventer des formes belles. Les solutions, a-t-il dit, qui sont techniquement et esthétiquement résolues, ont eu pour règle la « beauté potentielle ». Cependant, pour concrétiser cette beauté à « caractère méditerranéen », pour que le résultat de l'opération puisse être un témoignage de l’art et puisse se convertir en architecture, il est manifeste que dans le processus créateur doit intervenir la « volonté de forme » qui profile et accorde les différentes nécessités et fonctions techniques.
Plasticien aussi exact et pénétrant qu’il est savant mathématicien, Félix Candela fait dépendre ses réussites plus de la forme dont il a eu l’intuition que des calculs qui s’y rapportent. Il affirme que la fonction structurale, l’expression et l’esprit d’une construction sont surtout tributaires, dans leur cheminement vers l’art et la synthèse de l’architecture, de la forme pensée, ordonnée, homogène, stable et harmonieuse.
Alberto Sartoris