Marcello Nizzoli, créateur complet | Alberto Sartoris

Pendant que s’accentue, à coups de règlements municipaux aussi maladroits qu’inopportuns, la campagne d’atrophisation de l’architecture pour recouvrer un soi-disant cachet pittoresque que la véritable tradition n’a jamais poursuivi ni connu, des constructions nouvelles qui marquent nos recherches du sceau de l’espérance s’élèvent envers et contre tout. Elles sont l’œuvre de pionniers, tels que Marcello Nizzoli, qui continuent imperturbablement leur marche ascendante au milieu d’innombrables difficultés.

Les partisans d'un système néfaste aboutissant sans conteste à la suppression de l’épine dorsale des cités, ont beau prétendre qu’ils défendent les valeurs humaines et les caractéristiques locales des centres urbains, les réalités s’inscrivent en faux contre cette légèreté d'esprit dont nous aurions cru notre époque absolument incapable.

En effet, la survivance de l’authentique architecture ancienne n’est assurée que par sa réunion à la nouvelle architecture, par l’équilibre qu’établit l’unité dans la diversité et que procure l’intégration du passé au présent.

Il faut créer pour ajouter un style à d’autres styles et non se satisfaire de l’immobilisme en imitant, en abaissant et en caricaturant les styles qui nous ont précédés.

C’est en s’inspirant des méthodes qui produisirent autrefois le rythme différencié des innovations qui se succédèrent à travers les âges, que Marcello Nizzoli parvint à inventer une des méthodes créatrices des innovations d’aujourd’hui.

Nizzoli, qui eut souvent pour collaborateurs l’écrivain d’art Edoardo Persico et les architectes Dino Bianchetti, Giancarlo Palanti, Ugo Sissa, Gian Antonio Bernasconi, Annibaie Fiocchi et G. Mario Oliveri, est un des maîtres de l’architecture contemporaine et de l’art abstrait, un artiste complet dans le sens le plus rigoureux du terme. Architecte, peintre, sculpteur, dessinateur, décorateur, ensemblier et graphiste, il est né à Reggio Emilia (Italie) en 1895. C’est à l’Académie des Beaux-Arts de Parme qu'il a fait ses études d’architecture, de peinture et de décoration.

En y présentant des agencements et d’importants travaux d’architecture intérieure, il a participé, notamment, aux Foires d'échantillons et à toutes les « Triennali » de Milan (dans le cadre de celle de 1936 il réalisa l’inoubliable et prestigieux Salon de la Victoire), à l’Exposition de la Révolution (Rome, 1932), à la Première Exposition de l’Aéronautique Italienne (où il architectura la célèbre Salle des Médailles d'Or qui transforma totalement les conceptions de la composition pariétale, Milan, 1934), à l’Exposition Universelle de Paris (1937) et à l’Exposition du Minerai (Rome, 1938).

En 1935, Marcello Nizzoli donna une forte impulsion à l’architecture abstraite et créa un modèle du genre, le Magasin Parker à Milan, dont l’influence se fit sentir dans le monde entier.

A Ivrea (Piémont), il construisit, entre autres, un bloc de maisons pour les ouvriers des Etablissements industriels Olivetti (1941-1942) et, pour les employés, une série d’immeubles locatifs (1950), un groupe de six maisons unifamiliales (1950), un quartier résidentiel formé de bâtiments en rangées (1951) et des unités d’habitation de quatre logements (19511953). A Milan, en 1954, il édifia le siège de la direction commerciale italienne de la Société Olivetti; à San Donato Milanese, en 19561957-1958, le bâtiment des services généraux et le majestueux building de PENI.

De plus, dès 1940, Marcello Nizzoli a orienté son activité vers le dessin industriel, vers la forme belle et utile, vers la création de modèles d’art à produire en série. A 1’« industrial design » il a fait prendre conscience de son véritable objectif, qui est celui d’amener le produit fabriqué à devenir — même figurativement -— la synthèse de ses qualités mécaniques. Le principe de la forme utile doit partir du mobile tendant à mettre en valeur une œuvre standardisée au moyen d’une esthétique née d’une responsabilité artistique et technique.

Dans ce domaine, ses premiers travaux lui furent commissionnés par la Société Olivetti, pour laquelle il modela toutes les « carrosseries » de ses machines à écrire et à calculer. En 1948, il exécuta le modèle de la machine à écrire « Lexicon », qui eut un succès retentissant et dont un exemplaire figure au Museum of Modem Art de New-York. La machine à écrire portative « Lettera 22 », qui obtint le prix du «Compas d’Or» en 1954, fut classée en 1959, par les experts de l’Illinois Institute of Technology de Chicago, au rang du meilleur exemple mondial de produit fabriqué en série choisi parmi cent types sélectionnés de 1860 à nos jours. Marcello Nizzoli dessina également les machines à coudre « Supernova » et « Mirella », de la firme Necchi, auxquelles furent décernés le second et le troisième « Compas d’Or ».

Quelque vingt-cinq ans après, les inventions méditerranéennes de Nizzoli restent valables pour les constructeurs de nos jours. Ce qui est intangible dans sa doctrine se retrouve et se développe dans les formes et les plans des courants les plus divers de l’architecture nouvelle. Ses œuvres les plus récentes, le Palais Olivetti et le Palais de PENI, traduisent une réelle sincérité, une forte nature, une rare sensibilité. Elles ne s’en tiennent pas à des effets seulement expressifs, à des formules exclusivement lyriques, mais elles accomplissent — à travers un dépouillement plastique — la transposition architectonique d’une composition structurale et technique. Il est évident que Marcello Nizzoli a voulu faire une synthèse d’une partie de ses expériences précédentes.

Il semble bien que nous sommes ici une fois de plus en présence d’une architecture qui conserve sa force première, son élan initial, toute la fraîcheur et la richesse de son essence rénovatrice. Rien n’est plus difficile que de donner l’idée d’une œuvre esthétiquement élaborée en ne recourant qu’aux ressources de la science et de la logique. Mais Nizzoli, qui sait écarter les hasards arbitraires, démontre que les principes de la construction fonctionnelle ne peuvent se départir de leur condition fondamentale. En s'attachant toujours davantage a faire de l’architecture un espace construit, ils demeurent profondément actuels.

Alberto Sartoris