L’œuvre d’Otto Senn, architecte | aLBERTO SARTORIS

Né en 1902, diplômé de l’Ecole Polytechnique Fédérale en 1927 (Professeur Karl Moser), Otto Senn a sa place dans les années évolutives de la construction nouvelle. Son œuvre passée et ses travaux actuels sont surtout un accord formel et spirituel avec l’architecture. Après deux ans d’activité pratique dans la construction de cliniques et hôpitaux (Dr R. Steiger, 1928-1930), Otto Senn poursuit ses études à l’étranger (Angleterre et USA). En 1933 à Athènes, au Congrès CIAM, il présente avec Lônberg-Holm une étude sur l’urbanisme à Detroit. Il a depuis 1933 son bureau personnel à Bâle. Les quelques dates biographiques sont là simplement pour montrer l’appartenance d’Otto Senn à une génération qui a vécu les premières phases seulement de l’architecture nouvelle, celles qui sont devenues historiques. Et ses réalisations de l’époque font que les jeunes se demandent s’ils ont avancé d’un pas, et dans quelle mesure.

Je ne présenterai pas ici un catalogue de l'œuvre de l’architecte. Je tenterai de montrer l’évolution dans ses différents travaux. On a parfois reproché à Otto Senn d’attacher à sa personne trop d’importance, sans vouloir remarquer que, mieux qu’aucun autre, il se faisait absolument le serviteur d’une œuvre, partant, d’une cause. Qualité singulière à notre époque où il est fréquent que l’architecte, de son travail, s’érige un monument. L’évolution n’est possible que par une synthèse intensive et constante de ce que Senn appelle architecture — l'incitation toujours renouvelée de la matière à la forme. En comparant réalisations de 1934 et projets les plus récents, il est clair que ses travaux ne négligent aucune des questions les plus brûlantes. Questions que Senn a exposées, qu’il a mises en discussion dans de nombreux articles.

« Raum als Form » (L’Espace en tant que Forme), tel est le titre d’un article paru en 1955 dans « Werk ». Senn tente d'y montrer l’évolution et la conception neuve du phénomène Espace depuis la « nouvelle construction» jusqu’à aujourd’hui. Il expose quatre thèses renfermant le problème Forme-Espace dans sa généralité. La première: «Le moyen d’expression architectonique élémentaire réside dans la corrélation du volume disponible et de l’espace immatériel. Nous appelons espace le phénomène de cette relation mutuelle.» La deuxième thèse établit que, conformément à la modification de l’espace représenté, le principe de la manifestation de cette représentation se modifie également. La troisième thèse fixe l’inévitable relation de la forme et de l’expression. La quatrième thèse énonce le problème de la forme et du contenu: «La forme se présente comme l’idée concrétisée du comportement social dans l’espace. » Si l’on considère les premières réalisations de Senn, celles qu’intéressait un langage architectural neuf pour l’époque (Riehen: Jeu avec cubes divers (1); Binningen: un cube « concave » (4) et la maison d’habitation de Saint-Prex, on constate une nette et significative modification de structure. Le vocabulaire né dans les années 20 est resté le même.

L’apparition du cube, par contre, n’obéit pas seulement à une abstraction formelle mais traduit l’actuelle signification du facteur sociologique. Il repose sur l’identité structurelle de l’espace avec le « comportement social » des habitants. Dans la maison d’habitation de Gerzensee (2) et plus clairement encore dans celle de Saint-Prex, les rapports réciproques de l’individu et de la communauté, tels que les exige la vie familiale, sont visiblement accentués.

Les exemples d’urbanisme permettent de constater une évolution semblable. Dans les années 20 et 30, l’intérêt principal était l’hygiène. Mais en 1954 Giedion écrivait (10 Ans d’Architecture Moderne): «Pour rétablir le contact perdu entre le Moi et le Toi, qui fait l’essence d’une ville véritable, l’architecte doit posséder quelque chose que nous appellerons l’imagination sociale. » L’œuvre d’Otto Senn prouve abondamment qu’il est riche de cette imagination.

A Oesterleden (fig. 10, p. 114): la densité d’habitation des rangées de constructions existantes (88 m. de longueur, 27 m. de distance et respectivement 25 m. pour des rangées longues de 57 m.) = 650 habitants/ha. (Chiffre d’utilisation 1,9, surface construite 28 %).

Le projet a prévu une utilisation relativement en hauteur. La rangée de bâtiments à sept étages se combine avec des maisons hautes de 12 étages (meilleur ensoleillement, plus grande distance du voisin et surtout à chaque appartement sa part de verdure). Densité de construction dans ce cas: distance minima de rangée à rangée 100 m., chiffre d’utilisation 0,9, surface construite 9,5 %, 300 habitants/ha.

Le Hechtliacker, à Bâle (p. 116): le plan prévoit une zone de maisons d’habitation à deux étages. Le terrain en pente vers le nord constitue une ceinture de verdure qui sépare la colline du Bruderholz (maisons pour une seule famille) des quartiers à forte population. Dans ce cas la maison haute est la seule possibilité d’utiliser le terrain en conservant la zone verte. Il ne s’agit pas là d’une recherche arbitraire de conquête spatiale, mais d’une forme d’habitation exigée par la situation particulière de la surface à construire. (Notons que les discussions pour l’obtention de l'autorisation de construire durent depuis 7 ans).

Le projet du quartier d’habitation du Geliert (p. 114) pose la question du principe de la configuration des quartiers d’habitation. Les maisons sont ordonnées en fonction d’un complexe de bâtiments publics et communautaires (église, école, magasins). Elle sont en lignes et aussi séparées. Place de jeux pour les enfants. On remarque la différentiation des appartements par rapport à l’ensemble, les vastes environs conçus à la façon d’un parc, la création d’un véritable ensemble plutôt que d’une uniformité dépourvue de correspondances. Une surface construite à 22 % donne, dans ce genre de construction mixte, un chiffre d’utilisation de 0,74 et une densité de 260 habitants/ha. Les projets pour la place de la gare et pour un centre culturel dans Bâle même (fig. 17) permettent à Senn de mettre l’accent sur deux points essentiels de la vie communautaire.

Tous deux donnent autant d’importance à l’espace entre les corps de bâtiment qu’aux bâtiments eux-mêmes. La place est un centre significatif. Dans le cas de la place de la gare: un emplacement de réception et un répartiteur de trafic. Dans le cas du centre culturel: une agora.

Otto Senn a écrit une fois que les pôles du problème de la « Concrétisation du Comportement Social dans l’Espace » étaient l’urbanisme d’une part, la construction des églises de l’autre. A Senn revient le mérite d’avoir tenté ces dernières années, dans le domaine du bâtiment religieux, une formule de base nouvellement pensée.

Le concours pour la construction d’une école demandait aussi la réfection appropriée de la place de l’église. Senn profita de l’occasion pour formuler architectoniquement ses conceptions de l’ordonnance spatiale de l’ensemble des églises réformées. Senn n’a jusqu’ici construit aucune église mais le refus de ses propositions a ouvert le champ à une vaste et vibrante discussion. Elle n’a pas manqué de porter ses fruits et Senn a profité de ce que ses projets n’avaient pas été compris pour dénoncer à son tour la totale incompréhension de la tradition du bâtiment réformé et dégager les points essentiels à un renouvellement. Il s’élève contre la fausse alternative du bâtiment central/grande nef parce qu’elle ne s’applique qu’à la forme de la construction. Dans « Eglises du Présent » il écrit même : « Sont déterminants pour la construction d’un lieu de culte en tant que lieu de prédication: la formation de l’assemblée, l’emplacement laissé libre pour le mouvement, les conditions de vue et d’ouïe.

Pour la décision, ces alternatives s’imposent: a) Le lieu de la réunion est le cadre même qui libère le regard dans un au-delà. Le lieu de la réunion est l’emplacement même de la prédication.

b) L’assemblée, réunion fermée, est alignée longitudinalement et les regards parallèlement conduits s’arrêtent sur une paroi frontale ou plongent dans la baie d’une abside ou d’un chœur. Ou bien l’assemblée se compose de groupes orientés vers le centre. L’indispensable contact avec ce qui se passe est assuré par l’œil et l’oreille.

c) Chaire et autel se trouvent dans un emplacement séparé du podium frontal. Chaire et autel sont incorporés à l’assemblée. Ils y trouvent leur place. La chaire adopte l’ordre des sièges et l’autel marque le centre.» Les projets ici présentés nous montrent clairement à quelle partie de ces initiatives appartient l’avenir.

Rolph Gutmann