La construction scolaire en Suisse, hier et aujourd’hui | Alfred Roth

La situation actuellement réjouissante de la construction scolaire en Suisse est le résultat de l’évolution intensive et vivante de ces dernières années.

Nombreuses et variées sont les réalisations dues à de remarquables prestations individuelles. Une série de projets riches d’idées nouvelles autant que valables sont en voie d’exécution ou en préparation.

Cela laisse à entendre que les programmes de construction scolaire de nos grandes comme de nos petites communautés sont loin d’être entièrement achevés. Qu’il soit possible de parler en Suisse d’une construction scolaire exceptionnellement réjouissante est tout à l’honneur de la population et des autorités. Il convient cependant de ne pas négliger les résistances neuves ou anciennes que suscite çà et là une solution du problème adaptée à notre époque. Par la construction d’écoles, cette belle tâche qu’impose à la communauté la formation d’une jeunesse saine, un peuple exprime clairement sa volonté de vie et de culture, son sens social et sa capacité de sacrifice. Dans ce domaine notre pays est aujourd’hui en très bonne voie. On peut le dire sans prétention et constater avec satisfaction que le travail de pionnier des architectes, des pédagogues et des représentants des autorités vouant leur activité à la construction de bâtiments scolaires et à la formation des jeunes a finalement conduit au succès.

Comparé à la construction des logements d’habitation, bien plus importante en volume, il règne dans le secteur construction scolaire une conception sensiblement plus vivante et plus claire, si bien qu’il est juste de compter au nombre des réalisations marquantes de la nouvelle architecture suisse nos bâtiments scolaires les plus réussis. Au pays du grand pédagogue et philanthrope Henri Pestalozzi, ce résultat concluant aurait dû être enregistré depuis longtemps déjà. Espérons que, précisément parmi les membres du corps enseignant dont la majorité semble malheureusement rester réservée face au problème de la construction scolaire, on se rappellera les préceptes du maître et on joindra finalement son effort à ceux des pédagogues et des architectes pour aboutir à une solution commune. Cette avance dans le domaine de la construction scolaire peut être attribuée à la nature essentiellement vivante de l’œuvre à accomplir, dans la mesure où elle peut s’assurer l’enthousiaste collaboration de la jeune génération et celle des meilleurs parmi nos architectes réputés. L’habitude typiquement suisse du concours officiel explique en grande partie cela. En suscitant de nouveaux talents, de nouvelles idées elle a eu sur la construction scolaire un effet très enrichissant. Il convient encore de reconnaître une évolution générâlement positive: les autorités, d’elles-mêmes ou conseillées judicieusement par les associations professionnelles FAS et SIA réunissent des jurys capables de juger les projets selon un point de vue actuel. Ce n’était souvent pas le cas autrefois.

Une fois établie la situation réjouissante de notre construction scolaire, il convient maintenant de dénoncer certaines faiblesses et la persistance de quelques difficultés. Mentionnons tout d’abord, dans une partie du monde professionnel, la tendance généralisée à la nature superficielle et au formalisme, soit l’abandon des points de vue primaires pédagogiques et psychologiques, questions que l’auteur de ces lignes a déjà critiquées à diverses occasions. C’est pourquoi, dans la suite de son exposé il va se concentrer sur le thème propre, notamment les différentes étapes de l’évolution du problème de la construction scolaire, en ne donnant naturellement que les caractéristiques essentielles.

Aux environs de 1900 Chez nous en Suisse comme dans d’autres pays, l’instruction publique, liée aux communes et aux cantons, est devenue telle depuis un peu plus d’un siècle seulement. Le bâtiment d’école est donc une tâche d’architecture relativement jeune et nouvelle. Que le XIXe siècle, imitateur de styles, n’ait guère apporté de solutions fondamentales dans ce domaine, la chose n’est pas surprenante.

Cependant, vers la fin du siècle se développa un bâtiment scolaire d’un type particulier. Ses caractéristiques: un escalier central et à droite et à gauche une classe dont trois façades libres sont pourvues de fenêtres. Les salles généralement vastes (jusqu’à 100 mètres carrés) reçoivent la lumière de trois côtés. En outre, l’aération transversale est assurée de la manière la plus simple.

Ce type d’école, qui compte dans la règle trois étages, donc six classes, peut être considéré comme le premier modèle du bâtiment scolaire actuel, analogue, quoique fort agrandi, avec des classes éclairées de deux côtés. A cette époque les questions de l’urbanisme et du cadre n’entraient pas en ligne de compte, c’est pourquoi on ne saurait lui reprocher d’avoir fait passer la représentation avant les considérations d’ordre pratique et économique, non plus que d’avoir placé ses écoles de préférence sur des places et dans des rues importantes plutôt que dans le calme et la verdure.

De 1900 à 1930

C’est la période de la caserne scolaire avec son alignement schématique de classes étroites, longues, éclairées unilatéralement. On continue d’apprécier le monumental. La population augmente fortement et, avec elle, la concentration des quartiers d’habitation urbains, ce qui amène une surdimension du bâtiment scolaire. De cette époque datent les ordonnances spéciales pour la construction scolaire, qui règlent de manière fixe les dimensions des classes (par exemple, pour les classes primaires: largeur 6,5 m, longueur 10,2 m).

Le type 1900 mentionné plus haut est complètement oublié et ne trouve pas à se développer.

De 1930 à 1939

Les bouleversements profonds dans la création artistique et spirituelle du XXe siècle, particulièrement la connaissance de l’homme, de la raison, de la nature, de la technique vont révolutionner l’architecture et amènent dans la construction scolaire également un renouvellement fondamental.

Certains pays, l’Allemagne surtout, font campagne pour l’enseignement en plein air et l’on voit naître le pavillon à un étage, au cœur de la nature.

L’Angleterre en a donné le modèle. Aux environs de 1929 est construit à Niederursel près deFrankfurt-am-Main la première école à deux étages et à escalier central. Ses classes sont éclairées de deux côtés. Elle s’apparente donc à notre écoletype de 1900. En 1932 le Musée des Arts Décoratifs à Zurich organise, sous la direction de son directeur d’alors, M. A. Altherr, une exposition du bâtiment scolaire sous le titre « L’Enfant et son Ecole ». Les aspects fondamentaux d’une conception du bâtiment d’école adapté à l’école y sont représentés d’une manière frappante. L’architecte W. M. Moser et quelques camarades, le Dr Willy Schohaus directeur d’école et le Dr W.

von Gonzenbach professeur d’hygiène ont mis sur pied l’exposition. Un an plus tard paraît (SchweizerSpiegel-Verlag, Zurich) une brochure portant le même titre et rédigée par les trois mêmes auteurs.

Exposition et publication secouent fortement les idées préétablies. Elles n’ont toutefois qu’un rayonnement relativement restreint sur la réalisation des nouveaux postulats. Sans doute les contraintes extérieures sont-elles encore trop marquées.

(Opposition des architectes, du corps enseignant, des autorités et de la population!) Pourtant le projet d’une école pavillonnaire présenté par le professeur Fr. Hess au concours de 1932 pour un nouveau bâtiment scolaire à Alstetten obtient le premier prix. On n’a malheureusement pas envisagé son exécution. Dans ce même concours l’auteur de cet article propose sans succès aucun un bâtiment scolaire à deux étages selon le principe de la construction avec escaliers intercalés. En 1934 une école conçue selon ce même principe est réalisée à Lachen, au bord du lac de Zurich. C’est la première école du genre en Suisse. En 1936/1937 suit un deuxième exemple semblable mais plus achevé, l’école primaire «Buchholz» de Zollikon (architectes Kräher et Bosshard). En 1938/1939 la première école à rez-de-chaussée est enfin construite sur territoire suisse, à Bâle sur le Bruderholz.

Il a pour architecte Hermann Baur, FAS. Le nouvel essor pris par la construction scolaire dans notre pays se brise malheureusement sous l’influence des tendances architecturales réactionnaires prévalant en Allemagne nazie.

De 1939 à 1950

Les années de la Deuxième Guerre Mondiale marquent un temps d’arrêt dans le domaine général de la construction. Peut-être est-ce justement la raison pour laquelle s’éveille l’intérêt pour les questions d’urbanisme et de planisme (1943 voit la fondation de l’Association Suisse pour le Planisme régional et national). Dans le secteur construction scolaire la ville de Zurich, sous l’impulsion de son architecte en chef A. H.

Steiner se distingue par ses recherches sur la répartition organique des bâtiments scolaires dans les quartiers d’habitation et dans les futures zones vertes de la ville. On propose une différenciation dans la grandeur des écoles (Jardins d’enfants Petites écoles - Ecoles normales - Grandes écoles).

A peine un peu plus tard Berne et ses services compétents entreprennent des études analogues sur la répartition des jardins d’enfants dans la cité.

De 1950 à nos jours

Dès la fin des hostilités on assiste dans la Suisse entière à une reprise généralisée, intensive et durable de l’activité dans le bâtiment. Pendant les premières années de l’après-guerre il règne dans le secteur construction scolaire, du point de vue des idées, une incertitude apparente. Il fallait tout d’abord triompher des conceptions réactionnaires.

Dans la revue mensuelle Werk, organe officiel de la FAS, sont discutés régulièrement sur la donnée des exemples et des efforts fournis tant chez nous qu’à l’étranger les problèmes fondamentaux relatifs à une construction scolaire vivante. En 1950, l’auteur de cet article fait paraître un livre rédigé en trois langues et intitulé « La Nouvelle Ecole » (Ed. Girsberger, Zurich, seconde édition revisée, parue en 1956). En 1953 le Musée des Arts Décoratifs de la ville de Zurich met sur pied, sous l’impulsion de M. le directeur J. Itten, une très importante exposition de la construction scolaire ayant pour organisateur le soussigné. Un département spécial: celui de l’éducation en plein air.

En liaison avec l’exposition a lieu un congrès international. Il a pour objet le bâtiment scolaire et ses problèmes, et a été organisé par « L’Association Internationale pour l’Education en Plein Air » et par la fondation « Pro Juventute ». L’exposition, qui tombe apparemment à un moment très favorable, remporte un grand succès jusqu’à l’étranger. Elle suscite un vif intérêt chez les autorités, les architectes, les maîtres et le public. A l’occasion de l’exposition le Service des Bâtiments de la ville de Zurich, encouragé par M. le directeur Itten et le soussigné, organise un concours entre douze firmes d’architectes familiarisés avec les questions scolaires. Il s’agit de proposer un nouveau type de collège primaire. Comme nouveauté au programme: à chaque classe son coin-bricolage. Le projet recommandé est exécuté en 1956/1957 (Ecole « Chriesiweg », architectes Cramer, Jaray, Paillard). La même année est construite, à Zurich également, la grande école secondaire « Letzi », œuvre de l’architecte Gisel qui utilise l’éclairage bilatéral pour une orientation libre de l’ensemble des 24 classes.

Zurich peut donc revendiquer à bon droit la première place dans la nouvelle construction scolaire suisse mais il faut relever que d’autres villes et des localités moins importantes ont accompli des efforts dignes d’attention. Les énumérer tous nous entraînerait cependant trop loin. Que l’on mentionne simplement, parce qu’elle est particulièrement belle, l’école «Matt» à Hergiswil (1952 à 1954, architectes W. Schaad et E. Jauch) avec sa solution neuve alors de l’éclairage par le haut.

Citons aussi l’école « Wasgenring » de Bâle (1953-1955, architectes B. et F. Haller), diverses écoles grandes ou petites à Olten et dans ses environs (Architecte FAS H. Frey) et le « Parc Geisendorf » de Genève (architectes G. Brera et P. Waltenspühl) qui se distingue par une atmosphère de plaisante intimité. Dans les petits cantons, n’oublions pas Glaris où le pavillon scolaire de Niederurnen (1954), dû à l’architecte Hans Leuzinger, a trouvé une réjouissante continuation dans une série d’autres communes. Les exemples les plus récents et les plus réussis sont: le groupe scolaire « Riedhalde » à Zurich (1957 à 1959, architecte W. Gross) avec sa tour à quatre étages et l’école cantonale «Freudenberg», dans un cadre magnifique; elle n’appartient d’ailleurs pas aux bâtiments scolaires primaires (1957 à 1959, architecte J. Schader).

Sur la base des bons exemples donnés ces dernières années, un développement profitable de la construction scolaire vivante devrait être assuré désormais. Néanmoins il s’agit pour les architectes, les urbanistes et les pédagogues de poursuivre sans répit et sans défaillance la tâche entreprise et d’exiger surtout que la répartition des espaces et l’atmosphère architectonique prennent le pas sur la forme abstraite.

Alfred Roth