Luc Peire | Alberto Sartoris
Belge. Né à Bruges le 7 juillet 1916. Peintre flamand héritier d’une riche tradition artistique. Etudes aux académies de Bruges et de Gand et à l’Institut Supérieur des Beaux-Arts d’Anvers. Elève de Gustave van de Woestijne et de Constant Permeke. Prix Godecharle (1942), bourse du Prix de Rome (1947), bourse de voyage en Espagne et au Maroc (1949), bourse pour le Congo Belge (1952). Séjours aux Pays-Bas, en France, Italie, Suisse, Afrique du Sud, Iles Canaries. Depuis 1938, expositions dans les principales villes de Belgique et à l'étranger (Paris: Salon de Mai et Salon des Réalités Nouvelles). Vit en Belgique, à Knokke-sur-Mer (près de la frontière hollandaise) et à Paris. En 1953, Eduardo Westerdahl lui a consacré une importante monographie.
Pour essayer de définir la peinture structurale de Luc Peire, il faut remonter à Victor Servranckx (qui fut dès 1916 un des plus fervents promoteurs de l'art abstrait et de la forme pure en Belgique) et à Pierre-Louis Flouquet, le brillant animiste de la couleur et de la résurrection pariétale. Sans amoindrir son individualité, Peire est parti de ces supports pour retrouver à son tour l'unité perdue et la magnificence des thèmes de l'absolu. En faisant subir aux éléments plastiques qu'il a créés une opération de généralisation et de désintégration, il a tracé à travers une décantation tonale les grandes lignes stylisées d’une géométrie grandiose qui restitue aux formes irréelles et surnaturelles la réalité d'une présence.
On pourrait multiplier les exemples. Ils montreraient tous l'intervention constante de Luc Peire dans la vie intérieure des formes qu'il a choisies pour les métamorphoser, les équilibrer entre elles et les faire participer à l'architecture. Ces formes dominent entièrement un ensemble reconstitué selon un mode constructif, elles usent de leur prestige total pour donner aux expériences de Peire l'intensité d'une plénitude qui n'est jamais une illusion. Transcriptions directes des pensées que des apparences transformées lui suggèrent, les peintures de Luc Peire établissent un dialogue serré entre la couleur, le dessin et la structure architecturale aboutissant à la condamnation sévère du décor de convention. « Une étrange phosphorescence couvre les objets les plus humbles comme si la poésie n'était que ce que les choses ordinaires ont d’extraordinaire. » Cette belle observation de Georges Linze s'apparente à l’ensemble de l'œuvre de Luc Peire et revêt une double signification, une signification nouvelle.
Aujourd’hui, Luc Peire s'est fixé pour tâche de rechercher une vérité première qui rende compte de soi. Sa démarche se trouve, en principe, axée sur les innombrables problèmes de l'art métaphysique, que son noble style exploite avec le maximum de sobriété. Sans recourir au procédé révolu de la dégradation surréaliste, il amorce le prolongement actif d’une esthétique abstraite qui le fait entrer au cœur même d'une œuvre de ferveur et d’invention, il ne se borne pas à relater sur ces toiles ce qu’il a observé, ce qui l'a frappé, mais il transpose selon son esprit les motifs qui ont ouvert ses sources d'inspiration.
La juxtaposition et la compénétration étroites qu’il en fait, l'autorité en quelque sorte démonstrative dont il les revêt, établissent vraisemblablement un enchaînement de formes et de lignes qui ne tarde pas à schématiser une gerbe de thèmes picturaux.
On peut naturellement épiloguer à longueur de journée sur les avantages ou les inconvénients d'une telle méthode, mais sa valeur n'y perd rien, et l'on sait que c'est en définitive cette authenticité d'art qui assure la durée de la peinture de Luc Peire.
Malgré sa clarté et son équilibre, il est évident que cette peinture réclame une qualité de respect et d'attention humaine dont une grande part du public est manifestement incapable. Cependant, qu'il suffise de constater qu’en tenant en éveil une maîtrise, que Luc Peire sait doser et multiplier suivant les circonstances, elle remplit entièrement son rôle, qui est celui de se défendre des conquêtes faciles et immédiates, et d'estimer que sa force doit représenter l'enjeu du futur.
L’extraordinaire attrait de la peinture de Luc Peire réside dans ces notations de nature qu’il transforme prudemment et déroule sur le plan abstrait. Le ressort principal de leur prestige s'exerçant magnétiquement sur la sensibilité, il est par conséquent fort difficile d’en démontrer les causes précises.
C’est, en tout cas, de nous faire éprouver cette impression troublante que l’art de Peire tire son plus sûr penchant. Sa secrète séduction possède une acceptation figurée qu'aucun symbolisme verbeux n'arrivera à déchiffrer. Elle correspond à une nécessité d'expression impliquant les métamorphoses qu'elle entraîne.
Luc Peire a sans contredit deviné la puissance qui émane d'un dessin réduit à l’extrême, d’une peinture librement conçue mais subordonnée dans tous ses détails à l’ensemble de l'idée qui en a guidé la conception, et l’obligation qu'il y a aussi, pour atteindre le but visé, de sacrifier l'inutile ou le superflu à l’indispensable.
Nous ne saurions mieux désigner les termes exacts de son témoignage, qu'en affirmant que Luc Peire agrandit catégoriquement l'horizon de l’art métaphysique ; qu’il renoue à sa manière avec les rêves imaginés autrefois par les précurseurs de la peinture abstraite et de la plastique pure en Belgique; qu'il reprend à son compte la merveilleuse aventure du mouvement d’esthétique rénovatrice suscité par le groupe des «7 arts » fondé à Bruxelles en 1922; qu'il enrichit le constructivisme réaliste, le dynamisme psychologique, la signification psychique et abstraite, les états de plastique pure et les pénétrants rythmes de l’intensité picturale qui furent longtemps l'apanage généreux de Pierre-Louis Flouquet.
Un grand souffle lyrique anime Luc Peire, imprime à son œuvre une magnifique unité, dote son univers transcendant de la couleur et de la forme d’une poésie magistrale et d'autant plus rare que tous ses accents se résorbent dans un unique postulat: la découverte de la peinture nouvelle.
Alberto Sartoris