matériaux - espaces | Léon Prébandier

L'exposition Matériaux, Espaces qui s'est tenue à Lausanne dans les Jardins de Derrière-Bourg, du 15 juin au 17 juillet, est la preuve de la vitalité de l'Oeuvre, association suisse d’artistes, d'artisans et d'industriels. Les hommes s'associent, se groupent au nom d'idées, d'intérêts, de sentiments, de passions et en vue d'une contemplation, d'une action. On peut s'associer pour tenir en main le marché du cuivre, mais aussi par amour des plantes grasses. Toutes les associations sont menacées de vieillissement et perdent parfois, de ce fait, le goût de l’action. La vie interne d'une société est faite de débats, d'échanges très divers. Il arrive qu'il s'en dégage un climat, une raison d'être, un motif d'exister.

L'artiste (l'architecte, le peintre, le sculpteur, le graphiste), a-t-il un rôle à jouer dans la cité? L'œuvre d'art a-t-elle encore un sens dans la rue, sur une place, à l'intersection de plusieurs routes, à l’entrée d'un pont ou d'une ville, dans un immeuble, dans un lieu de passage, dans un jardin public? C'est déjà beaucoup que de poser la question, En marchant on apprend à marcher; il fallait donc situer le débat dans le public, au cœur d'une ville, et donner l’occasion de voir à l'homme de la rue, l'homme anonyme qui passe et qu'on sous-estime trop souvent, afin de recueillir ses réactions positives ou négatives, ses sentiments. Une telle aventure suppose beaucoup d'énergie, de la mesure, car il s'agit bien alors de faire travailler ensemble des individus qu’on nomme artistes, de découvrir des industriels qui manifestent de la curiosité pour de telles questions et de susciter le bienveillant intérêt des autorités chargées d'assurer la bonne marche de la cité.

Les matériaux que travaille l'artiste sont ceux de l'industrie et c'est dans l'élaboration de ces matériaux que se situe la différence entre un objet utilitaire et un objet expressif. Cette élaboration n'est autre qu'une poétique de l'espace. D’où ie titre concret, tangible, donné à cette exposition : Matériaux, Espaces.

L'exposition était scindée en deux parties à l'image des jardins de Derrière-Bourg qui se composent d’une partie haute et d’une partie basse. Il fallait de ce jardin respecter les circulations, la fonction. Les habitués y sont nombreux, de 1 à 80 ans, ils y vivent, ils y font la sieste entre midi et deux heures. Il convenait de n’être pas insolent, mais discret. Il s'agissait de respecter les habitants de ces jardins.

Dans la partie haute figuraient les propositions de l'artiste, ses recherches, ses expériences, d'où une division par sections en vertu d'une rhétorique : Les Chaux et Ciments, le Métal, le Bois, les Terres cuites, un Jardin d'enfants. Dans la partie basse il fallait réaménager une promenade, appliquer les idées émises en haut à titre d’expériences, changer les circulations de ce jardin qui devait durer jusqu'en automne.

Si les plantes et les fleurs sont éphémères, leur disposition ne saurait être provisoire. Faire un jardin c'est aussi préparer des boutures un an à l'avance, c’est donc méditer avant d'agir.

Considérons l’une des sections du haut, celle du béton, par exemple.

L'intention n'était pas d'expliquer au public toutes les utilisations du béton: les ponts, les barrages, les routes, les gratte-ciel d’Europe, les voiles minces (cela d'ailleurs pourrait faire l'objet d’une exposition), mais de présenter des pièces réalisées pour cette exposition par les artistes d'une association romande, artistes qui vivent sur un territoire géographique et qui estiment avoir entre eux des affinités.

Une telle tentative suppose l'aide d’un industriel animé du sentiment que le monde aussi peut changer, se transformer et cela grâce à l’idée à la recherche. Le sens de l’expérience est âpre, on peut réussir mais on peut aussi se tromper. Il faut pourtant aller de l'avant, accompagné même d’un peu de naïveté et de confiance réciproque. Il n’y a pas d'autre façon d'abolir la hargne de la stérilité. Toutes les faussetés de l'univers n'ont pas empêché le ciel d'être bleu certains jours avec du soleil et la sculpture, qu’elle soit de fer ou de bois, doit se regarder qui se découpe sur le ciel, mais ce regard doit rester sans arrièrepensées, car il devient alors impossible de voir, il en résulte une sorte de strabisme d'esprit. 40 artistes, 40 industriels, c’est beaucoup et c’est peu. C'est une image honnête des possibilités créatrices de l'OEV en tel cas. Cette exposition a été le courage d'être avec ce que cette attitude comporte de défauts, de manques, de lacunes, mais d’être et d'être vivant.

La partie basse des jardins ne voulait plus être une proposition mais une réalisation: un jardin au centre d'une ville, créer une fontaine, des bassins, modifier le terrain, l'emplacement et la forme des bancs, isoler un lieu de repos et se saisir du prétexte de ce réaménagement pour y exposer quelques sculptures.

Les échos recueillis dans le public témoignent de l'intérêt que celui-ci a porté à cette exposition. Il a discuté des propositions qui lui étaient faites dans la partie haute, il a approuvé le réaménagement du jardin du bas et jugé cet effort louable. Cela seul suffit à justifier cette manifestation. Il est difficile de faire et nous pensons que ce langage n'a pas été vague. L'honnêteté est la plus terrible des vertus.

Léon Prébandier