L’architecture moderne en france à la renaissance | Georges Pillement

Français. Poète, écrivain, historien et critique d'art. Membre de la commission supérieure des Sites. Né le 23 mars 1898 à Mayet (Sarthe). A débuté en écrivant des poèmes, « Clefs pour une ombre », et des pièces de théâtre d’un caractère poétique jouées par des scènes d'avant-garde, comme « Cyprien ou l’amour à dix-huit ans », représenté à Paris par Dullin à I’« Atelier ». Il a publié ensuite des romans d'une remarquable fantaisie, comme « Valencia entre deux rêves », « La vraie Georgina et l’autre», «Plaisirs d’amour», etc., et des nouvelles: « Les femmes ont le cœur sur la main ». Il a écrit également des livres d’histoire, « Pedro de Luna, dernier pape d’Avignon », différentes études sur  des peintres ou sur l’art et s'est, enfin, intéressé passionnément à la défense des monuments: « La Suisse architecturale », « Destruction de Paris », « Saccage de la France», «Défense et illustration d’Avignon», etc. Toute une série de ses livres est consacrée à mieux faire connaître Paris: «Les hôtels de Paris», et la France: les sept volumes de «La France inconnue », les deux volumes des « Environs de Paris inconnus », qui font suite à « L’Espagne inconnue ». Ces magnifiques itinéraires qui découvrent au lecteur des édifices souvent ignorés ont ordinairement pour but de défendre un patrimoine architectural trop fréquemment menacé par la vie actuelle.

 

Au début du XVIe siècle, en France, tout le monde veut innover, tout le monde veut faire du « moderne ». Les rois et les gentilshommes de leur cour ont été en Italie et ont été émerveillés par les formes nouvelles de l'architecture dans ce pays. Ils ont ramené avec eux des architectes, des ouvriers, des théoriciens qui ont élevé en France de nouvelles constructions ou collaboré à ces nouvelles constructions. Des traités, des recueils de gravures circulent et sont interprétés par des maîtres maçons. On découvre l'antiquité et on s’en inspire. Deux tendances s'opposent ou s’entremêlent, se juxtaposent ou se complètent. Dans l'une, le style gothique flamboyant qui s'était épanoui en France avec des grâces particulièrement délicates et raffinées se transforme peu à peu, remplaçant l'accolade par le plein cintre, mêlant l'arc rampant à l'arc surbaissé et décorant les pilastres d’arabesques où les candélabres voisinent avec les « putti », les oiseaux, les feuillages et les médaillons.

A ce maniérisme s'oppose un art directement inspiré de l'antique, plus pur et plus sobre, codifié par Vignole et Serlio qui commentent Vitruve et Alberti et qui ont pour disciples en France Jean Martin, Androuet du Cerceau et Philibert de l'Orme.

Cet art, imité de ce qui se fait en Italie, est tout naturellement transposé, adapté aux normes et aux façons de bâtir en usage en France, même lorsqu'il est réalisé par des architectes venus d'Italie. Il se produit instantanément une sorte de synthèse qui donne naissance à des créations originales.

Nous n'avons que l'embarras du choix pour citer des œuvres originales. Nous pourrions tout aussi bien fixer notre attention sur des édifices où le gothique flamboyant se mêle au maniérisme italien pour donner naissance à des œuvres d'une saveur exceptionnelle comme le château d'Oiron avec sa galerie aux arcs surbaissés et aux colonnes torsadées, ou celui de Chateaudun où un escalier de style gothique flamboyant fait face à un escalier Renaissance conçu dans le même esprit, ou Gaillon avec son portique.

Mais je préfère choisir trois édifices qui sont encore plus « modernes » et qui mar quent très nettement la tendance du retour à l'antique avec une conception très personnelle.

Maulne-en-Tonnerrois, Yonne

Le château de Maulne, non loin d’Ancyle-Franc, a été bâti en 1566 pour le duc d’Uzès par le maître maçon Jehan Verdot sur un plan d’une très curieuse originalité qui pourrait bien être de Serlio et que du Cerceau a reproduit.

Une grande enceinte, bastionnée aux angles, et ayant la forme d'un long quadrilatère est précédée, sur un de ses petits côtés, par un demi-cercle percé d'une porte. On pénètre dans une avant-cour qui se termine par un second hémicycle. Un pont-levis conduit au château qui se trouve en contre-bas ainsi que les jardins sur lesquels il donne.

Le château a la forme d'un pentagone flanqué aux angles de pavillons. Au centre, un très bel escalier à colonnes doriques entoure une cage au fond de laquelle il y a un puits. Ce plan rappelle celui de Caprarola dû à Peruzzi et comme la duchesse d'Uzès était la sœur d'Antoine de Clermont, on pense tout de suite à Serlio.

De nos jours, ce curieux château de Maulne est à l'abandon. Les communs en forme d'hémicycle sont en partie en ruines et le château lui-même est à la veille de s’effondrer.

Ancy-le-Franc, Yonne

Voici un exemple de l'adaptation des règles italiennes au climat français. Le château bâti pour Antoine de Clermont serait de Serlio lui-même. Il était terminé en 1546.

C'est le plan habituel des châteaux de France: un rectangle, qui était jadis entouré de douves. Mais les tours d'angle sont remplacées par des pavillons ornés de trois ordres doriques, tandis que deux seulement décorent les corps de bâtiments.

Si l’on pense à Bramante et au Palais de la Chancellerie pour l'extérieur, si la symétrie est rigoureuse avec les fenêtres encadrant le motif central, tandis que la corniche est soutenue par des consoles et qu'une seule fenêtre s'ouvre dans la travée médiane des pavillons, la cour fait songer au Giardino della Pigna, au Vatican. C'est la travée rythmique avec des arcades ou des fenêtres séparées par des pilastres corinthiens entre lesquels se creusent des niches. Mais à ce décor tiré du livre IV de Serlio s'ajoutent les toits de forte pente percés de lucarnes aux frontons délicats, les couronnements des fenêtres, avec leurs fleurons, les coquilles des niches, toutes ces concessions au goût français qui viennent de Serlio lui-même ou du maçon qui a interprété ses plans.

Vallery, Seine et Marne

Le château de Vallery, en Seine-et-Marne, fut achevé, contrairement à l’opinion généralement admise. Il n'en reste plus aujourd'hui qu'un gros pavillon et l'amorce d’une aile bâtis en pierre et brique.

La pierre forme les chaînages des angles, des portes et des fenêtres où d’énormes claveaux s'insèrent sous les frontons. Une puissante corniche était surmontée d'un haut toit d’ardoise dont la pente a été adoucie. La galerie est composée d'arcades profondes séparées par des pilastres toscans qui s'arrêtent à la hauteur des sommiers. Des cercles garnissent les écoinçons et les frontons ouvrent un angle assez aplati au-dessus de la courbe des arcades.

A l'attique, des niches alternent avec les doubles fenêtres Vallery construit à partir de 1548 pour Jacques d'Albon, maréchal de Saint-André, est une des toutes premières manifestations de ce style de brique et de pierre vigoureusement modelé qui aura la grande vogue pendant plus d'un demi-siècle.

On ne sait pas qui en est vraiment l'architecte de Pierre Lescot qui travaillait dès 1549 pour le maréchal de Saint-André, du Primatice qui fut chargé en 1555 d'une mission d'inspection à Vallery ou de Philibert de l’Orme à qui certains l'avaient attribué.

Ces trois exemples d’édifices qui étaient, à leur époque, vraiment « modernes », illustrent cette théorie que seule compte la personnalité de l’architecte quels que soient les motifs et les modèles qui servent de point de départ à son inspiration