Olle Baertling | Alberto SARTORIS
Suédois. Peintre et sculpteur. Né le 6 décembre 1911 à Halmstad. Vit à Stockholm depuis 1928. Nombreux séjours à Paris et voyages à travers l’Europe. Commence à peindre en 1938. D’abord expressionniste, puis portraitiste sous l’influence de Matisse. Elève d’André Lhote, puis de Fernand Léger en 1948. Contact avec Auguste Herbin à partir de 1950. L’influence de ce dernier, jointe à celle de Léger et de Mondrian, le fait entrer dans le courant de l’art abstrait. Il appartient au groupe des artistes de la Galerie Denise René (Paris 1952). A exécuté les compositions murales du hall d’entrée du premier gratte-ciel du nouveau centre de Stockholm qui couvre une surface de 220 m. (David Helldén architecte, réalisation de la Ville de Stockholm, 1959-1960). Expositions à Stockholm, Paris, Copenhague, Upsala, Bruxelles, Halmstad, Stuttgart, New York, Washington, Rome, Lund, Aarhus, Helsinki, Norrköping, Tokyo, Osaka, Oslo, Liège, Leverkusen, Säo Paulo, Cincinnati, Chicago, Humlebaek. Oeuvres dans les collections privées et dans les musées français, américains, japonais, italiens, suédois, belges et brésiliens.
Si l’on rappelle que les nouvelles lois de la plastique polychrome ont rarement été introduites dans l'architecture et que la peinture infigurée, qui en est l'instrument, se heurte à de grandes difficultés de localisation, de définition et d'interprétation, on comprendra qu’elles ne soient pas encore parvenues à étendre, à développer résolument la magie de l'art abstrait sur les surfaces et les volumes qu'on lui octroie parcimonieusement. Par ailleurs, il est regrettable qu'on n'ait pas suffisamment insisté sur le fait qu'une telle appplication de la couleur à la construction représente une richesse complémentaire, qu'il ne s'agit point — en l'occurrence — d'un uniforme rigide qu'endosse une froide anatomie. Des organismes vivants dégagent leur sens absolu quand on les accompagne d'une texture qui n’est pas un revêtement, mais une accentuation plastique libérant une signification structurale.
Dans ce domaine insolite, en dépit du milieu étouffant où elle inscrit son déploiement, l'œuvre d'OIle Baertling apporte un relief inusité. Il apparaît clairement qu’elle y fait figure d'imposition palpitante, de massue écrasante, de perforatrice pénétrante. Mais ce n’est là qu'une apparence trompeuse qui démontre son isolement. Elle entraîne bien d'autres considérations. Elle est avant tout un retentissant cri d'alarme jeté contre les fanfares discordantes et le tumulte diluvien de l'informel.
La pensée de Baertling n’est délimitée que par la logique. En effet, sa peinture ne constitue pas seulement un exemple frappant de droit dispositif esthétique n'intervenant qu'à défaut d'une convention d’ordre plastique. Elle complète également les lacunes d’un contrat architectural, pour autant que celui-ci respecte dans son ensemble les fonctions de la construction.
Les différents stades des recherches de Baertling sont nettement marqués par ces principes. Les inventions se métamorphosent au fur et à mesure que ses intentions se précisent. Elles passent de l'intelligence à la forme pure, de la forme pure à la composition idéale, de la composition idéale à la grandeur monumentale. Elles se meuvent toujours dans une sphère particulière où la densité en puissance n'est point la saturation.
De cette jachère d'esprit où il lui plut de tenter l'ensemencement, Olle Baertling a tiré des quadrilatères, des triangles et une géométrie dynamique qui nous disent combien il a été vite en besogne et combien ii s’est généralement montré large et généreux dans la création d'un enchantement jamais rompu. D'autres assolements vont sans doute renouveler, comme il l’a fait jusqu'ici, la fécondité de son imagination.
Néanmoins, tout s'éclaire et tout s'explique si l'on observe ses continuels dépassements, si l’on souligne que Baertling est enchaîné à l'invention par une force plus puissante que la volonté: l'approfondissement du mystère de l'art qui donne à son œuvre un éclat fascinant.
Plus encore que par les aspirations démesurées de sa personnalité et par la représentation de ce qui s’obstine à ne pas être révélé, Olle Baertling est constamment sollicité par l'art du monument. Aussi bien dans sa peinture sonore et lumineuse que dans ses sculptures sans dimensions et sans fin, il manifeste l'extrême efficacité d'une incitation forçant la poursuite de l'immensité. Dans ses peintures tranchantes et foudroyantes (éclairs de couleurs d'une pureté extraordinaire qui semblent déchirer l'espace et l'incarnat d'un ciel métallisé), comme dans ses sculptures mobiles, rectilignes, ascensionnelles, aériennes et flottantes (prolongements infinis sans poids, sans mesures et presque sans présence physique), jamais l'une d’elles ne trahit l'autre, jamais l'incommensurable ne fait abstraction du monumental.
L'incertitude ne gagne guère Baertling. Il va droit au but qu’il s’est fixé. Il veut atteindre à la magnificence de l’espace illimité.
Jaunes, rouges, noires, vertes, blanches, parfois bleues, ses surfaces planes réparties en directrices balafrent comme des lames un monde assoupi, indifférent, résigné. De cette implacable entreprise naissent des formes acérées et gonflées de splendeur. Regorgeantes, resurgeantes, ressuscitantes, elles broient et pulvérisent le champ désolé qu'elles rencontrent. Des droites, des obliques, des diagonales, des angles et des pointes aiguës réalisent le dépouillement total de la création plastique qu'ils construisent.
Ce qu'il y a de plus vrai dans cette peinture justement appelée tonique, c’est que lorsqu'on l'analyse on ne perçoit pas immédiatement sa qualité et son importance. On ne s'en avise pas sur le moment, mais seulement après avoir saisi que les couleurs de Baertling ont chacune leur propre particularité et que leur faculté d'équilibre neutralise fermement des expressions de violence qui n'ont cependant rien de rude ou de brutal dans leur résultat. Ajoutons, à ce propos, que l’opération s'accomplissant dans une atmosphère soumise à l'hostilité et aux contradictions, elle se doit de régler son acuité sur la pesanteur débordante du choc. Le sillon d'abord, le sillage ensuite tracent ainsi des structures coupantes de surfaces tramées. La réduction des formes à son haut degré est une des caractéristiques de Baertling.
Simplifier n'est pas appauvrir. Il fauttrouver, à travers la purification des éléments plastiques et l'économie des moyens, l’unité régulatrice d'une esthétique participant à l'architecture. Toutefois, pour parvenir à la contemplation d’un océan de rêve, immatérialisé par l'absence de proportions, que de recherches, de scissions, d’appréhensions et de lourds engagements !
Pour avoir une vue réaliste de l’œuvre de Beartling, il y aurait lieu de soulever une fois encore la question de ce qu'il est convenu de nommer aujourd'hui l’intégration des arts. Sa peinture l’y conduit naturellement, non point par une échappatoire ou une porte de service, mais par une prestigieuse entrée plongeante dans le cœur même de l’architecture. Promotrice du fonctionnel et de la magie dans l'art du monument, elle confère à l'architecture son sens le plus plastique, exercice — nous le répétons — qui n'est pas incompatible avec celui de la peinture autonome. En rétablissant la beauté complète de la forme, elle la justifie et l’actualise, elle la tire d’un ensablement où elle pourrait perdre de sa force, de son autorité et de son ampleur. Elle joue partie gagnante hors des lignes de l'échiquier habituel. Souhaitons que ce dessein porte au grand jour ce que représente de fantaisie accumulée la revision stimulante de l'esprit créateur et de l’art abstrait.
Malgré la rigoureuse sélection des gammes chromatiques qu'exige la plastique infigurée, Olle Baertling découvre pour sa part des mouvements de pensée rénovatrice qui s’avèrent infinis. C'est alors qu’on peut se demander s'il n’est sensible qu’à un seul accent de vérité. On dénombre les tyrhmes et l’on constate que leur mobilité s'accuse dans la modulation et la rectification mélodique d'une méthode qui constitue un mode d’union et non pas d’élimination.
S'il n'y avait en lui que de la réserve, il n'y aurait pas dans l’œuvre de Baertling d'épanchement direct et spontané. Où l'équivoque persiste, il ne pourrait pas bénéficier des privilèges que lui vaut une peinture aux couleurs claironnantes et tonnantes. D'un art surgi des sources mêmes de la lucidité, il ne passerait pas avec autant d'aisance à l'émerveillement d'une harmonie vibrante chargée d'électricité.
Les frontières de la peinture éclatent à l'instant précis où Baertling associe l'architecte et le plasticien. Des espaces nouveaux dans une ambiance esthétique inédite se pressent sous l’effet de cette collaboration.
Des couleurs et des formes s'astreignent à une optique concluante dans des volumes en expansion. Des plans se transposent et changent de rapport. Une perspective discontinue de caractère cinétique ouvre, multiplie et fait se rencontrer des horizons additionnés par des jeux de miroirs. Transfigurés et pourtant perceptibles à travers les organes rationnels de l'architecture, les matériaux concrets de la construction acquièrent par cette mutation la vie de l'art et de l’esprit. Ils se substituent au décor et à l'ornement adventices.
Surpassant les théories de Giacomo Balla et d'Auguste Herbin, dont il est le continuateur, Olle Baertling crée un monde plastique dont l’échelle surprenante et l’essence exaltante contribuent à l'affermissement de la renaissance de l'art construit et nous donnent, pour la première fois, la somme ensorcelante d’un futurisme enfin révélé.
Alberto Sartoris