Une municipalité vaudoise à l’avant-garde pense à l’avenir et à l'intérêt public Taille pied-Grand Pont, Lutry | Plan d'extension : Atelier 5 en collaboration avec la Direction des Travaux de Lutry

 

Lutry - De son passé à son avenir

C'est à l’année 516 déjà que remontent les plus anciens documents sur notre petite ville. Nos archives situent la construction de l’église vers l’an 1025. La vieille tour de garde fut édifiée par l’évêque Berthold en 1221 et le château date du XVe siècle.

Dans le cadre de son mur d’enceinte de l'époque moyenâgeuse, Lutry . resta des siècles durant à l'état quasi stationnaire, son expansion se faisant en direction du lac par le comblement des rives, protégées ellesmêmes des colères du lac par des digues et des murs.

Au début du XXe siècle, Lutry n’avait encore guère changé. Quelques timides constructions de villas parvenaient à s’implanter dans le pourtour immédiat de la vieille cité. La population restait stationnaire. Tout au plus peut-on constater une augmentation de 670 habitants en un demi-siècle alors qu’en ces seules 10 dernières années, ce même chiffre est atteint. Et l’on parle maintenant d’édifier, dans un seul quartier, un ensemble de constructions pouvant contenir plus de 2000 habitants !

Précisons toutefois que cet important accroissement de la population ne sera atteint que lorsque l'ensemble des bâtiments prévus sera réalisé, c’est-à-dire dans un futur qui ne peut être fixé actuellement. Disons aussi que la densité de population prévue dans le nouveau plan d'extension ne sera pas plus élevée qu'elle ne l’aurait été avec les possibilités de construction du plan des zones actuellement en vigueur.

Cette brusque transformation démographique n'est pas sans donner quelques inquiétudes aux habitants de Lutry qui se demandent — non sans raison d’ailleurs — les motifs pour lesquels la Municipalité a étudié un vaste plan d'extension permettant une pareille évolution.

C’est à cette question que nous voulons répondre.

Placé à quelque 5 kilomètres à l'est de Lausanne, le territoire de Lutry allait immanquablement être recherché dès que les possibilités constructives des deux communes qui nous séparent de la capitale vaudoise seraient absorbées. C’est maintenant quasi le cas sur le territoire des communes de Pully et de Paudex et tout naturellement la demande des terrains est devenue très importante à Lutry, tout particulièrement ces trois dernières années. Qui dit ventes de terrains dit constructions prochaines et par là, occupation du territoire.

Dès lors, deux possibilités s’offraient à la Municipalité.

La première : se laisser diriger par l’évolution constructive ; la deuxième : diriger elle-même la construction afin d'éviter des erreurs qu’elle avait pu constater dans d’autres communes.

Qu'on le veuille ou non, les autorités, dans le cadre des lois actuelles, n’ont aucune possibilité de diriger les ventes de terrains. Chaque propriétaire est libre de dis180

poser de son bien, de le vendre à n'importe qui, pour le prix qu'il estime devoir en retirer. Cette notion de la plus pure démocratie et de la liberté — que nous approuvons entièrement — permet aux habitations de proliférer selon les tendances architecturales propres à chaque architecte. Il n’y a donc — et il ne peut y avoir — de coordination possible d’urbanisme. Seul un plan d’extension, ou selon les cas, un plan de quartier, peut arriver à résoudre ce problème.

Toute évolution constructive fait appel aux services de la collectivité et pose de grands problèmes tant pour résoudre les questions d’aménagement de routes que celles d’alimentation en eau potable, en électricité, et des réseaux de collecteurs pour les eaux de surface.

Un problème, plus important encore, est celui de l’écoulement des eaux usées pour les conduire d'une façon rationnelle à la station centrale d’épuration devenue obligatoire afin de préserver le lac d’une pollution déjà avancée. Il faut songer aussi à réserver le ou les emplacements devant servir à l’enseignement scolaire, sans oublier le terrain devant être affecté comme place de jeux et de promenade pour les petits, les mamans et les personnes âgées. Il faut prévoir également l’afflux sans cesse grandissant des véhicules motorisés et ordonner des places de parcage pour éviter que les chaussées ne perdent leur affectation de base qui veut qu’elles soient construites pour assurer la fluidité du trafic et non pour être encombrées de véhicules ne sachant où se garer.

Tous ces problèmes sont importants. On ne peut pas reculer devant leur étude. Il serait impardonnable de penser que des autorités, en charge à l'époque que nous vivons, se retranchent derrière une réglementation facile propre à ne leur donner que le minimum de soucis et remettent à d’autres ce qu’elles ne voudraient pas faire pour éviter les ennuis que procure toute idée nouvelle et non entrée encore dans les mœurs. Il faut donc permettre à l’autorité de diriger l’aménagement de son territoire et un des moyens de répondre aux problèmes posés consiste en l’élaboration de plans d’extension.

Dans le cadre de l’architecture proprement dite, nous avons opté pour une ligne horizontale de bâtiments contigus, avec une hauteur fixée à 3 étages sur rez, afin que l'ensemble s’harmonise parfaitement avec la ligne du terrain. D'autre part, nous constatons que, dans la réalisation de la plupart des constructions actuelles, qu’elles soient villas ou bâtiments locatifs, d’un ou de plusieurs étages, «l’inquisition visuelle» peut déployer tous ses effets. Il est certain, par exemple, que le locataire d'un troisième sur rez peut diriger ses regards dans l’appartement de ses voisins situé à une distance moyenne de 12 mètres. De jour c'est peut-être

supportable de par les effets des ombres de l’appartement, mais de nuit, quelle indiscrétion — même sans la rechercher — si le voisin a omis de tirer ses rideaux ou fermer ses volets !

Pour éviter ce faux coudoiement, la construction dans le sens contigu devient une solution valable, préconisée par les sociologues qui indiquent que les humains doivent vivre dans le sens de la collectivité, mais aussi, et surtout, dans leur propre cadre familial et dans leur propre intimité.

Ces quelques explications feront mieux comprendre les raisons qui ont amené la Municipalité à rompre avec les habitudes pour présenter des masses architecturalement valables et offrant des garanties d’habitation qui n'avaient pas été réalisées jusqu’à ce jour dans notre région, du moins pas de cette ampleur.

Aucun membre de la Municipalité n’est architecte et n’avait de ce fait d’idées préconçues. Afin d'éviter des erreurs, nous nous sommes entourés de personalités habilitées à nous conseiller.

Nous avons fait appel à l'architecte Eugène Mamin, expert dans la création de plans d’urbanisme, avec mission d’élaborer un plan de base pour fixer les idées.

Cet architecte a travaillé en collaboration avec la Municipalité et le Service technique du dicastère des Travaux, de même qu’avec un groupement d’autres professionnels dont les réalisations en Suisse et à l’étranger ont démontré leurs connaissances dans la conception de cités nouvelles.

Ce plan d’extension étant réalisé, nous l’avons soumis à une commission d’experts composée de M. Albert Sartoris, professeur international d’architecture, de M. Pierre Quillet, architecte spécialiste en matière de plans d’extension ainsi que de M. Jean-Pierre Vouga, architecte de l’Etat, autre spécialiste en matière d'aménagement de territoire. Après avoir tenu compte des observations de ces experts qualifiés, nous sommes arrivés à la conception actuelle, qui, de l’avis de ces Messieurs, est parfaitement valable et dont il est hautement souhaitable d’en voir la réalisation.

C’est ce que la Municipalité de Lutry veut espérer. Nous sommes conscients de nos responsabilités vis-à-vis de notre petite cité. Nous constatons que Lutry est en passe de devenir une jolie ville où nous trouverons — sans se mélanger ni se faire du tort — la vieille cité blottie autour de sa vénérable église, de son admirable château et gardée par sa vieille tour d'enceinte de 1221 et la cité nouvelle sortant de l'uniformité conventionnelle en mettant en valeur — pour le bien de ses habitants — son architecture moderne et fonctionnelle.

Auguste Coderey, syndic et député.

 

Plan d’extension Taillepied-Grand Pont, Lutry

Dans le cadre de la réalisation d’un vaste programme d'urbanisme, la Municipalité de Lutry a fait procéder à l'étude d’un plan d'extension dans le quartier de Taillepied/Grand-Pont, à l’Ouest de Lutry.

Dès 1955, la zone en question, limitée au Nord par la voie C.F.F. du Simplon et au Sud par la route cantonale Lausanne-Brigue, était classée en ordre non contigu de trois étages sur rez-de-chaussée. Cette classification a permis, tout d’abord, d'établir comme base un coefficient d'occupation qui ne devait, en aucun cas, dépasser les possibilités offertes par le plan des zones existant. Dans le courant de l'année dernière, M. E. Mamin, architecte à Lausanne, a été chargé de procéder à l’étude d’un avant-projet de plan d’extension. Cet avant-projet, repris par la Direction des Travaux de la Commune, a fait l'objet d’une étude définitive avec la collaboration du Bureau d’Architecture Atelier 5 à Berne.

L’étude du plan, hormis des considérations d'ordre strictement architectural, consistait à implanter, dans les limites établies, des constructions respectant la densité d'habitation fixée et dont la réalisation n’entraînerait pas obligatoirement d'importantes modifications de limites de propriété. Plusieurs solutions ont été examinées. Elles se réclamaient toutes d’une idée où le respect du site, le caractère du pays, l'orientation et l’inclinaison du terrain étaient prépondérants.

Afin de pouvoir conserver l'équilibre originel de la rive du lac, des solutions offrant des bâtiments hauts ont été écartées. De telles constructions, en effet, auraient compromis l'unité de l’ensemble et par leur masse importante auraient offert une disproportion avec la vieille ville de Lutry en s'opposant brutalement à la compartimentation restreinte du terrain.

La solution adoptée consiste en la création d’un ensemble résidentiel au caractère partiellement autonome, relié cependant à Lutry par une structure et une disposition appropriées.

La pente du terrain et son orientation en direction du soleil et de la vue sur le lac ont été déterminantes dans le choix de la conception de l’architecture. Pour se plier aux impératifs énumérés ci-dessus, des bâtiments longs, à quatre niveaux, ont été implantés dans la partie supérieure de la zone, le long de la voie de chemin de fer. Une répartition des niveaux en escalier permet une utilisation rationnelle du terrain en ouvrant largement, en direction du Sud, tous les appartements.

La faible hauteur de ces bâtiments permet de sauvegarder la vue des propriétés situées en amont de la voie C.F.F.

La construction de bâtiments longs réincorpore dans l’urbanisme moderne des notions de contiguïté qui semblaient appartenir définitivement au passé.

Nous avons pu constater que les espaces latéraux entre bâtiments ne présentaient pas un avantage de premier ordre pour la santé de l’habitant et pour l'équilibre de l’ensemble. La partie aval du terrain est occupée par un groupe de cinq bâtiments de deux, trois, quatre et cinq niveaux. Ces constructions longues sont également disposées en ordre contigu.

L’orientation des façades, le niveau des toitures animent l’ensemble et lui donnent un sentiment de profondeur qui compense, dans une certaine mesure, l'étroitesse du terrain.

L’équipement du quartier est constitué par l'aménagement, dans une zone commerciale, d’un bâtiment implanté perpendiculairement aux courbes de niveau et offrant, par son orientation, un élément vertical contrastant avec la conception générale strictement linéaire.

Ce centre commercial pourra abriter toutes les installations commerciales, artisanales et hôtelières nécessaires à la vie du quartier. Sa situation a été déterminée en fonction du dessein d'orienter les habitants de Taillepied/Grand-Pont en direction de Lutry et ceci dans le cadre d'une intégration à la vie communale.

Il importe, en effet, de remédier, dans la mesure du possible, au manque de «racines» constaté dans la plupart des grands ensembles construits à l’époque moderne. Il importait donc que les habitants du nouveau quartier soient des Lutryens et non des habitants d'une banlieue trop souvent démunie de caractère.

Une zone station-service et une zone artisanale complètent l’équipement du quartier.

La petite église existant dans la partie Ouest se trouve incluse dans une zone lui assurant un cadre approprié.

Le stationnement des véhicules sera assuré, dans une proportion d'une voiture pour trois habitants, dans des garages collectifs, en surface et souterrains, et pour le 40 % dans des parkings extérieurs. Le nombre des unités voitures a été établi en fonction des récentes statistiques effectuées par la ville de Zurich pour des quartiers similaires.

Des zones de verdure privées permettront l'aménagement de jardins d'enfants alors qu'une zone publique est destinée à la construction ultérieure d'un groupe scolaire avec place de jeux et de sport.

Dans le cadre des loisirs, nous relevons également que le caractère des constructions en escalier permet de réserver, pour le 30 % environ des appartements un jardin privé en gradins étagés et ceci sans tenir compte des toitures aménagées sur la plupart des bâtiments.

La circulation est assurée par une route centrale, prévue depuis plus de 30 ans au plan directeur d’extension de Lutry. La circulation des piétons et des véhicules sera nettement séparée et les accès à la route cantonale seront limités à deux lorsque l’ensemble du plan sera réalisé.

Un règlement complète les indications données par le plan. Il fixe les conditions de construction pour les bâtiments nouveaux et régit le statut des bâtiments existants.

Nous notons également que tous les problèmes d’alimentation, eau, électricité et évacuation des eaux usées ont fait l’objet d'études parallèles de telle manière qu'au moment de la construction des problèmes de service ne viennent pas altérer l'ordonnance du plan.

Serge Pittet, Directeur des Travaux de la Commune de Lutry

 

 

Ce remarquable plan d'ensemble constitue tout à la fois un plan directeur, d’extension, de zone, de quartier, de communications et de protection du site.

Il entre brillamment dans le cadre des mesures et des dispositions à prendre pour réaliser l’aménagement du territoire souhaité par le Conseil d’Etat.

Il affirme une idée de grande envergure que la raison et les circonstances exigent, représente une excellente leçon d'urbanisme et d’architecture, sanctionne un renouveau dans le mode d'interpréter le développment naturel de la construction dans la commune de Lutry, souligne un principe assurant les meilleures perspectives futures.

Le règlement, les normes et les ordonnances qui l’étayent et lui donnent vie sont un modèle du genre qui peut être cité en exemple.

Ce plan régulateur — première étape d’une œuvre de coordination des espaces, d'individualisation des zones et des unités de voisinage — n’est pas un projet de simple planification.

Il s'inscrit dans un ample dessein d'unification ayant pour but la suppression du fractionnement du terrain, l’occupation, la répartition et l'exploitation rationnelles du sol.

Ce regroupement en quartier, né d'une nécessité impérieuse, enraye un déploiement trop prononcé de la ville dans la campagne et la dispersion des habitations suivant le système condamnable dit « en éclat d’obus ».

Les qualités exceptionnelles de ce plan d'urbanisme déterminent des conditions extrêmement favorables à l’architecture qui va en être la conséquence.

En effet, rien ne viendra rompre l’ordre et le caractère unitaire d’un ensemble architectural issu de besoins diversifiés et composé d’édifices variés aux formes fonctionnelles et aux lignes harmonieuses, d’un style identique et d’un même esprit créateur.

L’établissement principal sur l’horizontale, qui exprime plastiquement et avec précision le sens général des constructions projetées, ainsi que la discrétion des volumes parfaitement imbriqués, accentuent le lien avec le milieu ambiant.

Des rangées de maisons découlant de thèmes préétablis avec soin et organiquement implantées selon un programme judicieux, s’intégrent étroitement aux beaux coteaux environnants.

Elles sont la conclusion d’une souplesse d’agencement et d'une pensée intuitive qui ont présidé à l’entière composition urbanistique et architecturale du quartier.

En s’unissant au paysage typique de la contrée et en accordant la prééminence de son action à une méthode constructive génératrice et régulatrice, ce centre résidentiel, scolaire, commercial et artisanal garantit le maintien absolu de l’ancien noyau de Lutry dans ses limites naturelles, le mariage du passé et du présent, le droit de cité à l’architecture nouvelle, à l'architecture de notre temps, tandis qu’il en préserve l'authenticité et la continuité.

Par ailleurs, il prépare l’institution des futurs hameauxsatellites communaux.

L'urbanisme et l'architecture de Taillepied/Grand-Pont donneront un visage nouveau à Lutry: le visage de sa perspicacité, de son agrandissement, de sa transformation et de sa renaissance.

Ceux qui aiment Lutry et sa région doivent appuyer résolument ce projet et tout mettre en œuvre pour sa réalisation.

Aucune commune vaudoise n’a encore dressé et présenté un projet d'avenir dont l’importance et la valeur puissent rivaliser avec celui de Taillepied/Grand-Pont.

Alberto Sartoris