AICA, Association internationale des critiques d'art - BERLIN : urbanisme et architecture.

 

Cette année, l'Association internationale des critiques d’art a tenu sa 13" assemblée générale à Munich, où, en plus des travaux habituels de l'assemblée, différents rapports ont été présentés sur « L'art bavarois du rococo au Blaue Reiter». A l'issue de l'assemblée, un voyage d’étude a entraîné les critiques d'art à Berlin. La visite de la ville détruite et de sa reconstruction s'est faite sous la conduite de l'architecte W. Düttmann, directeurde l’architectureau Sénat, qui a exposé aux critiques les principes ayant prévalu pour l'urbanisme de Berlin.

La ville est origine, support et but de la culture.

Elle s'aménage selon les besoins principaux de la société qu’elle héberge. Son plan général et ses immeubles sont des représentations en soi et des réalisations en soi des besoins de la civilisation au cours de l'histoire.

«Car les villes, a dit Burckhardt, aussi longtemps qu'elles méritent ce beau nom, et qu’elles ne se contentent pas d’être de simples agglomérations d’hommes, demeurent toujours des individus avec des traits si marqués que chacun de ses habitants est toujours reconnaissable justement à ces traits. » Inversement, on peut dire que la ville est ses habitants et leurs buts. Elle porte leurs traits.

La perte de l'individualité entraîne nécessairement la perte de la culture, c’està-dire de la force capable de créer des formes d'expression. Avec l'invasion de l’époque industrielle, beaucoup de villes subirent cette destinée. Les causes en sont connues aujourd'hui. Les remèdes essayés pour y remédier étaient de nature organisatrice, technique, mécanique et non organique. L'on essayait de recouvrir le manque de force d’expression nouvelle et la perte de la forme originale avec des imitations historiques. Le résultat ne pouvait être qu'une caricature.

A Berlin, le demi-million d’habitants que comptait la ville en 1860 est octuplé cinquante ans plus tard. Les années 1900 à 1910 ont vu s’augmenter la population de 100 000 hommes annuellement. Vers 1930, a population de la ville comptait 4 millions 300 000 habitants. Jusqu'en 1910, le « Steinerne Berlin » (le Berlin sans parcs ni jardins) comptait — du moins à l’intérieur du chemin de ceinture — 1000 habitants, dans certaines régions, 1800 habitants par hectare de terrains propres à la construction. L'hygiène était insuffisante: appartements sans lumière, sans air, sans soleil. Le malaise général né de cet état de choses souleva une critique très mordante et appela au premier plan une génération d’architectes et d’artistes pour qui la construction suivant les règles de l'art de bâtir était une tâche morale et non une question esthétique.

Partant des points de départ les plus divers, on poursuivit le même but: trouver des formes d'expression nouvelles. Rappelons le « Jugendstil » et le « Deutsche Werkbund » dont le mot d'ordre, comme l’a formulé Hugo Häring dans sa conférence si importante ayant pour titre « A propos des constructions nouvelles » était: «Allons de l’avant vers une propre construction, vers une forme d'usage qui est une forme productive, je dirai même un organe, pour qui l'entité individuelle de l'objet pose le thème. » Après la première guerre mondiale, les organisateurs de l’aménagement des villes comprirent que la ville a besoin surtout d'espace. Il en fut de même à Berlin. En 1920, les villages des environs furent annexés à l'ancien noyau de la ville et par suite « Grossberlin », le « Grand Berlin », créé dans son expansion actuelle.

Dans ce cadre si vaste se réalisait pour la première fois une politique de l'habitation consciente de ses nécessités sociales, et aujourd'hui encore, exemplaire. De ce moment date la grande unité d’habitation de la Gehag à Zehlendorf, aménagée par les architectes Bruno Taut, Salvisberg, Häring, la ville de Siemens (Siemensdorf), due à Scharoun, Häring, Forbat, Gropius, Bartning et Henning, la colonie en fer à cheval à Britz, de Bruno Taut et Martin Wagner, le quartier africain de Mies van der Rohe, la ville blanche à Reinickendorf de Salvisberg et Buning, la colonie Eichkamp de Max Taut, etc., etc.

Mais au centre de la ville aussi, dans le domaine industriel et culturel, des maîtres comme Pölzig, Mendelsohn, les frères Taut, les frères Luckhardt, Bruno Paul, Fahrenkamp, Salvisberg, Hans Hertlein et beaucoup d'autres étaient à l'œuvre.

Berlin était en train de devenir un « bon logement» comme l'avait exigé Bruno Taut, lorsque l’arrivée au pouvoir de Hitler mit une brusque fin à tous ces efforts. Le but de Hitler n'était pas le « bon logement», mais sa propre glorification.

Septante-cinq millions de mètres cubes de ruines recouvraient la cité après la deuxième guerre mondiale. C'est plus que la septième partie de toutes les ruines d'Allemagne. Cinq cent mille logements étaient détruits, ainsi que la plus grande partie des institutions servant au travail, à l'industrie, à la circulation.

Dans Berlin-Ouest, depuis 1948, c'està-dire depuis le début de la reconstruction, 200 000 logis nouveaux ont été rebâtis, subventionnés par la République Fédérale allemande et les Etats-Unis d’Amérique comme subside à la construction sociale d'appartements.

Vu la quantité de bâtiments à réaliser dans un court espace de temps, l’on inclina tout d'abord à en négliger la qualité qui, de ce fait, ne peut se mesurer avec les résultats obtenus entre 1920 et 1930. Les nombreux problèmes techniques étaient de toute importance et exigeaient des conceptions plus modérées.

L'Exposition internationale d’architecture de 1957, projetée pour essayer d'intéresser de nouveau l'élite des architectes aux besoins de la construction sociale des appartements, devait donner les impulsions nécessaires appliquées par la suite.

Mais il faut maintenant attirer l'attention vers les problèmes de la circulation. Nous pouvons citer de nombreux exemples pour montrer combien facilement la circulation, ce distributeur de vie, a la tendance d'étouffer la vie de la ville, vie qu'elle devrait servir.

Notre citation des exigences de Häring : « Allons de l'avant vers une propre construction, vers une forme d'usage qui est une forme productive, ou même un organe » a ici une signification vitale.

Nous essayons, à Berlin, de travailler à cet «organe». Une grande artère, l’autoroute de la ville qui — avec ses voies secondaires qui l'atteignent tangentiellement — entoure la cité, destinée à décharger et mettre en relations entre elles toutes les autres voies de communication : avenue de grande communication, ruedistributeur, rue d'apport, rue habitée, etc. Y arriverons-nous? Ce n'est, naturellement, non pas seulement une question d'organisation de la circulation, mais encore et en première ligne, une question de structure de tout le complexe.

Il est temps maintenant de dire quelques mots sur d’autres questions que la circulation et l'habitation. Demandons-nous: pourquoi construire des immeubles? et où diriger la circulation? Nous sommes, au début de cet exposé, partis du postulat que notre culture est une culture de villes, inimaginable sans elles. Toutes ces dernières années, l’on estime un peu partout que l'idée de l'urbanisme est la formule magique qui va transformer nos soucis en joie. Les sciences politiques, la philosophie et la sociologie y sont à l'œuvre, ce qui souligne sans aucun doute la nécessité du renouvellement des villes — de l'urbanisme — comme du fondement important de notre civilisation. Pourquoi justement la ville? Barth reconnaît dans la ville, dans l'urbanisme, la seule possibilité d’un développement complet de la personnalité. Il semble donc que pour la ville de demain, et nous ne parlons que d’elle, ici à Berlin comme partout et comme toujours, le devoir vis-à-vis de la formation intellectuelle de chacun est de toute importance. Former et cultiver l'individu grâce à des contacts sociaux volontaires à se sentir responsable envers lui-même et envers la collectivité, voilà un idéal sans lequel la liberté ne peut subsister.

Berlin n'est pas une ville, mais plusieurs villes, non seulement par suite de sa situation géographique et de son développement historique (Berlin et Cölln, Spandau et Reinickendorf, Lichtenberg et Wedding existent côte à côte avec chacune ses particularités propres et chacune est Berlin quand même), mais encore en raison des nombreux buts qu'elle remplit: elle est la capitale de l’Allemagne, la ville aux trois universités, la ville des banques et des théâtres, la plus grande ville industrielle de l'Allemagne, le siège des musées allemands les plus importants, la ville des asiles de vieillards, la scène de discussions politiques d'importance mondiale, la place des plus grandes libertés cosmopolites, entourée d'une enceinte de barbelés, une des premières villes du monde, d'où l'on atteint facilement Tokio et New York, mais non Potsdam ou Werder. Berlin, capitale de l’Allemagne, a été le sujet d'un grand concours d’urbanisme, que le Sénat et le gouvernement de la République fédérale ont proposé en 1957. Le travail le plus intéressant a été celui de Scharoun.

Le devoir suprême des plans de construction d'une ville devrait être de lui aider à trouver sa forme essentielle d’expression dans ces couches et ces ramifications qui, prises isolément, sont peu de chose mais, prises en commun, peuvent par contre signifier une ville riche dans laquelle il vaut la peine de vivre. Une ville n'est point un état de choses que l'on peut aménager une fois pour toutes, mais un développement incessant. Parce qu'elle est la vie même. Et il est nécessaire que le plan général d'aménagement respecte cet élément vivant.

M. W. Düttmann