L’Œuvre OEV - Association suisse d'artistes, d’artisans et d'industriels, La matière de la photographie

La matière de la photographie c'est le monde réel. Néanmoins, la photographie à ses débuts n’a pas saisi la valeur explosive de cette machine à révéler l'évidence immédiate qu’est la caméra. Le photographe, singeant son prédécesseur, le peintre, faisait un «tableau », créant ainsi une distance entre le sujet et le spectateur. Il suivait aveuglément certaines lois de la peinture de son époque en cherchant une «composition», en dosant «l'éclairage ». La photo artistique d'avant la première guerre mondiale suivait, en l’élaborant, cette même tendance. Elle aboutissait à un répertoire de l’épiderme de la nature.

Avec les années 20, la photographie s’engagera dans deux directions qui vont l'amener vers la découverte de sa vraie nature à son autonomie d'expression.

D’une part, ceux qui cherchent, qui transposent, les créateurs comme Man Ray, Moholy-Nagy, Ubac: leurs images naissent d’une rencontre entre le monde qu'ils portent en eux et la réalité. Elles jaillissent de leur imagination, pour se réaliser avec des moyens proprement photographiques.

Man Ray utilise tous les procédés, physiques et chimiques, qu'Ubac pousse à leurs extrêmes limites et, parallèlement aux cubistes, fait fondre la gélatine sur son support pour désintégrer l'image réelle.

Un Bill Brandt, avec des moyens bien à lui, réussit, dans ses nus, à créer une plastique qui, par sa grande rigueur de construction, l'apparente aux grands innovateurs de la sculpture d'aujourd'hui, aux plus récents plasticiens de l'architecture.

Edward Weston, cinquante ans durant, cherche sa force dans l'analyse pénétrante des structures et des formes naturelles. C'est à Point Lobos, lieu où il a su, par une rigoureuse définition linéaire et structurelle de l'image optique, transcender la réalité et exprimer le sens de toute vie.

L'autre direction qui a contribué à renouveler la photographie moderne, c’est celle qui est partie d'un besoin d'information. C'est le reportage né avec la

grande presse à images. C'est le style «life». Henri Cartier-Bresson va nous le définir: «Notre réussite dépend de la vivacité, de la lucidité, de la connaissance, mais chaque fois qu'une photo est voulue, élaborée, elle se trouve engluée. » Le regard aigu et rapide doit capter en un 10° de seconde un concours de circonstances uniques, mais rendu unique le plus souvent par la vision du photographe, qui a saisi au passage la seconde où l'action, la tension ont lieu.

Sur le thème « Bâtir-Habiter » l'OEV (association suisse des artistes, artisans et industriels), a organisé au mois de juin 1961 une exposition dans les tours de Carouge (Genève). Sous la direction de M. François Martin, les photographes de l'OEV y ont réuni un très bel ensemble de photographies. Une cimaise en béton nu, à peine délivrée de son coffrage, est un cadre insolite qui situe la photographie directement dans la vie. Des photos d'immeubles, où l'abstraction est poussée à tel point que l'image devient elle-même architecture, s’intégre parfaitement à la construction. Cette impression est encore soulignée par une très belle suite d'agrandissements de différentes « matières ».

Dans un agrandissement géant d’une pousse végétale de J. Mohr, un contrepoint de volutes prend l’aspect d'une audacieuse structure spaciale.

L’Œuvre OEV

Les écorces de R. Bersier et de F. Martin nous montrent des variations très personnelles d'une même matière. Dans les cristaux de J. Mohr, dans le tourne sol alvéolé de P. Boissonnas, dans les branches de G. Fankhauser, dans des photos de sable et de murs lézardés, l’objectif dévoile l'étrangeté hallucinante de certaines structures naturelles. Les agrandissements de G. Rouiller créent un espace mural. Ces panneaux de grandes dimensions développent un rythme monumental contre l'aspérité des murs nus.

Dans les sobres images de Perret, le rythme devient proprement photographique et se joue dans une harmonie de gris ponctuée par des accents d'un noir dense et puissant.

Mais le monde nouveau est porté en avant par le mouvement et le changement, érigés en lois. C'est Jacques Thévoz, avec une saisissante image de roue en action, qui nous fait toucher aux recherches dynamiques de l'avant-garde. Cette école de l'image émergeante doit beaucoup aux recherches de William Klein qui, dans son livre sur New York par exemple, se sert des mouvements de la foule pour exprimer la vie trépidante de la grande ville atlantique. Certains corps, certaines silhouettes, perdent poids et formes pour se désintégrer dans une image synthétique du dynamisme.

Et demain?

Henriette Grindat