Recherches de structures par Robert Le Ricolais

Vers 1932, les tôles ondulées furent pour moi un sérieux sujet de réflexion. Après 30 années, il n'est pas indifférent de rechercher les motifs longtemps obscurs pour moi de cette attention, tant il est parfois difficile de motiver les causes de notre psychisme. Je pense pouvoir aujourd'hui définir celles-ci : j’étais, je crois, attiré par ce que, dans leur jargon, les géomètres appellent «les configurations automorphiques », c'est-à-dire des formes se répétant à l'infini à partir d’un motif initial.

Ces automorphismes devaient par la suite jouer un grand rôle dans les diverses recherches que j’eus à poursuivre.

Le mathématicien David Hilbert définit pour le plan ces configurations comme des assemblages de points et de lignes se répétant avec une même incidence. Il est assez normal que, préoccupé par le caractère répétitif de toute construction humaine, je pressentisse le rôle de ces formes dans la construction.

Sur un plan purement théorique, il n'est pas inutile de signaler ici l'œuvre monumentale de Henri Poincaré concernant les fonctions automorphiques. Sans aucun doute, ces théories seront appelées à jouer un rôle fondamental dans le mécanisme de la perpétuation des formes et probablement aussi dans celle des êtres vivants, comme on peut s'en douter en pensant aux schèmes moléculaires codés, tels que ceux du D.N.A.

A l'échelle infiniment plus simple qui nous concerne, nous nous bornerons à signaler la relation inversive entre deux schémas, l’un donnant celui de la structure dans l'espace, le deuxième donnant dans le plan la représentation vectorielle des tensions existant dans la dite structure, cela pour des conditions particulières de contrainte due aux forces extérieures, ces diagrammes, connus depuis longtemps sont ceux de Cremona ou de Maxwell.

A l’automorphisme de la structure correspond la configuration plane automorphique de l’image. On peut dire, par exemple, qu'une toile d’araignée forme un automorphisme: la distribution régulière des points et des segments suit une loi de croissance, liée bien souvent, dans le cas de formes naturelles comme celle des coquilles, à la spirale logarithmique. Pour simple qu’apparaisse le principe, la mise en application de cette représentation (mapping) exige un certain discernement en raison de la richesse combinatoriale due à un nombre élevé de lignes et de points. Lorsque le motif représentant les tensions d'un réseau est déterminé sans ambiguïté, il devient possible par récurrence d'établir l’image du réseau composé d'un plus grand nombre de cellules, en prenant soin toutefois de supprimer dan la structure les barres inactives et les surabondantes. Cette méthode, basée sur la formule d’Euler, est dite la méthode de l’image et étend aux réseaux à trois dimensions les méthodes classiques de la statique graphique.

L'introduction d'une méthode basée sur les caractéristiques topologiques possède aussi l’avantage de généralisation, elle établit un pont entre deux systèmes aussi distincts que ceux dits de revêtements travaillants et ceux des systèmes triangulés, ceci par une relation très simple existant entre le nombre de chaînes et celui des membres surabondants.

Notion abstraite de la forme

Quelques diagrammes simples montrent la correspondance entre deux motifs liés par une relation d'automorphisme: d'une part, un système fermé, celui de la structure, et un diagramme arborescent, généralement fermé par l'introduction des forces extérieures. Le principe est simple et a l'avantage de parler aux yeux. En fait, il ne s'agit là que d'une application particulière de la théorie des graphes. Grâce à un travail d’Euler, retrouvé par E. Faure sous le nom de théorie des résidus, il est possible de déduire de la propriété de partition des nombres (fonction P(n)), une géométrie de partition de l'espace. On conçoit l’intérêt d'études de ce genre pour aboutir à une notion de la forme.

Approche expérimentale

Indépendamment de l'aspect théorique de la forme, l’observation des motifs offerts par les structures naturelles nous a toujours semblé d’un grand intérêt, et c'est pourquoi, dès 1933 ou 1934, sur les conseils de M. E.

Monod-Herzen, nous avons considéré avec attention les structures de ces curieux organismes appelés radiolaires où nous retrouvions, pour ainsi dire, calqués certains motifs triangulés que nous nous étions mis en tête d'étudier. Parmi ceux-ci, il nous fut donné de retrouver les schémas familiers aux cristallographes relatifs à la partition de l'espace.

Soit sous forme plane, soit sous forme à un ou deux degrés de courbure, ces réseaux triangulés dans l'espace forment des automorphismes où chaque joint, sauf aux frontières, est caractérisé par un nombre constant de barres.

Depuis lors, de tels systèmes ont reçu des applications nombreuses et variées dans la construction, leurs calculs ont fait l’objet de travaux exhaustifs par le D' S. Z. Makowski, professeur à l’Imperial College de Londres.

Il convient de rappeler le premier ouvrage publié à la suite de sa communication, en 1902, à l’Académie des Sciences par le professeur B. Mayor, de l'Université de Lausanne1. En ces temps de publicité tapageuse, il est juste que soit rendu à un précurseur authentique l’hommage qui lui est dû.

Systèmes tendus

Bien que les réseaux tri-dimensionnels offrent de multiples ressources architecturales, il n'en demeure pas moins qu'ils sont parfois insuffisants pour répondre aux exigences toujours accrues des bâtisseurs.

Techniquement aussi, ils comportent d'assez sérieuses imperfections comme, par exemple, l'illogisme de tronçonner en petits éléments des profils linéaires produits en longueurs illimitées pour les rabouter ensuite au moyen de joints nombreux et fort coûteux.

D'autre part, et cela est encore plus grave, les pièces élancées qui composent ces réseaux sont instables, et la matière, à cause du flambage, y est relativement mal utilisée ; ces lacunes, du reste, devenant de plus en plus sensibles, au fur et à mesure que s'accroît la limite élastique des aciers qu'il est loisible de faire travailler à des taux six ou sept fois plus élevés en tension qu’au flambage.

Il paraissait donc assez naturel de chercher quelles structures tendues pouvaient partitionner l'espace tout en offrant les garanties requises de stabilité.

Films de savon

L'immersion de petits cadres fermés dans une solution de savon et de glycérine permet l’observation de surfaces délimitées par des plans à courbures complexes, pratiquement impossibles à concevoir autrement. Ces membranes, d'épaisseur moléculaire, don
nent une image de la distribution des tensions et concrétisent ce qu'il est admis d'appeler des « surfaces à minima », ou, si l'on préfère, des surfaces d'économie maxima. Non seulement ces surfaces illustrent des cas d’équilibre, mais encore elles sont capables de montrer des séquences d’équilibre quand on perfore successivement certaines faces de ces membranes. L'étude de ces phénomènes conduit donc à la notion importante de connectivité, se rattachant à la notion de chaînes à laquelle nous avons
fait allusion plus haut. Des investigations expérimentales de ce genre constituent une bonne part de l’activité de nos étudiants; celles-ci sont, selon nous, la base d'une étude raisonnée des structures et nous y avons trouvé le point de départ pour de multiples applications. C'est ainsi que l'hyperboloïde à trois pointes ou « Monkey Saddle » a été converti en un réseau triaxial et essayé à notre Institut. Simultané ment, un système de réseaux à double courbure opposée ou D.C.N. (Double Curvature Network) en paraboloide tendu sur un cadre rigide nous a permis de réaliser un système indéformable inerte aux vibrations. Les allongements non négligeables résultant de l'emploi de fortes contraintes nous ont conduit à envisager un dispositif compensateur utilisant une pression de fluide pour
corriger les déformations, dispositifs que nous avons appelés systèmes réactifs.
 

Systèmes funiculaires de révolution (F.P.R.)

Ceux-ci sont caractérisés par la présence d'un noyau central comprimé entouré par des réseaux dont le profil méridien est maintenu soit par des cerces soit par des diaphragmes.

Parmi les applications éventuelles de tels systèmes, il a été élaboré une maquette au 1 :100 d'un bâtiment appelé «Cosmorama» affectant une forme torique permettant d’obtenir une enceinte creuse sphérique de 100 m de diamètre pouvant recevoir environ 40 000 spectateurs. La signification architecturale d’un tel édifice basé sur des notions géométriques élémentaires de minima de surface pour une surface donnée de plancher, avec l'obtention d'un vaste espace vide intérieur, nous a semblé mériter l'effort de construction d’une maquette de cette dimension. Sous des variantes diverses, de telles dispositions paraissent valables pour de fortes concentrations humaines dans des espaces limités ou, mieux sans doute, pour constituerles immenses parkings nécessités dans nos futures agglomérations urbaines.

Systèmes comprimés

La contrepartie inévitable de systèmes à réseaux tendus se comportant comme de véritables revêtements travaillants met en jeu, même pour des modèles de petite dimension, des forces de l'ordre de plusieurs tonnes. C'est pourquoi, la nécessité de trouver des formes optima pour les pièces comprimées se présenta à nous comme urgente à résoudre. Parmi le répertoire de motifs possibles, il était assez naturel que se présentassent à nous ces structures automorphiques dont nous avions retrouvé maintes fois l'image dans l'analyse graphique des systèmes tri-dimensionnels.

C'est dans cet esprit que fut soumis à des essais de compression un système particulier ayant fait l’objet de brevets. Ce dispositif consiste dans ce cas particulier en 12 tubes de faible diamètre reliés entre eux par des fils d'acier. Soumis à une force axiale de compression d’environ 5 t, les déformations présentèrent un remarquable caractère de régularité, écartant nettement l'instabilité d’un flambage d’origine secondaire, ceci malgré l'incertitude des conditions aux limites.

On pouvait donc accepter en tant que valeur épistémologique la conclusion suivante: l'ordre de destruction d'un système bien connecté suit l’ordre de sa construction.

Conclusion de la recherche

Celle-ci est passablement évidente et peut se définir comme suit: Autant en compression qu’en flexion simple, il y a toujours intérêt à poids égal, à substituer à un tube mince de diamètre donné un faisceau de tubes de petit diamètre en configuration automorphique, de manière à former des polyèdres troués indéformables. Ajoutons que, sur le modèle essayé, la longueur maxima avant flambage était environ de 30 fois le diamètre du tube automorphique.

Pressurisation du tube automorphique

Ainsi que le montre un calcul très simple, il est facile de vérifier qu’une pression interne régnant à l'intérieur des tubes peut limiter le flambage, ceci, bien entendu, sous certaines conditions ; la condition de flambage nul conduit à une valeur de la pression interne qui doit être compatible avec la tension maxima que peut admettre la paroi. Il n'est pas inintéressant de vérifier que cette condition est généralement atteinte en phase élasto-plastique, ce qui n'exclut pas nécessairement un coefficient de sécurité avant rupture. Il est loisible également d'envisager un renforcement spiralé des tubes.

L’introduction d'une pression interne correspond donc à une véritable précontrainte capable d'immuniser la pièce aux effets de flambage. Les conséquences de l'application de cette technique sont susceptibles d'apporter des économies importantes, puisqu'en fait l'ouvrage entier peut être en tension, compte tenu d’un taux de sécurité.

Il convient aussi de noter la géométrie du tube automorphique permettant l’utilisation de l'espace libre intérieur pour des circulations et des conduits divers.

En résumé, l’application des tubes automorphiques paraît devoir jouer un rôle certain dans l’avenir et doit logiquement conduire à un nouveau vocabulaire de formes, tant pour les structures terrestres que pour les structures astronautiques où le poids propre joue un rôle si important.

Robert Le Ricolais