Concours pour une cité de 35 000 habitants, Hérouville Saint-Clair, près de Caen, France 

Premier prix et réalisation : Union d’architectes et urbanistes P. Aynes, M. Biass, G. Johannet, R. Le Caisne, G. Lambert, L. Mirabaud et J. Thierrart.

1. Programme

La création de la nouvelle cité d'Hérouville Saint-Clair est motivée par le développement de la zone industrielle du Canal de l'Orne, entre Caen et la mer. En 1961, la Société d'équipement de la Basse-Normandie ouvrait un concours à deux degrés pour cette zone à urbaniser en priorité. L'intérêt de ce concours, qui a précédé de quelques mois celui de Toulouse Le Mirail, est d’avoir suscité des innovations en matière d'urbanisme dont les concours suivants ont pu s’inspirer. 70 candidats y répondirent.

Le premier prix et l'exécution ont été confiés à l'Union d'architectes et urbanistes. Bien que le terrain soit mitoyen de l’agglomération de Caen, son orientation sur la zone industrielle et le fait qu'il se trouve sur une commune différente menaient à une conception de nouvelle ville autonome.

Le terrain est un plateau légèrement en pente, se développant en éventail vers l’est et le sud, offrant des vues très diverses soit sur l'Orne et ses boisements, soit sur Caen et ses flèches, soit sur les impressionnants hauts fourneaux de Mondeville.

Il était demandé de prévoir le logement de 30 à 35 000 personnes et un secteur d’emploi.

2. Description du projet

Le projet tend tout d'abord à la recherche de la meilleure utilisation du terrain et la mise en valeur de ses particularités. Le secteur d'industrie légère et d’artisanat a été placé au nord. Celui de l’enseignement supérieur et des sports à l'ouest, à proximité de la cité universitaire de Caen. Un parc, des terrains destinés à des expositions bordent la Nationale à l’est. La ville se compose essentiellement d'un centre linéaire groupant les Services publics généraux, un grand centre commercial et un secteur culturel et des distractions et de cinq quartiers de 1500 à 2000 logements chacun, avec leur équipement social et culturel propre, étroitement reliés chacun à ce centre en un point. En outre, un sixième quartier de logements individuels résidentiels avait été demandé au-delà de la route nationale, à l'est.

Un des caractères essentiels du projet est le parti de circulation qui sépare rigoureusement les piétons des voitures. Cinq piquages seulement relient le réseau «routier» intérieur au réseau régional. A l’intérieur, le principe adopté est celui d'une circulation continue avec carrefours à trois voies à sens unique. Les voitures ne pénètrent normalement pas à l’intérieur des îlots. Les parkings sont sur leur périphérie. Les îlots sont desservis par des voies en bouclage ou en culde-sac depuis ces parkings mais réservées au service. A ces « routes » s'opposent les « rues » exclusivement réservées aux piétons. Les rues forment vers le centre un réseau de radiales dans une succession d'espaces spécifiquement urbains. En opposition, une « promenade » relie les centres de quartiers, desservant tous les groupes scolaires, terrains de jeux, maisons de jeunes et, d'une manière générale, l’ensemble de l’équipement social. Les centres commerciaux de quartiers sont prévus à l'intersection de cette « promenade » et des rues radiales. Grâce à la pente du terrain, des garages trouvent naturellement leur place sous les centres commerciaux.

 

Le centre est un fuseau de 800 à 1000 m, se développant en légère pente, épannelé en quatre plates-formes horizontales disposées en fonction de la dénivellation de 25 m d'une extrémité à l'autre. La séparation des piétons et des automobiles est obtenue ici par des passerelles surplombant les routes; solution qui a permis de prévoir deux niveaux de parkings couverts sous chaque plateforme.

Du point de vue urbanisme, le centre est caractérisé par une grande rue sur laquelle débouchent les rues radiales enjambant les routes et créant divers mouvements de circulation et d'accès aux sources d'activités (diurnes, nocturnes, quotidiennes, hebdomadaires). Le long de cette grande rue se trouvent tous les éléments nécessaires à l'équipement complet d'une cité de 35 000 habitants: centres commerciaux primaires, églises, cinémas, salles des fêtes, centre médico-social, maison des médecins, hôtels, cafés, restaurants, foyer de jeunes travailleurs, foyer de la jeunesse, maison de la culture, musée, centre administratif et éléments divers auxquels s'intégrent des immeubles d’habitation ; enfin, une esplanadefoirail pouvant servir à divers usages: marché régional, cirque, kermesses et autres manifestations populaires.

 

La hauteur des bâtiments s’élève au voisinage du centre. En opposition, ce centre est traité en volume bas. Il n’y a pas de ségrégation dans les types de bâtiments ; ceux-ci voisinent dans chaque quartier, et diverses catégories de constructions ont été

groupées pour permettre des contacts multiples. Seuls les immeubles hauts à l’entrée de chaque quartier rythment l’espace à l’échelle de la vitesse d'une automobile.

3. Conception et méthodes

De l'avis des auteurs du projet, quelle que soit la valeur des dispositifs urbanistiques et du confort, et quelle que soit l’importance de l'équipement social et culturel, on ne peut parvenir à créer une cité véritable à laquelle les habitants s'attachent naturellement et où se forme une véritable communauté si sa conception générale ne répond à un certain état d’esprit.

La texture des « ensembles » actuels présente des dimensions inattendues par rapport à l’environnement et sans échelle, un aspect architectural monocorde, une absence de liaison entre les diverses unités et éléments construits, une systématisation des espaces verts. La préfabrication et le dirigisme sont inévitables mais pourraient être beaucoup moins perceptibles. Enfin, le cadre ne laisse aucune possibilité de mutations ultérieures, les formes sont cristallisées et, à l'encontre de ce qui s'est toujours produit dans le développement naturel des villes, la communauté est exclue de toute participation, même pour l'avenir, à cette œuvre commune.

L’idée centrale du projet est de constituer pour les futurs habitants de la ville un cadre qui permette à la vie de se créer d'elle-même dans ce qu'elle a d’imprévisible et de multiple, la formation des groupes sociaux naturels, la satisfaction de besoins variés et surtout le retourà des habitudes normales de vie telles qu'elles existent dans les villes traditionnelles où la diversité, l'intimité, la liberté, en un mot l'humanité sont sans conteste essentielles.

L’intérêt est porté sur le quartier. Il est à l'échelle de l'homme. Deux modules: la hauteur de vue, la dimension du pas.

L'habitant est un piéton. Aussi la rue centrale n’est-elle pas accessible aux voitures, et elle dessert les immeubles, les commerces, les écoles, les jardins, les aires de jeux. Or, l'homme ne voit vraiment que ce qui est à la hauteur de ses yeux ; tous les volumes sont composés en vertu de ce principe. La largeur des voies, les plans horizontaux, les marches, rampes, abords, entrées des immeubles, la nature des matériaux, la végétation comptent autant que la hauteur des bâtiments.

Psychologiquement, la vie de l'individu ne se maintient réellement que par l’alternance.

L'homme doit se sentir faire partie d’une communauté et dans le même temps savoir où il retrouvera son intimité. S'isoler et se regrouper. Tout le charme des vraies villes réside dans la variété, la liberté, l'imprévu. Il ne doit pas y avoir deux rues, deux places, deux groupements de volumes semblables.

Et l'on passe des uns aux autres jusqu'à retrouver ceux qui vous sont personnels et ont leur personnalité.

Les formes ont été recherchées de l’intérieur.

L'ensemble mis en place et les fonctions nécessaires et contemporaines, déterminées, l'étude a essentiellement porté sur les espaces intérieurs aux quartiers, aux îlots et au groupement des bâtiments et sur la configuration infiniment variée des places, terrasses, emmarchements qui s'échelonnent au long des cheminements de piétons, bordés tantôt de verdure, tantôt de ces alignements de boutiques où, dans le coudeà-coude, se retrouve parfois l'idée du souk.

Dans leur alternance, ces espaces clos, mi-clos, ouverts, définis par des volumes de bâtiments ou de verdures, restent toujours saisissables à l'œil.

Enfin, un dernier principe a dominé l'étude et présidera à la réalisation : celui de la liberté. L'urbanisme n’est pas de l’architecture. Il n’est pas de l’art, mais la condition qui en permet la naissance et qui doit le susciter dans le temps, avec la collaboration des constructeurs qui y seront d’autant plus enclins qu'ils en sentiront les possibilités.

Un plan de masse est essentiellement évolutif ; c'est un cadre et non pas un moule.

4. Essai d’architecture

La logique d'une architecture appliquée à des unités toutes semblables, dans un site relativement uniforme, conduit à la monotonie ou à l'arbitraire d'une fantaisie. Ici la recherche des formes est appliquée d'abord à l'orientation générale des volumes (ouverture préférentielle), à l'échelle du quartier, puis du voisinage, qui rectifie et précise ce premier aspect (situation, proposition des ouvertures). Elle se poursuit par l'étude des rythmes verticaux et horizontaux principaux (au long des grands axes de circulation), à l’échelle du quartier (soubassements, terrasses, couronnements), qui se complète par celle des rythmes internes à chaque enclos (façades proches, entrées, talus et clôtures). Elle passe enfin à I'« épiderme», précisant à la fois les reliefs, la trame, la tonalité et éventuellement les matériaux. Un dernier chapitre traitera des espaces verts, intimement liés à l’ensemble, des mouvements de terre, des clôtures. En réalité, cette recherche de logique est constamment éveillée par la variété des éléments et de leur composition, ouvrant à chaque étape un choix plus grand àl'initiative et l'invention.