Etudes d'aménagement de la Ville de Neuchâtel | Paul Waltenspüh en collaboration avec les services techniques de la Ville.

Au début de l’année 1961, les autorités de la ville de Neuchâtel se sont préoccupées des lancinants problèmes collectifs résultant de la rapide croissance de l'agglomération neuchâteloise. Une étude de base, en vue de définir les grandes lignes du développement futur de la région, était devenue urgente.

Programme

Le mandat octroyé prévoyait les études suivantes :

a. Etude des voies de transit régionales et de leur raccordement;

b. Etude des voies de raccordement des nouveaux quartiers au centre de la ville et au reste de l'agglomération ;

c. Etude d'un plan d’aménagement général avec détermination des zones de construction de nouveaux quartiers d’habitation, des zones industrielles, des zones vertes et des emplacements de bâtiments publics. Les éléments analytiques disponibles (statistiques démographiques, comptages du trafic, etc.) et de rapides et succinctes investigations supplémentaires ont permis de réunir les éléments nécessaires à l'élaboration d'un planning de base en vue des réalisations futures.

Vocation citadine

L'avant-projet de 1961, dontquelques extraits sont exposés ci-contre, tient compte de la vocation historique de Neuchâtel, petite métropole placée à la tête d'une région naturelle bien définie depuis des siècles.

Neuchâtel veut être plus qu'une cité administrative, plus qu'un simple lieu de résidence, plus qu'un centre commercial, artisanal ou industriel, ou d’enseignement, plus qu'une ville de pensionnats, plus qu'un point de rencontre touristique ou gastronomique... Neuchâtel veut rester fidèle à sa mission : elle veut demeurer tout cela à la fois. A la mesure de l'extraordinaire essor économique et social de notre époque, Neuchâtel veut maintenir la cadence de son développement tout en cherchant à préserver l'heureux équilibre qui en a toujours fait le charme. Sans une planification méthodique, Neuchâtel risquerait d'être submergée par ses nouvelles fonctions, d’être étouffée par la croissance rapide des communes suburbaines et fondue dans un magma informe.

Malgré la modestie des aménagements projetés en comparaison des grands ensembles étrangers, la solution de l'aménagement futur de la ville ne peut être envisagée, là encore, que dans un cadre plus large, régional et même national. Le tracé des autoroutes, le nouvel abaissement des eaux du Jura, l'assainissement des eaux, le reboisement de compensation, la décentralisation industrielle et bien d’autres problèmes tant techniques qu'économiques et sociaux dépassent largement le cadre purement local.

Le plan d'ensemble

laisse apparaître la texture urbaine, gravée dans le sol, de façon indélébile: chaque époque a laissé ses traces caractéristiques.

Puisse la nôtre trouver sa plus juste expression ! (Figure 3.) Voici les grandes lignes de la solution proposée : (Figure 1.)

a. Le raccordement des voies régionales est placé le plus près possible du centre commercial et administratif actuel qui doit demeurer florissant. La règle économique le commande.

b. De vastes comblements permettent de créer une zone verte étendue, à l'échelle de la future agglomération neuchâteloise, en contact actif avec son lac, pour

— la promenade reconstituante,

— la pratique des sports, l'athlétisme, la natation, la voile, etc.

— la maison des congrès, le jeu, la danse, le théâtre, face au large.

La santé physique et morale de toute une population est ici en jeu.

c. Le nouveau quartier résidentiel est implanté au nord de la ville, sur terrain communal, entre la route de Fontaine-André et la clairière de même nom.

Un facteur spirituel est ici dominant: le contact intime de ses habitants (contact visuel pour commencer) avec le cœur de la ville ancienne. (Figure 6.) Trois possibilités d’extension se présentaient de prime abord: — extension en lieu et place de la forêt buissonnante, en plein sud, en pleine vue, sur les pentes ensoleillées du Jura.

— extension en lieu et place du terrain agricole de la clairière de Pierre-à-Bot ; c’était supprimer les derniers champs proches de la ville; c’était donner le mauvais exemple; — extension en lieu et place de la vigne sur les communes riveraines voisines; amorce d'une cité linéaire résidentielle ceinturant le lac; amorce d’une agglomération sans fin, sans queue ni tête, et surtout sans cœur.

Les deux dernières possibilités ont été consciemment écartées au profit de la première.

Le plan des zones d'extension (remplacé ici par une vue aérienne)

laisse apparaître la répartition des différentes fonctions actives de l’habitat humain.

(Figure 2.) Habiter : — immeubles-tours à habitation collective dense, pour personnes isolées et familles peu nombreuses de préférence.

— immeubles bas à habitation collective dense, poursonnes isolées et familles peu nombreuses.

— villas isolées, formant une zone de densité réduite, dans des sites bien exposés (à 2. Vue aérienne de Neuchâtel, avec les l’ouest de la route de Pierre-à-Bot, à Maujobia et au Chanet) mais dont les accès débouchent sur un réseau routier déjà chargé, compliquant la liaison avec les autres fonctions urbaines.

Travailler:

— création d'un centre commercial secondaire en liaison par funiculaire rapide avec la zone d'extension du centre d'affaires traditionnel de la ville basse.

— création de deux centres d’administration nouveaux: à l'Est, sur l'emplacement actuel de l'usine à gaz, à l'Ouest, aux alentours du dépôt des tramways.

Cultiver l'esprit et le corps:

— bâtiments publics situés dans les zones vertes des nouveaux quartiers et sur les terrains de comblement.

Aménagement général du système routier de Neuchâtel

Cet aménagement doit satisfaire l'écoulement du volume de circulation en croissance continue. Cette progression impressionnante résulte du produit de l’accroissement de la population par le degré de motorisation.

Ces dernières années, le volume de circulation a doublé en moins de dix ans, et nous sommes loin d’avoir atteint un degré de saturation correspondant pratiquement à un état stationnaire. Le système routier nouveau doit donc pouvoir s'adapter au dynamisme de cette évolution.

Par ailleurs, le graphique de la répartition des courants de circulation est révélateur des conditions particulières régnant à Neuchâtel. (Figure 5.) Il fait apparaître l'importance relative des différentes liaisons, ainsi que la répartition des trafics de transit, d'origine, ou de circulation faisant simplement escale.

La solution proposée ci-contre pour la liaison des autoroutes, cherche à couvrir le plus exactement possible les résultats de l'enquête sur le trafic. Plus cette correspondance sera grande, plus la solution sera simple, efficace et économique. (Figure 4.) L’économie commande que les voies principales de la route du pied du Jura et du branchement de La Chaux-de-Fonds aient leur échangeur placé près du centre de gravité des affaires. Ce centre doit aussi correspondre au centre de gravité des parcages, et ces derniers doivent être accessibles le plus directement possible pour ne pas solliciter le réseau urbain de desserte déjà à l'étroit dans les rues que le passé nous a léguées. La circulation provenant de La Chaux-de-Fonds et des importantes communes suburbaines de Peseux et Corcelles serait conduite par voies expresses sous l'étranglement de la colline de la Citadelle pour rejoindre la route du lac. La circulation subirait donc exactement le même sort que la rivière du Seyon au siècle passé.

Toute solution sentimentale échappant aux besoins réels de la circulation deviendrait insupportable à la longue, et léserait gravement les intérêts de la collectivité.

Le réseau des routes anciennes, complété par quelques « bretelles », doit subir un classement rigoureux pour parvenir à écouler sans heurts la circulation locale aux heures de pointe. Le plan distingue six classes de route :

— routes nationales jouant le rôle de voies expresses pour l’agglomération neuchâteloise

— routes prioritaires servant de collecteurs principaux

— routes principales de desserte

— routes secondaires conduisant aux portes des maisons

— voies commerçantes jouissant d'un régime particulier

— le réseau des cheminements dont de nombreux anciens tronçons sont toujours appréciés des piétons doit être maintenu et même complété avec acharnement.

Des circuits continus reliant entre elles les zones vertes doivent permettre aux promeneurs (mères, enfants, en poussettes, en trottinettes, etc.) de circuler sans crainte, hors du danger.

Aménagement des rives

Cet aménagement est fortement hypothéqué par le passage de la route nationale en avant des quais et du port existants. Ce parti a l'avantage de libérer les quartiers commerçants et le centre culturel de toute circulation de transit gênante. La coupure se trouve reportée au large où des aménagements adéquats permettent de résoudre avantageusement le problème du passage tant au point de vue économique qu'esthétique. Les promeneurs trouveront largement leur compte par cet aménagement. (Figure 4.) De très importants comblements sont de toute manière nécessaires pour répondre aux besoins d'espace, de détente et de loisirs de l’agglomération neuchâteloise tout entière. Sur les tronçons les plus importants et les plus sensibles, l'aménagement de l’autoroute laisse la vue intacte sur le lac. Dans le prolongement de la vieille ville, la route est en galerie couverte surbaissée. Au droit du centre culturel, elle passerait en tunnel. La route n'émergerait de l’horizon que sur de rares tronçons. En enjambant le vieux port, elle permet le libre passage des bateaux à moteurs de la compagnie de navigation du lac de Neuchâtel. Les comblements proposés s’aligneraient sur ceux nécessités par la nouvelle station d’épuration actuellement en place. Le port de petite batellerie de la Maladière trouverait son pendant à l'ouest, où un nouveau port serait créé, dans l’ancienne baie de l'Evole. Les zones réservées aux jeux et aux sports sont prévues en avant du centre culturel (pour les écoles) et à l'ouest de l'embouchure du Seyon (pour le centre de compétition). Deux plages situées aux extrémités est et ouest du vaste aménagement riverain complètent les installations sportives. Les comblements sont rendus possibles à bon compte du fait des travaux d’abaissement (en cours d'exécution) du niveau d'eau des lacs du Jura. C’est la dernière chance à saisir pour doter Neuchâtel de surfaces vertes généreuses. A l'avenir il ne devrait plus être toléré aucune construction privée en avant du front des maisons actuelles. Il est utile de rappeler ici que dès le moyen âge, la ligne du rivage neuchâtelois n'est plus l’œuvre de la nature. La ligne dessinée pour le nouveau rivage projeté (deux courbes concaves reliées par un mouvement contraire) est une constante parmi tant d'autres qu'il fallait respecter.

Le nouveau quartier de Fontaine-André

offre un maximum de « conditions de nature»: soleil, air pur, vue, verdure, contact avec la nature, tranquillité ; le quartier pourra abriter près de 15 000 habitants, groupés en sept « unités de voisinage ». Ces unités d'environ 2000 habitants chacune marquent aussi les étapes successives de réalisation.

Ces unités sont circonscrites par le tracé des routes de desserte, dépendant fortement du terrain accidenté. Les « densités » moyennes proposées sont de : 400 hab/ha, rapportée au périmètre des unités d'habitation ; 300 hab/ha, y compris les routes et leurs dégagements ; 200 hab/ha, rapportée à l'ensemble du quartier, y compris les espaces verts. Ces densités élevées confèrent au nouveau quartier le caractère urbain souhaité. La vitalité sociale pourra s'épanouir au niveau du sol, dans les espaces libérés par l’étagement des logements. (Figure 7.)

La réalisation par étapes successives per met un équipement concerté et économique de la viabilité (routes, canalisations, ser
vices industriels). Dans le cadre de l'unité de voisinage, l'habitant peut couvrir tous ses besoins quotidiens (parking, ravitaillement, services ménagers, jardin d’enfants, école enfantine).

Le centre du quartier

se situe dans la combe plate, à l'est de la Roche de l'Ermitage, où aboutissent les chemins des piétons. Tous les éléments pittoresques naturels ont été respectés et mis en valeur. (Figure 9.) Le centre secondaire, culturel, commercial et artisanal fait pendant, toutes proportions gardées, à la ville commerçante du bas. Ce centre, flanqué par les églises, satisfait également les autres besoins collectifs du quartier nouveau: cafés, restaurants, salles de réunion, cinémas, etc. L’enseignement scolaire est donné dans deux écoles primaires (de degré supérieur) et une école secondaire placée en bordure de la clairière de Fontaine-André. Cette clairière plate, où seront groupés les terrains de jeux et de sport, forme la limite naturelle de l'agglomération future qui, en aucun cas, ne devrait être débordée. L’altitude limite de 600 m. s’impose également pour des raisons d'ordre climatique.

L'habitation

Les immeubles-tours pour l’habitation collective (esquissés à titre d’exemple avant tout en vue de définir la densité future de la population) abritent toute une gamme d’appartements divers, répondant aux besoins démographiques et sociaux les plus variés de la population nouvelle. Chaque logement bénéficie d’une grande loggia prolongeant la salle de séjour. La disposition en épis assure un maximum d’ensoleillement, de vue et d'intimité à l'ensemble des locataires. (Figures 12 et 13.)

Les grands appartements sont « traversants », d'une face à l'autre. Pour dégager la vue et supprimer les ennuyeuses faces nord dans l’ombre, les tours sont orientées perpendiculairement aux lignes de niveau. Les halls d'entrée principaux sont disposés à mi-hauteur, au niveau de la voie d'accès des piétons circulant en haut de la pente. Le rez-de-chaussée « aérien » abrite aussi les magasins de ravitaillement quotidien. L’entresol est réservé aux exploitations artisanales ou commerciales, ou à certaines professions souhaitant le voisinage de l'habitation. Ces activités professionnelles vivifient les quartiers de résidence, et les empêchent de sombrer dans l'ennui des « cités-dortoirs ». La composition d'ensemble prévoit deux types d’immeubles-tours, de hauteurs différentes, et des immeubles en bandes hori zontales de moindre hauteur. (Figures 14 et 15.)

Architecture

Chaque unité de quartier s'affirme plastiquement, et peut avoir sa propre expression architecturale. Cependant l'usage malheureux d’une trop grande fragmentation dans l'octroi des mandats d'études devrait ici faire place à plus de clairvoyance. Des équipes cohérentes d'architectes devraient s'occuper des divers secteurs afin d’en garantir l'unité d’expression. La totalité des terrains étant propriété communale, un gâchis architectural serait impardonnable en l'occurrence.

Cheminement des piétons, parcage et circulation motorisée dans le nouveau quartier

Leur solution conditionne pour une large part les aménagements urbains, d'autant plus que le terrain est accidenté. Les vieux sentiers de promenade forestière ont été conservés et servent de trame au réseau des cheminements de piétons qui circulent à l'abri du trafic motorisé. (Fig. 8.) La forte augmentation du « degré de motorisation » de la population exige, à brève échéance, de vastes possibilités de parcage, à raison d'environ une voiture pour quatre habitants.

Sur notre terrain en forte déclivité, ces surfaces ne peuvent être obtenues que par des aménagements importants. (Figure 11.) La disposition des garages sur plusieurs plans superposés, situés parallèlement aux courbes de niveau, représente une solution rationnelle, économiquement supportable. Ces garages forment un socle allongé sur lequel s'appuient les immeubles-tours qui s'y trouvent directement reliés. Leur accès se fait donc à pied sec pour la plupart des locataires. Ceux des immeubles bas trouvent leur voiture abritée à proximité. La terrasse de couverture des garages est engazonnée et aménagée en place de jeux pour les enfants. Toutes les fonctions ainsi intégrées contribuent à résoudre économiquement toutes les exigences de « prolongement » du logis. Le nouveau quartier est raccordé de manière à s'intégrer le mieux possible dans le système des circulations existantes. Ce système est relativement moins chargé à l'est de Neuchâtel, qu'au nord et à l'ouest. Deux nouveaux passages sur niveau, enjambant les voies des C.F.F. de part et d'autre de la promenade du Mail, introduisent la circulation automobile en direction du centre.

Transports publics 

Un funiculaire rapide à double voie d'un rendement élevé (semblable au « métro » de Lausanne) assurant les transports publics à l'écart des tracés de circulation routière, pourra, dans la phase finale de l'aménagement, suppléer au service des autobus.

Conclusions

La présente proposition d'aménagement général cherche à répondre dans les grandes lignes au développement présumé de la ville de Neuchâtel, en tenant compte de tout le contexte régional de sa zone d'influence.

Les mesures proposées devraient permettre à la ville de satisfaire l'évolution actuelle de ses multiples besoins, de répondre à toutes ses diverses aspirations. La réalisation du programme esquissé permettra de gagner le temps utile nécessaire aux projets d'assainissement de la ville historique, et de remodélation des quartiers anciens.

Seules des études d’aménagement poursuivies avec constance permettront d'adapter successivement les réalisations urbaines nécessaires aux besoins nouveaux de la collectivité, tout en maintenant l’ordre générateur de bien-être collectif et de beauté.