Relations entre les arts plastiques | André Bloc
L'art, la plus haute expression de l’être humain, ne doit pas être enfermé dans un lieu clos.
Elisabeth de Gramont
Sous ce titre modeste se trouve posée une des plus graves questions soulevées par l’évolution du monde contemporain. Celuici manque des qualités les plus fondamentales dans les domaines de l'harmonie et de la plastique. L'insuffisance de raffinement d’ordre esthétique a entraîné une importante catégorie de personnes cultivées à penser qu’il n’y avait rien à attendre de l'époque. Ce renoncement a pour contrepartie un respect sans discrimination pour les témoignages du passé, ce qui n'est pas une attitude très favorable pour l'amélioration du visage de notre époque. Outre leur valeur d'histoire, les styles anciens nous rappellent avec sévérité que nous n'avons pas su réaliser des édifices d'une valeur comparable. Les faiblesses ne résident pas seulement dans la valeur propre d'une construction, mais aussi et surtout peut-être dans celle de la conception.
Notre siècle dispose de moyens techniques sans rapport avec ceux mis à la disposition des anciens. Non seulement, des matériaux nouveaux excellents sont disponibles, mais les moyens de production et de mise en œuvre grandissent sans cesse. D’autre part, on sait construire vite; on peut franchir, sans points d'appui, des portées de plus en plus grandes ; on dispose des moyens de mettre à leur place des éléments de très grandes dimensions. Tous ces progrès techniques ont permis d'accomplir une révolution à peu près totale dans l'expression architecturale. L'évolution reste tellement rapide que l'architecture ne peut garder la stabilité des anciens styles. Pourtant, l'augmentation de la richesse des moyens d'expression n'a stimulé qu’en de très rares circonstances, la qualité de l'invention plastique. Quelques personnalités en très petit nombre ont su affirmer l'audace de leurs pensées, mais le niveau moyen de la création se montre incroyablement faible.
Les rares témoignages de la civilisation contemporaine dans le domaine construit doivent être situés avec précision ; ceux qui veulent les connaître doivent les rechercher dans des points du monde très éloignés.
Le spectacle de l'environnement est généralement d'une laideur accablante. Notre monde s'est trouvé incapable de dominer des pensées généreuses, de faire appel aux architectes et aux artistes capables de promouvoir un urbanisme contemporain valable. Si une hiérarchie devait s'établir dans les arts plastiques, c’est à cet art qu'il faudrait incontestablement appliquer le titre d'art majeur. Toutes les grandes civilisations qui ont jalonné l'histoire de l’humanité ont su inscrire leurs œuvres en harmonie avec les sites. Ce n'est peut-être pas le Parthénon qui a contribué à la gloire de la civilisation grecque, mais sa position sur l'Acropole. Les grandes cités de l'Antiquité ont mis à profit des lieux naturels d'une grande beauté et quand ceux-ci n'avaient pas de caractère bien défini, un urbanisme approprié savait recréer le site et lui donner de la grandeur.
Nulle époque n'a autant discuté les problèmes d'urbanisme, nulle n’en a fait aussi peu et d'aussi mauvais. Nous exceptons, bien entendu, de nos appréciations pessimistes, les expériences courageuses de Chandigarh, de Brasilia et de quelques autres de moindre importance. Mais là encore, malgré la qualité de la conception, les réalisations comportent bien des failles sérieuses. Il ne suffit pas qu'un génial maître d'œuvre apporte une conception neuve, il faut encore que des équipes, fortement constituées et bien entraînées par une véritable éducation plastique, puissent apporter un concours permanent dans tous les détails de mise au point et d'exécution.
Quels sont les artistes de formation diverse qui, réunis en équipes, pourraient apporter une contribution efficace à l'affirmation d'une véritable civilisation contemporaine?
A côté des urbanistes, des architectes, il faut bien entendu des peintres et des sculpteurs; mais ceux-ci ont été rejetés depuis fort longtemps vers des tâches très séduisantes, mais fort limitées. Les peintres exécutent des tableaux deplusou moins g rande dimension, mais restent en fin de compte en dehors de la vie sociale. Leurs œuvres, recherchées par les collectionneurs et par les musées quand elles ont des qualités exceptionnelles, n'apportent aucune contribution à la beauté d’une cité.
Quant aux sculpteurs, leur activité s'amenuise sans cesse. Après la désastreuse prolifération des sculptures commémoratives, commandées généralement aux pires parasites de l’Art, il y a heureusement un temps d’arrêt. Par contre, les meilleurs se voient réduits à réaliser surtout des sculptures objets parfaitement inutiles.
Pour tenter d'améliorer ces conditions, il faudrait modifier l'ordre des activités imposées aux peintres et aux sculpteurs. Il conviendrait de les appeler à participer à l'élaboration de tous les grands travaux humains dans le domaine de la construction.
Quant aux urbanistes et aux architectes, il faudrait qu'ils soient eux-mêmes des artistes avec une culture totale d'ordre plastique; l'architecte technicien peut rendre d'excellents services, mais il ne dispose pas des qualités appropriées pour pouvoir entreprendre une véritable création architecturale.
Quand une construction a rempli son rôle et que l'étude des aménagements s'avère juste, il n'en reste pas moins que l'œuvre est présente par sa beauté ou sa laideur; son aspect prend plus d’importance pour les usagers, pour les passants que celle d'un très beau tableau ou d'une sculpture isolée dans une habitation privée ou dans un musée.
La pire confusion est créée par l'usage du titre d'architecte réservé aux porteurs de diplôme. Un véritable plasticien de l'architecture n'a que faire d'un parchemin et pourtant, sans cela, il n’est pas autorisé à construire. Vous objecterez que les qualités exigées d'un véritable architecte ne peuvent se rencontrer qu'exceptionnellement et qu'un diplôme de technicien du bâtiment serait plus justifié qu'un diplôme d’architecte. Une telle remarque s'impose.
Pourtant si les diplômés acceptaient de consacrer une grande partie de leur temps à des recherches personnelles, ils acquerraient des qualités d’imagination et de création qui, la plupart du temps, leur font défaut. Comment établir des relations fécondes entre artistes plasticiens?
Fondé en 1950 à Paris, le Groupe Espace qui réunissait urbanistes, architectes, peintres, sculpteurs et artistes créateurs dans le domaine du meuble ou de l'art graphique, a eu pour but de réunir de fortes équipes susceptibles d'apporter des propositions nouvelles et d'enrichir le monde contemporain d’œuvres valables.
A la suite de l'action de ce groupe, les idées ont cheminé et des expériences assez nombreuses ont été faites dans divers pays.
Il ne faut pas oublier de rendre hommage à des tentatives antérieures et, notamment, à celles du groupe hollandais du Stijl, organisation qui fut active de 1917 à 1935. Elle a permis à des artistes comme van Doesburg, Mondrian; à des architectes comme Rietveld, Oud ; à l'urbaniste van Eesteren de réaliser des expériences valables par simplification des volumes : utilisation exclusive de l'orthogonalité, par réduction de la polychromie aux seules couleurs fondamentales.
Cette très vivante association fit du bon travail comme par la suite le Bauhaus en Allemagne. Le Groupe Espace a réussi à créer un courant d’idées, mais une véritable solidarité n'a pas réussi encore à surgir entre artistes de diverses origines.
Parmi les expériences issues de la création du Groupe Espace, signalons les travaux de polychromie de Del Marie pour la grande industrie, la tentative courageuse de l'architecte Villanueva pour la Cité Universitaire de Caracas, celle du regretté architecte Tschumi pour des constructions en Suisse et enfin, quelques expériences faites en Iran par deux architectes promoteurs de l'architecture moderne de ce pays.
Toute tentative d'appeler des artistes à collaborer à une oeuvre architecturale suppose préalablement la qualité de cette architecture. Le Corbusier a, jusqu'à présent, fait tout seul ses expériences de synthèse des Arts. Qu’il s’agisse du Pavillon suisse à la Cité Universitaire, de l'unité d’habitation de Marseille, de l'église de Ronchamp, ou encore du Capitole à Chandigarh, c'est l'architecte lui-même qui fit la polychromie, les fresques, les éléments sculptés. Mais peut-être y a-t-il une inégalité d'esprit créateur entre Le Corbusier architecte et Le Corbusier artiste.
Bien entendu, de nombreuses autres expériences contemporaines ont été faites; elles sont, en général, très discutables; c'est le cas en particulier de la Cité Universitaire de Mexico où les Arts Plastiques ont eu une place de choix. Les résultats n'ont pas été très convaincants et notre époque ne pourra en tirer vanité.
Oscar Niemeyer a fait appel assez souvent à des artistes, mais sans idée directrice bien définie. Walter Gropius, le regretté Eero Saarinen et l’architecte japonais Tange n'ont pas ignoré non plus l'importance de la collaboration des artistes.
La construction à Paris du Palais de l'Unesco aurait pu être une circonstance exceptionnelle pour démontrer l’importance d'une collaboration étroite entre architectes, artistes et artistes peintres ou sculpteurs.
Malheureusement, il n'en fut rien. L'architecture fort honorable de ce bâtiment ne constitue cependant pas une œuvre exemplaire, tandis que les travaux demandés fort tardivement aux peintres et aux sculpteurs semblent refoulés en des lieux inappropriés. On fit un geste de politesse, mais sans conviction et au total le résultat est fort incertain. Cela constituera cependant une expression du visage de notre époque. Estce celle que nous souhaitons?
En conclusion, il convient de constater la quasi-faillite de la collaboration entre artistes et architectes contemporains.
Les moyens mis à la disposition des uns et des autres ont sans doute été insuffisants, mais c'est seulement en de rares circonstances que l'on a pu faire avec conviction quelques tentatives sérieuses.
André Bloc