La forme et les bijoux d'Irène Brynner

La notion de forme nous paraît importante. Elle se modife très rapidement. Elle présente aujourd'hui deux faces primordiales: une face liée à l’abstraction mathématique, l’autre face attachée au monde intuitif. L'une et l’autre ont des exigences différentes de ce qu’elles étaient hier et nous voudrions brièvement les définir. La notion de forme en architecture demeure inséparable de l’étude des structures. Cela fait appel à un appareil mathématique dont la plupart des constructeurs n’ont pas conscience, par ignorance. Les formules de la construction sont anciennes et, de ce fait, les formes évoluent très lentement.

L'empirisme de l'architecture se trouve considérablement limité par la rentabilité et il demeure pratiqué de façon quasiment artisanale. La véritable architecture appartient actuellement au laboratoire et demain les sociétés s’en empareront avidement, car elles auront à résoudre des problèmes dont l'ampleur nécessitera l'abandon de cet empirisme artisanal. La notion intuitive de la forme doit, pour survivre, répondre à de nouvelles exigences car nos sens ne tolèrent plus l'amusement décoratif. Ils ne peuvent sublimer une forme qui ne répond plus à un besoin, à une nécessité intérieure et presque religieuse. Il convient qu'une âme aille jusqu'au bout de sa singularité pour qu’elle connaisse l'épanouissement qui la rend tangible. Les bijoux d'Irène Brynner incarnent notre propos.

Dans l'existence d’un être la parure peut devenir un moment essentiel, non pas un assortiment décoratif mais une sorte de gloire à la vie et qui touche à ce sens d’être un individu. L'objet non utilitaire est aussi une raison d'être. Se parer tient de la passion, de la passion amoureuse, et revient à sortir de soi pour retrouver une autre vie incarnée par une tache d'or sur la peau, une tache d'or ajourée qui donne à la main ou à la gorge un autre sens qu’un sens purement charnel. Le bijou dans ce cas spiritualise la peau, c'est un magnificat.

Dans son atelier de New York, le sculpteur Irène Brynner fait ses bijoux entièrement elle-même. Ce sont des cires perdues et des fontes d’or à la fronde. Les sertissures, quand il y a des pierres, sont inventées selon la forme du bijou et de ce fait restent éloignées de la tradition du serti. Les pierres parfois sont taillées comme des sculptures et non pas selon la taille dite classique. L’or souvent laissé mat est poli seulement dans ses saillies. Le bijou ainsi conçu devient alors un véritable jeu de lumière et ne cherche pas à être autre chose qu'un objet mêlé à la vie. Il trouve son échelle. La forme intuitive, celle qui naît spontanément des doigts, révèle chez celui qui la crée une longue analyse de la personne vivante, que cette analyse soit consciente ou non, et c'est de là qu'est issue la gravité
des langages. Il est possible au physicien de définir le la et d'en déduire les autres notes. Il est possible encore d’expliquer comment l'harmonie classique éclate actuellement sous la pression d'autres formes de composition, formes qui sont nées d'un besoin d'expression. Mais comment une composition musicale se transforme en émotion pour celui qui l'écoute, voilà qui touche au mystère, car notre connaissance de la sensation auditive et de sa sublimation reste vague. Il en va de même pour la sensation visuelle et la sensation tactile. Pour être allée très loin dans l'analyse de la personne, Brynner a trouvé l’objet susceptible de la toucher dès l'instant où elle se pare. Son langage demeure intuitivement exact. Le bijou, ici, ne se réfère plus à autre chose que lui-même et devient un élément de la personne.

Léon Prébandier