Lettre d’Italie L’architecture

La Rinascente à la Piazza Fiume de Rome

Franco Albini et Franca Helg, architectes L'œuvre de l'architecte milanais Albini, auteur du projet pour l’immeuble romain des grands magasins « La Rinascente », présente un double intérêt architectural et culturel.

La greffe de cette construction à l'intérieur des murailles auréliennes a été opérée avec un tel souci d'intégration et un tel respect du visage de la ville qu'elle rappelle les œuvres des architectes lombards qui travaillèrent dans la capitale à l'âge d'or du baroque romain.

Albini a créé en somme une œuvre peut-être pas très « cordiale » mais, sans doute, aristocratique. II a en tout cas respecté d'une manière exemplaire la racine technologique d'un élément qui n'est pas vicié par le folklore. Il a en quelque sorte saisi le caractère historique de Rome dans son essence la plus pure et la moins contaminée.

Le thème du grand magasin avait été abordé en 1929 à Rotterdam par Dudok dans son projet concernant le Bijenkorf. L'architecte hollandais avait alors partiellement abandonné la vieille formule du dix-huitième Photos Savio

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siècle. Breuer avait à son tour, dans l'aprèsguerre, introduit dans ce thème l’esprit fonctionnel. La solution trouvée par Albini est l’heureux aboutissement de ces tentatives. La volonté créatrice, l'intégration dans les lieux, les structures à réseau d’acier qui reproduisent à l’extérieur l'échelle humaine des espaces intérieurs utiles, alors que ces mêmes canalisations verticales et horizontales sont exploitées pour suggérer des données techniques à l'opération architecturale ; tous ces éléments détachent l'œuvre des liens conventionnels.

La structure métallique devient lisible. Elle est employée pour exprimer une vibration en clair-obscur. Cette allusion a un caractère dynamique et est le résultat, obtenu très rarement, d'un procédé de création mis au point dès le début. Chaque élément est le porte-parole d'un programme architectural clair. Les solutions angulaires, le tissage des plafonds, le profil de tôle façonnée soutenant les planchers, la couleur anthracite de la structure, le carmin des panneaux

donnent un cachet personnel à chaque partie de la composition, aussi petite qu'elle soit. Le nouveau type de paroi crée une superficie remodelée continuellement par les angles de lumière. Les panneaux préfabriqués, dont la couleur rappelle les vieux revêtements romains et dont la valeur plastique s’épaissit vers le haut, soulignent l’indépendance du tout par rapport à l'organisme statique et commentent la vivacité et la multiplicité de la vie du magasin.

Ce qui ne nous a pas convaincus, c'est le

contraste des matériaux. On aurait peut-être pu obtenir le même effet par un effort inventif plus généreux, en reliant l’espace intérieur à l’extérieur pour arriver à une définition réciproque des valeurs. Cette lacune n'est cependant imputable qu'en partie aux auteurs du projet. Elle provient vraisemblablement du voyage bureaucratique effectué par celui-ci avant d'être approuvé et de la décision du maître de l'ouvrage de confier à d'autres personnes l'équipement intérieur du magasin. L'intérieur est resté neutre et plat, parfois vulgaire. Même certains éléments réussis paraissent muets, tout comme les accords chromatiques sont toujours sourds, même lorsqu'ils sont subtils.

Si l'on veut juger la valeur de l’immeuble du point de vue de l'urbanisme, il y a lieu de tenir compte de sa fonction de charnière du quartier de Trinità dei Monti, ainsi que de l'escalier et des églises qui apparaissent au fond de la Via Condotti.

La façade de La Rinascente sur la Piazza Fiume ramène justement les palais voisins à une fonction d'accompagnement. Du fond de la Via Piave, de la Via Bergamo et du Corso Italia, on a la surprise visuelle d’un nouveau point d'appui aux très heureux accords chromatiques.

Il est certain que cet édifice représente un moment culminant de la lutte ininterrompue d'Albini contre la vulgarité et l’approximation, de sa recherche de la subjectivité dans un processus rigoureusement objectif. Il est presque la récompense d’une éthique agissante.

Nello Renacco