Lettre du Mexique | ida rodriguez
Aux yeux des cercles artistiques du Mexique les événements culturels officiels de l’année ont été considérés comme moins intéressants que le développement de l'œuvre de personnalités isolées. Pourtant l'attribution du Prix Auguste Perret à Felix Candela1, lors du Congrès International d'Architecture de Londres, s'est révélée d'une haute signification, précisément parce que l'influence du grand architecte prédomine depuis longtemps déjà au Mexique, où il joue un rôle de premier plan. (A la VIe Biennale de Sao Paulo, Brésil, les ouvrages de Felix Candela — comme d'ailleurs ceux de deux autres architectes mexicains, Salvador de Alba Martin et Augusto H. Alvarez — ont été couronnés d'un prix, distinction qui lui valut plus d’ennemis que d’amis...).
Mais ces derniers temps il s'est en outre passé une série d'événements qui ont intéressé et touché le public. Voici quelques mois décédait subitement l’un des précurseurs et fondateurs de l’architecture moderne mexicaine, Carlos Obregon Santacilia, figure de proue du pays, à la fois constructeur et polémiste ardent. Pourtant le combat autour de l’architecture actuelle, telle qu'elle est ou telle qu'elle devrait être, se poursuit, mené surtout par le vieux maître José Villagran Garcia. Ce combat est conduit du haut de la chaire professorale aussi bien que dans lesjournaux. Un numéro spécial de la revue « Artes de Mexico », consacré à l'architecture mexicaine du présent, n'est pas parvenu — malgré une brillante démonstration de Mauricio Gomez Mayorga — à faire disparaître la confusion générale des conceptions.
Entre temps, la construction se poursuit à un rythme soutenu. L'énorme programme confié par le gouvernement à l’architecte et urbaniste Mario Pani,2 chargé de résoudre le problème gigantesque de l’intégration d'immenses immeubles résidentiels dans la capitale même, n’est pas encore résolu. Par contre un programme de construction de nouveaux bâtiments scolaires, dans le cadre de la décentralisation, a mis au point des solutions d’un intérêt certain. Le nouvel hôtel « Maria Isabel » (architectes Juan Sordo Madaleno et José Villagran Garcia) de Mexico, tout juste terminé, serait plutôt l'expression nouveau-riche d'un monde étrange et irréel, n'ayant malheureusement que de rares points de contact avec la réalité du pays...
Le IIe Congrès des Ecoles d'architecture, tenu dans la ville universitaire de Mexico en octobre 1961, auquel participèrent professeurs et élèves de 25 universités, a démontré que quelques problèmes de base sont les mêmes pour tous les pays d'Amérique: les difficultés financières s'opposant à la lutte efficace pour la disparition de l'ignorance, la surcharge des écoles spécialisées envahies par le flot des étudiants, le manque de personnel enseignant capable. A l'opposé on a noté une remarquable richesse d'idées et de concepts originaux.
Les innombrables expositions, les nombreuses conférences organisées par les universités mexicaines ou par l’Institut National de l’Art (I.N.B.A.) sur les thèmes les plus divers, et parfois internationaux, prouvent l’intérêt énorme porté aux questions architectoniques ainsi que le courage avec lequel on s'attaque à chaque forme nouvelle de problème. Un exemple: l'architecte Ricardo de Robina, dont les conceptions architectoniques sont à la fois ce qu’il y a de meilleur et de plus hardi dans l’actuelle production mexicaine, s'est vu confier la mission de diriger les travaux de restauration des cathédrales de Mexico et de Cuernavaca.
De Robina est un homme connu pour sa bravoure. Il ne s'est pas fait un nom par ses propres constructions modernes seulement mais aussi par la reconstruction de l'église de San Lorenzo, entreprise voici des années déjà sous la direction du révérend père Ramon de Ertze Garamendi et qui fait grande impression malgré (ou peut-être grâce à) ses angles de vue clairs et modernes. Mais la cathédrale de Mexico est une sorte de «gloire nationale» et, pour ne citer qu'un détail, la pose de vitres modernes couleur d'ambre jaune, dont le verre a été spécialement fabriqué dans la vieille fabrique de Carretones, fut une « audace » qui eût pu facilement susciter l'opposition. Par bonheur, artistes et architecte ont procédé avec une prudence extrême en tentant de se soumettre absolument à l'esprit de la construction (XVIIe siècle), c'est-à-dire de transformerformes abstraites et jeu monochrome des teintes en une chaude lumière dorée.
Le journal de l’Institut National d'Art luimême met l'accent sur ce point: toutes les fenêtres une fois posées, l’intérieur de la cathédrale semblera construit tout en or et gagnera cent pour cent en beauté et en atmosphère religieuse.
Le monde artistique mexicain, généralement très agité, a connu des bouleversements plus grands que jamais lors du scandale assez exceptionnel de l'exposition des « Hartos » (Les écœurés). Les « Hartistas » (écœurés) par opposition aux « Artistas » (artistes), représentés par des professions de toute sorte: architectes, artistes, intellectuels divers et aussi ouvriers, paysans, industriels, etc., groupèrent des tableaux « méta-chromatiques », des meubles, des photos et les ustensiles les plus bizarres de la vie quotidienne à côté de corbeilles de fruits, d'épis de maïs. Ils expliquèrent dans leurs pamphlets qu’ils en avaient assez de « l'atmosphère hystérique du monde actuel artistique ». Ils se tournent dans le fond contre les Ismes, quelle que soit leur teinte: réalisme, néo-dadaïsme, etc. Il s'agit en réalité d'un mouvement philosophique. « Croire sans demander à quoi » en est le mot d'ordre. L’accent est mis sur un art à la fois serviteur et prière.
L'idée de rétablir l'art dans la vie et dans l'architecture n'est pas neuve. L'Art Nouveau, De Stijl et le Bâtiment ont voulu la même chose. Simplement, chez ces « Hartos», l'accent est mis sur la métaphysique.
« L'art, nouveau service divin... » L'esprit d’Hugo Bail paraissait flotter sur la manifestation ; pas celui du jeune révolutionnaire qui fonda en 1916, à Zurich, le «Cabaret Voltaire » et sortit à grand bruit Dada des limbes, mais bien plutôt celui du philosophe
chrétien qui mourut en ermite au Tessin, en 1927. Hugo Bail n'aurait, certes, jamais cru possible qu'un jour au Mexique il serait l'idéal d’un groupe dediscutailleursartisticophilosophiques ! Pourtant le Mexique demeure l'un des rares pays des « possibilités illimitées » si souvent citées, surtout dans le domaine intellectuel.
Ida Rodriguez