Nouvelles stations touristiques en montagne | ANDRé GAILLARD

Depuis une dizaine d'années, on constate, parallèlement à l'élévation du niveau de vie, un développement important des loisirs et du temps qui leur est consacré. Ainsi, la durée du travail hebdomadaire a passé de 72 à 45 ou même 40 heures, la semaine de travail n'est plus que de cinq jours et les congés payés, inexistants il y a vingt ans, couvrent maintenant deux, trois ou même quatre semaines par an. La plupart des personnes ainsi libérées de leurs obligations professionnelles ont mis plusieurs années avant de profiter pleinement de cette possibilité de quitter leur domicile pour assouvir enfin leur désir de connaître le monde et ses richesses. Grâce à divers facteurs, cet exodetemporaireprenddeplusen plus d'ampleur ; en France, ila doublé en dix ans. Les possibilités offertes par le tourisme de masse et le tourisme social sont pour beau coup dans cette évolution, car ils permettent à une partie de plus en plus grande des couches de la population de quitter les villes pour jouir de leur liberté et pratiquer leurs sports favoris.

Actuellement, les stations existantes sont insuffisantes ou ne répondent plus toujours aux besoins et aux exigences de la clientèle d'aujourd'hui, tant du point de vue du confort que de celui toujours plus perfectionné de la technique du ski. Il faut donc créer de nouvelles stations dans le cadre d'une urbanisation et d’une planification à l'échelle des Alpes. En effet, les régions favorables aux sports d'hiver et notamment au ski ne sont pas si nombreuses.

Il s'agit d'éviter de les déprécier par un choix maladroit de l'implantation de la station par rapport au domaine skiable, par exemple.

D'autre part, on sait l'importance que revêt pour le sportif la possibilité de se rendre d'une station à l'autre, d'une vallée à l'autre, tout en pratiquant son sport préféré. La liaison entre domaines skiables est indispensable pour assurer un équilibre touristique régional.

A ce jour, des études d'aménagement, commandées par des groupes privés ou semiprivés, ont déjà été exécutées pour le Valais, la Gruyère et la Haute-Savoie, entre autres.

L'expérience montre que le choix des emplacements destinés à voir s'implanter des stations nouvelles doit découler d’une étude approfondie de certains éléments dont les plus caractéristiques semblent être les suivants: — La certitude du succès sportif grâce à la qualité du domaine skiable. Le skieur se perfectionnant sans cesse demande chaque année des pistes permettant de prolonger la saison d’hiver, des points de départtoujours plus élevés, la proximité d'autres domaines skiables exploités ou à exploiter.

— L'altitude, 1500 à 1800 m en général, l’orientation, le régime des vents, la présence de forêts.

— Les possibilités d’accès et leur rapidité depuis les grandes villes environnantes, compte tenu de l’évolution spectaculaire des moyens de transports aériens.

— La nécessité pour une autorité nationale, régionale ou communale d’associer à une économie forestière et pastorale, souvent déficiente, une industrie touristique qui semble fréquemment représenter la seule expansion économique possible, permettant de préserver ces régions de l’appauvrissement et du dépeuplement.

— La possibilité d'une exploitation estivale rentable, nécessitant un équipement adéquat (natation, équitation, golf, promenades, excursions en haute montagne).

Ces divers points ont tous une importance capitale. Ils sont souvent d'ailleurs interdépendants, d’où la difficulté pour l’architecteurbaniste de tenir compte de tous. Il doit composer, doser, finalement prendre position. Son choix est d'autant plus difficile que tout doit être pensé et créé à la fois, tout en tenant compte d’une évolution souhaitable.

Le risque detuer l'esprit même quiattirecertains touristes est grand. Il s'agit pour l'architecte non seulement d’assurer l'unité d'un ensemble fonctionnel et économiquement valable, de l'intégrer dans son site, mais aussi de créer, dans un langage architectonique contemporain.des espaces, des ensembles volumétriques favorisant cette forme de vie associative qui fait le charme de nombreuses stations construites autour d'un centre existant.

Les conclusions de l'enquête permettent de fixer les points essentiels du programme, soit — le type de station (station de séjour, de week-end, ou station mixte, de type familial ou sportif, destiné au tourisme social, par exemple) ; — l’importance de cette station, soit le nombre de lits mis à disposition en fonction de l'étendue du domaine skiable ; — le mode de financement envisagé économie libre, économie dirigée ou économie mixte; — le choix de l’implantation en fonction de la nature de la topographie, des qualités du site, de l'incorporation au domaine skiable et aux voies de circulation.

Sur ces bases précises, l’urbaniste étaye l’élaboration de son projet. Ce dernier doit notamment comprendre: l’établissement d’un zoning délimitant entre autres le domaine skiable, les points hauts d’attrait touristique, les points bas de concentration et fixant la position d’un centre construit à l’échelle humaine, extrêmement animé et prolongé par des quartiers résidentiels calmes, un plan de masse complété par un règlement de construction garantissant une certaine unité architecturale de l’ensemble, un plan des circulations délimitant clairement la circulation des piétons et les parkings automobiles, un plan d’infrastructure permettant d’assurer une exploitation rationnelle de la station (chaufferie centrale, pipeline pour le combustible, etc.) et des maquettes d’ambiance, illustrant le caractère recherché. Une quantité de problèmes d’ordre économique, financier, administratif, tels que choix d’un mode de construction (préfabrication, par exemple), réalisation par étapes, logement provisoire des ouvriers, établissement de taxes d’équipement, remboursements fonciers, indemnisations des propriétaires lésés, serontencoreàrésoudre par la ou les sociétés d’étude et les autorités compétentes pour permettre l’édification et l’exploitation d’un ensemble rationnel, certes, mais aussi harmonieux et vivant.

L’exploitation du domaine skiable suit également des règles communes. Il faut qu’un nombre minimum de remontées mécaniques ouvre un nombre maximum de pistes de toutes catégories, permettant ainsi à tous les skieurs de la station de se livrer à leur sport favori sans vaines attentes et dans des conditions idéales. C’est dans ce but que le départ des engins de remontées mécaniques et les arrivées des pistes sont le plus souvent concentrées sur une « grenouillière », sorte de plaque tournante limitant les temps morts et les déplacements fastidieux et permettant le rassemblement des écoles de ski.

Pour les non-skieurs, le centre des sports, réunissant patineurs, amateurs de curling, nageurs et simples badauds, constitue un élément attractif maintenant indispensable à toute nouvelle station.

Une dernière notion importante régit actuellement la construction des centres touristiques, celle du « numerus clausus ». Par cette limitation volontaire du nombre des vacanciers pouvant être accueillis, on évite l’encombrement des installations et tous les inconvénients qui en résultent.

Si les points ci-dessus peuvent être communs à bien des stations, il en est un qui doit être propre à chacune d’elles: le caractère. Celui-ci doit être l’affirmation du caractère régional et des coutumes et traditions locales, pour une part, mais aussi et surtout de la volonté du créateur.

L’unité, tant dans le mode de construction que dans son échelle, la variété des espaces construits créant pour le promeneur des contrastes successifs, seront des gages d’une ambiance certaine. Le centre de la station réservé aux seuls piétons prendra, selon la topographie, le site, l’orientation, soit la forme d’une place jouxtant la grenouillière (Flaine), soit celle d’une rue entrecoupée de places-balcons (Aminona), ou d’une arène bordée d’une rue commerçante (Leontica). Le spectacle des sports (patinoire, piscine, et surtout arrivée des skieurs au centre de la station comme à Courchevel, Leontica, etc.) crée un apport constant de couleurs et de vie.

Mais le succès sportif, le caractère, ne sont pas tout. Une agglomération, quelle qu'elle soit, doit avoir une âme qui n'est autre que celle de ses habitants temporaires et permanents réunis. Pour s'épanouir, chacun devra pouvoir se divertir, se promener, se reposer, se recueillir, seul ou en groupes plus ou moins nombreux, dans les rues, sur les places, dans les parcs, au gré de ses affinités et de son tempérament et sans aucune contrainte.

Enfin, si la station pleinement occupée a sa personnalité propre, la station entre saisons n'est plus composée que des habitants permanents. Elle ne doit pas pour autant perdre de son cachet. Il faudra accorder un soin tout particulier à l’organisation de la vie harmonieuse de ses indigènes afin qu'ils n'aient plus cette impression d’abandon que beaucoup d'entre eux ressentent dans les mois creux des grandes stations existantes.

Mais à l'architecte, à l'urbaniste, une question reste constamment présente à l’esprit, celle de l'évolution deces nouvelles stations, étant donné l'application delà notion du « numerus clausus». Elles donneront probablement naissance un jour, pour ne pas mourir pour se compléter— à une ou plusieurs stations satellites, qui bénéficieront des expériences acquises et pourront répond re aux nouvelles exigences découlant du mode de vie.

Pour que ces nouvelles stations soient toujours d'une qualité supérieure, pour que l'urbaniste puisse se consacrer en toute

conscience et liberté à la résolution de ses problèmes, il serait souhaitable que les autorités compétentes puissent un jour offrir aux réalisateurs les armes nécessaires, d’ordre économique et juridique, qui seraient, par exemple, pour la Suisse, étalement des congés payés, extension de la notion d'utilité publiqueau domaine skiable et miseau point d'un système d'économie mixte, afin que la Suisse puisse continuer à être concurrentielle, dans l'avenir, sur le plan du marché touristique européen.

André Gaillard

Projets: 

Centre sportif de haute montagne en Suisse, Atelier coopératif d’architecture et d'urbanisme, Genève.
Centre sportif de 800 lits environ, dans la région de l’Aiguille du Tour. Ce centre est situé à proximité de la gare inférieure du téléphérique qui atteindra l'altitude de 3400 m. Il est accroché dans une paroi de rochers orientés sud-ouest. On l’atteint par un funiculaire.

Station de Flaine; Haute-Savoie, Marcel Breuer, architecte en chef. Laurent Chappis, Gérard Chervaz, André Gaillard, Denys Pradel, architectes associés.
Morphologie particulière du site, présentant deux niveaux à 80 m de différence d'altitude l’un del’autre. Orientation plein sud avec vue sur les champs de ski qui regardent le nord. Au niveau inférieur se trouvent: village des per
manents, chalets individuels, centre commercial, mairie, écoles de ski, poste, gare des cars, hôtels de luxe et appartements, centre des remontées mécaniques. Niveau supérieur: hôtels de toutes catégories et
appartements. La route d’accès ne pénètre pas dans la station, elle se termine par un parking. Les dessertes des niveaux inférieur et supérieur se font sous les immeubles ou sous les promenoirs ; d'où séparation complète des trafics piétons et voitures.

Station de L'Aminona, A. et F. Gaillard et architectes associés
Le centre d'activités associatives se développe et s’articule linéairement en balcons sur un centre animé et varié qui offre aux touristes un spectacle sportif permanent.
Les activités spécifiques de la station en gradins correspondent à des paliers successifs donnés par le profil du terrain.

Station de Courchevel (France) Atelier d'architecture de Courchevel

Station de Leontica; Alpes Tessinoises (Suisse) A. et F. Gaillard, architectes, et architectes associés