Villes flottantes Villes aséismiques Villes sahariennes Schwimmende und erdbebensichere Städte Floating and anti-seismic towns

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De récents et tragiques événements ont attiré à travers des catastrophes retentissantes, l'attention du public sur le phénomène des tremblements de terre, sur le danger permanent qu'il y a à habiter dans certaines régions du globe par ailleurs si attrayantes, sur l’insécurité à laquelle sont exposés les habitants des régions soumises aux secousses telluriques.

Il serait souhaitable, à notre époque où la technique paraît offrirtoutes les possibilités, qu'architectes et ingénieurs parviennent à construire des édifices susceptibles de résister aux tremblements de terre, qui ne risquent pas d’écraser leurs occupants par leur chute mais soient susceptibles, au contraire, d’être un abri — non pas un danger — en cas de secousses sismiques.

Un jeune architecte français, Paul Maymont, s’est depuis quelque temps préoccupé du problème de la construction «asismique».

Il a récemment proposé une série de projets de villes flottantes susceptibles de résister intégralement aux tremblements de terre de quelque importance qu'ils soient. Ce sont ces projets de villes asismiques que nous présentons dans cet article.

Si leur partie urbanistique et architecturale peut encore se prêter à de multiples aménagements et modifications, ces villes flottantes, étudiées en collaboration avec de grands ingénieurs et constructeurs, apportent néanmoins une solution au problème crucial des tremblements de terre dans les régions proches de la mer.

Paul Maymont a fait ses études d’architecte à l'Ecole de Paris. Diplômé, il partit pour l'Université de Tokyo. Au Japon, devant l’acuité de certains problèmes, en particulier ceux de la surpopulation, du logement et des secousses sismiques auxquelles sont sans cesse soumis les bâtiments, Paul Maymont fut amené à s'intéresser de très près aux tâches qui s'imposent dans ce pays aux urbanistes architectes et ingénieurs.

Construire au Japon, c’est d’abord se préoccuper des phénomènes sismiques. La construction traditionnelle légère résiste bien aux secousses presque quotidiennes.

Les matériaux employés ne présentent pas de danger pour les occupants, la maison étant essentiellement faite de pièces de bois assemblées de manière très souple et de légères cloisons. Il n'en est pas de même avec les constructions lourdes. « Il n'est plus possible dans ce cas de réaliser des ouvrages qui résistent aux tremblements de terre », ont déclaré à Paul Maymont les spécialistes japonais. Piqué au vif, l'architecte a étudié leur système de construction en béton armé. Ceci les amène à édifier des monstres de béton, ancrés jusqu'à 5 ou 6 niveaux en sous-sol, c’est-à-dire à réaliser des monolithes qui résistent par leur masse.

Mais depuis 1923, époque où Frank Lloyd Wright construisit I’« Imperial Hôtel » et commença à employer le béton, il n'y a pas eu de grands tremblements de terre au Japon. On ne sait donc pas seulement comment se comporteront ces «blockhaus» à la prochaine secousse importante.

Les principales villes japonaises sont situées sur la côte pacifique, la plus hospitalière.

La nappe phréatique se trouve dans ces villes très près du niveau du sol. Pour cette raison, les ingénieurs japonais sont obligés de faire des cuvelages étanches en sous-sol pour asseoir leurs bâtiments. Paul Maymont les observant dans leur travail a conclu : « Ces ingénieurs sont en train de réaliser un « bateau » sur la nappe phréatique, et ils le chargent pour l’empêcher de flotter ».

«J'ai donc pensé, explique-t-il, que, si on réussissait à faire flotter ces paquebots de béton, on pourrait construire dessus au moyen d'ossatures légères. Je n'avais pas toutefois circonscrit le problème puisque, en cas de tremblement de terre, le matelas d'eau sur lequel flotterait l’immeuble transmettrait intégralement les réactions du sol.

Plus tard, ajoute Paul Maymont, l'idée m'est venue de construire un caisson de plusieurs étages dont le fond serait décomposé en alvéoles remplis d’air. Ainsi un «amortisseur à air » à la base de chaque bâtiment neutraliserait les secousses sismiques ».

De retour en France, Paul Maymont a fait avec les ingénieurs des calculs qui tendent à prouver que, pour un caisson flottant de 200 m de diamètre, 1 m3 d’air suffit à amortir les secousses les plus importantes

* Projet de ville flottante aséismique pour la Baie de Tokyo

1. plan général, 2. maquette, 3. coupe • Bebauungsplan einer schwimmenden erdbebenfesten Stadt für die Bucht von Tokio

1. Gesamtplan, 2. Skizze, 3. Durchschnitt ■ Project for an anti-seismic floating town for the Bay of Tokyo

1. General plan, 2. Model, 3. Section

m.

enregistrées jusqu'à ce jour. Il s'agit ensuite d'équilibrer ce caisson flottant, et l'on peut construire dessus en ossatures légères diverses. Paul Maymont a dessiné une ville flottante édifiée sur des caissons circulaires.

Ces caissons pourraient être construits en bassin de radoub ou lancés en chantier naval. Ils s'assemblent pour former la ville, avec ses canaux navigables, ses places d'eau, ses îlots artificiels. Paul Maymont a également pensé à un système de digues sous-marines actuellement à l'étude pour protéger la «ville flottante» des raz-de-marée.

Chacun des éléments peut être à l'échelle d'un quartier de 10 000 à 25 000 habitants.

L'assemblage des caissons peut être fait dans le temps. La ville croît ainsi lentement, sans contraintes. Venise d'îlots interchangeables suivant la trame orthogonale de l’urbanisme chinois, c'est de l'urbanisme mobile et progressif. Le système étudié par Paul Maymont s’applique parfaitement à la baie de Tokyo. Une ville pour 10 millions d’habitants peut être réalisée par tranches sur des îles flottantes de 400 ou 500 m de diamètre.

Le caisson porteur étant d’un coût élevé, il faut, pour l'amortir, construire dessus une zone d’habitat à forte densité. Paul Maymont arrive à des nombres de l'ordre de 3000 à 4500 habitants à l’hectare, ce qui paraît surprenant. Comment s'y prend-il?

Il a imaginé une ville verticale : au centre de l’île flottante circulaire que constitue le caisson est construit un mât d'une vingtaine de mètres de diamètre et de 150 m de haut environ. Ce mât est relié et amarré aux rives de l'île flottante par un réseau de câbles

* Ville flottante aséismique

1-3. variantes et coupe • Schwimmende erdbebenfeste (aseismische) Stadt

1-3. Varianten und Durchschnitt ■ Floating, anti-seismic town

1-3. different solutions and section 4 A La construction aséismique • Der erdbebenfeste Bau ■ Anti-seismic construction 2

places Superstructure à ossature légère

jardins-promenade

jardin suspendu

matelas air isolant cheminée d’amarrage stabilisateurs lest-ballasts d’équilibrage pieu d’amarrage butée anti-vent bassin d'eau

caisson en béton précontraint

eau

* Projet pour une ville saharienne et variante pour une ville astrale • Entwurf einer Stadt in der Saharawüste und Variante für eine Astralstadt ■ Project for a town in the Sahara and alternative solution for an astral town

Photos: P. Joly et V. Cardot

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prétendus, sorte d’immense toile d'araignée tridimensionnelle. C'est sur ces câbles que sont installées les constructions, en quelque sorte suspendues. Chacune de ces îles est reliée à la voisine par un réseau d’autostrades et de métros aériens à grand débit.

Chaque «unité-ville» est composée d'un caisson immergé à 16 m. Dans ce caisson sont installées les entrailles de la ville, c'està-dire les parkings, les halles, les usines, les centrales diverses, les stocks, les magasins, les réservoirs, etc. Sous cette «cave technique » se trouve l'amortisseur avec ses alvéoles remplis d'air. Les caissons sont maintenus par des amortisseurs et des pieux d'amarrage qui les empêchent de se déplacer. Au-dessus de la « ligne de flottaison », il est prévu, dans le cas d’une île de 300 m de diamètre par exemple, 200 000 m2 de plancher réservés à la petite industrie et à l'artisanat. La construction légère permet d'établir dans les superstructures les immeubles d’habitation, les bureaux, les services publics, les jardins, les édifices religieux et culturels, etc. L’on crée ainsi un

véritable quartieravec ses rues superposées, rues à boutiques, ses places, son métro vertical et horizontal, etc.

Parmi les diverses autres propositions urbanistiques de Paul May mont, il faut signaler un projet pour la construction de villes sahariennes.

Il est un peu surprenant que nul architecte, savant ou ingénieur ne se soit jusqu'ici sérieusement penché sur le problème de l’installation d’une villa au Sahara, où les activités humaines sont appelées à se développer.

La ville imaginée par Paul Maymont groupe en un seul ensemble plusieurs milliers d'habitants. Cet ensemble ayant environ 400 m de diamètre et 120 m de hauteur, cette concentration en un seul point évite la dispersion des habitationsetdesréseauxdivers, offre aux habitants la possibilité de jouir d'un immense volume intérieur transformé en un très grand oasis artificiel; elle permet aussi la climatisation totale de la ville.

Cette ville est suspendue au-dessus du sol, isolée de celui-ci de façon à supprimer les risques d’ensablement.

Cette suspension est obtenue par une structure composée de mâts métalliques, liés entre eux par des câbles constituant un volume indéformable en forme de lentille.

L'accès dans cette ville se fait par rampes, ascenseurs et escaliers, pratiqués à l’intérieur de puits verticaux. Des sas utiles lors des tempêtes de sable ferment les entrées.

Les parois de la ville proprement dite sont constituées de panneaux isolants préfabriqués. A l'intérieur, les habitations se développent en gradins autour de l'oasis artificiel. Cette ville est éclairée par de vastes hublots fixés aux parois. Elle comporte toutes les fonctions nécessaires à une activité normale: boutiques, commerces, édifices publics, places, rues, etc.

Au sol, sous la ville, sontcreusésdes étages de parking; s'y trouvent également d’immenses réserves souterraines accessibles par des puits verticaux. Au-dessus du volume lentilliforme de la ville s'étend un immense velum circulaire. Ce velum supporte les batteries solaires génératrices d'énergie. Il est percé par des cheminées

cylindriques formant brise-soleil et qui servent en même temps, par le courant d’air qu'elles entraînent, à abaisser la température des parois externes de la ville.

Pour l'approvisionnement en eau de cette ville saharienne, Paul Maymont réadopte la technique archaïque qu'employaient les anciennes civilisations; technique qui permet, grâce à des puits artésiens, de récupérer la nuit l’eau que le sous-sol et le sable contiennent en suspension.

Partant de ce principe ancestral, il suffit d'abaisser de très peu la température extérieure des parois de la ville et du velum.

Pour ce faire, des tubes d'ammoniac sont placés dans les parois. L'ensemble forme ainsi un immense réfrigérateur. Les vapeurs nocturnes se condensent sur les plaques et l'eau est récupérée dans une immense citerne située en sous-sol.

Paul Maymont n'a pas seulement pensé à Tokyo, à Monaco ou à Paris, ses préoccupations urbanistiques vont encore plus loin.

C’est ainsi qu’il étudie en particulier des villes techniques souterraines à l’exemple

de celle qu'il propose pour l'aménagement de Paris, pour diverses capitales et grandes agglomérations: Londres, où il envisage l'exploitation du sous-sol de la Tamise; Rome celui du Tibre; Moscou celui de la Moscova. Il a également étudié des projets d’extension et d'aménagement pour Toronto, Chicago, Seattle, New Orleans et les villes situées dans les régions où lestremblements de terre sont fréquents, ainsi Mexico, Santiago du Chili, San Francisco et les villes de la côte pacifique. Il étudie, en outre, les possibilités de développement de Rio, qui pourrait s'étendre sur sa baie grâce aux constructions flottantes. Hong-Kong, où le terrain est d'ores et déjà suroccupé, où continuent de se réfugier des masses de Chinois, a besoin de «créer» immédiatement de l'espace habitable. Pourquoi ne pas, pour ce faire, songer aux villes flottentes de Paul Maymont? Le jeune architecte a aussi des projets pour Agadir, pour les villes de Hollande, pour Venise, etc. Enfin, il met actuellement au point un plan de ville technique sous-marine qui se situerait

autour de la presqu'île de Manhattan. La population new-yorkaise trouverait dans les différents niveaux de sous-sol des parkings immenses, des autoroutes à grand débit et à plusieurs niveaux faisant le tour de la presqu’île et, de plus, un abri anti-atomique pour 10 millions de personnes.

On sait la place de plus en plus importante que les jeunes architectes et urbanistes français occupent dans le mouvement de rénovation architecturale qui se développe partout dans le monde. On sait qu’ils y suscitent de grandes réalisations qui demeureront les témoins de notre temps. Paul Maymont fait partie de cette équipe de chercheurs enthousiastes qui sont actuellement le « levain » de l’architecture française contemporaine.

Marc Gaillard

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