1 Wols, gouache, 1951

Premier Salon international de Galeries-Pilotes à Lausanne

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Olle Baertling, loam 1956, 195x97 cm

Erste Internationale Biennale der Galeries-Pilotes, Lausanne First international Biennal of the Galeries-Pilotes, Lausanne L’événement artistique numéro 1 de la saison d’été lausannoise aura été le Premier Salon international de Galeries-Pilotes organisé par le directeur du Musée cantonal des beaux-arts, Monsieur René Berger.

Dix-sept galeries ont été invitées (représentant 150 artistes), provenant des pays suivants: France, Allemagne, Angleterre, USA, Suède, Japon, Hollande, Suisse.

Comme on le voit, un panorama de l’art contemporain des plus révélateurs.

Bien sûr, il y a eu des absents, et non des moindres. Mais René Berger pouvait-il inviter tous les «découvreurs »? L'exiguïté des locaux de notre musée lui interdisait une telle attitude. Il a dû, à son grand regret, limiter son choix. Ce choix — malgré tout — est assez judicieux puisqu’il nous offre la possibilité de contempler une série d’œuvres représentant presque toutes les tendances de l’art contemporain — du Pop-Art au « néo-dadaïsme », en passant par la « nouvelle figuration », l’abstraction lyrique et l'art «autre» cher à Michel Tapié. Il nous permettait ainsi de comparer certains «anciens» (Bissière, Vieira da Silva, Szenes, Zak, entre autres) à I'« avantgarde » (Baj, Lichtenstein, Arman, etc.) — et de tirer quelques conclusions relatives à la puissance expressive et à la profondeur d’une certaine forme d'«art».

Devant de prétentieuses manifestations «artistiques», en effet, on se demande si le Père Couturier n’avait pas raison de dire : «Souvent, je m'inquiète de la vraie valeur des peintres modernes. Je crains que leur perfection n’ait été obtenue qu'au prix de terribles limitations. Et, par ailleurs, les autres, les tenants de cette ampleur humaine perdent, d'année en année, leur apparence de rigueur et de consistance... ».

Cela dit, il ne faudrait pas non plus buter contre le premier obstacle venu (les «tableaux-pièges » de Spoeri, par exemple, ou les « accumulations d’objets » d'Arman) et dénigrer systématiquement — comme d'aucuns l'ont fait — cette très intéressante confrontation. Qu’il y ait eu de nombreuses œuvres mineures — voire exécrables — à ce Premier Salon de Galeries-Pilotes, personne n'en disconviendra. Mais quel « salon » ne possède pas ses parasites et ses monstres, je vous le demande?

Parmi les peintures, les reliefs et les sculptures dignes d’attention, signalons en passant les œuvres de Vieira da Silva, Szenes, Sam Francis, Tobey, Wols, Winter, Tapiès, Vasarely, Herbin, Mortensen, Hartung, Ben Nicholson, de Staël, Bissière, Ung-No-Lee, Soulages, Wessel, Julius Bissier, W. Scott, Kallos, Sonderborg, Saito, Léon Zack, Hundertwasser, Macris (pour la peinture); Pearl Perlmuter, Etienne Martin, Louise Nevelson, Barbara Hepworth, Henry Moore,

Hans Arp, Nicolas Schöffer, Agam, Hajdu, Stahly, Kemeny, Bontecou (pour la sculpture et les reliefs).

Cette exposition — une « Biennale de poche » — nous offrait ainsi un petit bilan de notre culture artistique, étroitement liée aux multiples manifestations et expériences scientifiques et spirituelles de la société contemporaine. Cette relation entre l'art et les dernières découvertes de la science (mathématique) aurait dû être particulièrement visible à la galerie Stadler. Le « programme » de cette galerie — dirigée spirituellement par Michel Tapié — est en effet le suivant: «Il est temps de reconsidérer la notion de rythme non plus à travers le chiffrage seulement possible des nombres entiers, mais bien à celui des nombres hypercomplexes, réels et transfinis, la notion de structure non plus irrévocablement liée à la règle et au compas, mais aux notions plus générales et plus riches de continuité et de voisinage de l'actuelle topologie dont la géométrie classique n’est plus qu’un tout petit chapitre extrêmement particularisé, la notion de contenu non plus comme un sujet plus ou moins théâtral prétexte, mais comme satisfaisant aux normes de la psychanalyse scientifique, la notion d’espace et de composition non plus liée à une logique formaliste statique et à un « équilibre » du même ordre, mais bien à la théorie des groupes de Galois et des Ensembles de Cantor, et aux actuelles métalogiques explicitant les en-deça et à la logique dynamique des contradictoires de Lupasco. Il est donné à Maintenant de proposer au Monde un ordre autre à la Mesure de son Devenir.» —Ce manifeste a été publié en 1954. En 1963, les résultats obtenus nous paraissent encore singulièrement maigres: ni les réseaux structurés de Claire Falkenstein, ni les œuvres «sacrales » de Saura, ni les « formes ouvertes » de Serpan (oui: «l’irréductibilité de l'expérience existentielle», c’est beau, mais cela reste trop souvent des mots et des «signes» qui sont aux antipodes de tout « langage intelligible à autrui », hélas ! et de toute force, de toute densité plastique, de toute «ampleur humaine», aussi...) ne nous paraissent s'imposer et effacer d'autres expériences plastiques, moins savantes peut-être, mais plus sensibles et plus profondes. La peinture «savante» (et nous parlons aussi bien de Serpan, de Luigi Boille que de Saito) reste trop souvent en surface et semble dépourvue soit de tout pouvoir expressif, soit de tout message communicable. Ayant pris la peine de m’informer sur l'exacte signification du graphisme ésotérique de Saito (entre l'idéogramme et le psychogramme), je me suis entendu répondre par le directeur de la galerie de Tokyo: «Je ne sais pas. Je ne

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3 Richard Mortensen, Composition 1961 4 Jaacov Agam, Relief en 4 dimensions 1956

puis rien vous dire, n’étant pas l'artiste »...

Pensez au profane !

Dans d’autres domaines de ce 1er Salon, on s'efforce plus à se distinguer des autres par des excentricités tapageuses qu’à rechercher la puissance expressive et la plénitude plastique. Je ne sais si les petites oranges de Saul, le vase de nuit de Spoeri («fixation d'une situation due au hasard ») ou l'affligeant « Its... It’s not an engagement ring...» de Roy Lichtenstein représentent bien — comme d'aucuns le prétendent — les forces vives de l'art contemporain. J’en doute beaucoup, malgré certains critiques et certains marchands enthousiastes — « Lichtenstein ira au Louvre », nous dit-on, triomphalement. Tout peut arriver. Dans tous les cas, cet art, ce « Pop-Art », n’est pas gonflé — comme l'art «autre » — par les nouvelles acquisitions de la science contemporaine ! Mais ne faudrait-il pas créer — en fin de compte — une esthétique de l'éthique qui redonnerait un sens au mot ART?

D'aucuns se sont épouvantés de voir, aux « Galeries-Pilotes », l'extrême diversité des tendances et des techniques représentées.

Du «pinceau vivant» d'Yves Klein (une femme trempée dans de la couleur bleue appuie sa devanture contre une toile: voilà de mystérieuses «anthropométries » créées) aux «accumulations d’objets» d’Arman (le plein-décoratif a remplacé la vacuité du «Tombeau de l'Espace»), les procédés et les recettes artisanales se sont multipliés au détriment de la peinture à l’huile. Cette évolution des moyens d'expression peut paraître assez déroutante pour l'esprit « classique » qui a de la peine à concevoir d'autres moyens que les traditionnels. Mais peu importe, encore une fois, les moyens: « Tout ce que l'artiste crache, c’est de l'art », disait Schwitters. Reste à savoir, maintenant, quels sont les artistes qui savent rendre un matériau expressif.

Disons d'emblée que, derrière la plupart des objets présentés à Lausanne, vous ne perceviez aucune profondeur de pensée, l’exaltation imaginative de l'artiste se manifestant d'une manière assez superficielle. Cette imagination elle-même nous paraît réduite à la portion congrue. Exemples: les objets accumulés d'Arman: ni ses assemblages de formes à souliers, ni ses assemblages de robinets n’arrivent à forcer notre admiration ou notre esprit. Est-ce là ce « supplément d’âme qui doit fonder la dignité de l'homme moderne », comme l'écrit un enthousiaste? On peut en douter très sérieusement. Mêmes remarques pour les stucs Régence de Del Pezzo, les «assemblages » existentialistes de Spoeri (on ne devrait pas en parler), la «Maternité» de Lothar Fischer, les tôles froissées de

Chamberlain (« On ne crée pas l’accident, a dit un jour Strawinsky, on le remarque pour s’en inspirer...»); le «relief» de Salvatore Scarpitta, lui, attire la sympathie d'amateurs éclairés. L'autosuggestion joue un rôle capital dans ce domaine !

Disons encore à tous ceux qui ont déjà condamné purement et simplement l'art dit «construit» (trop «euclidien»!) que l’envoi de la galerie Denise René était loin d'être l'un des moins intéressants. Dans ce domaine, nous rencontrons encore quelques inventeurs, alors que les néodadaïstes . . .

Cette exposition, fort heureusement, a secoué brutalement les esprits paresseux et les endormis de service. Elle leur mettait devant les yeux non plus des images tranquilles et habituelles mais quelques-unes des oeuvres les plus tumultueuses du XXe siècle. Elle permettait aussi d'établir mille et une comparaisons intéressantes.

Elle nous offrait la possibilité de juger certaines «trouvailles » de l'art contemporain, souvent plus proches des simples prouesses techniques que de la poésie et de la profondeur de l’être. Elle mettait enfin en relief le rôle des marchands de tableaux et de leurs critiques, rôle énorme (combien dangereux, parfois !) et dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences . . .

Mais les artistes, eux, que feraient-ils sans publicité, sans agents internationaux, sans «managers»? Si discutables que soient ces procédés et cette « politique », l’artiste peut difficilement s’imposer immédiatement sans intermédiaires. Le temps, lui, fera tout rentrer dans l'ordre et remettra les talents et les génies à la bonne place.

En attendant, il faut bien vivre. Gauguin, un jour, écrivit à sa femme : « Si tu avais connu Théo van Gogh, tu aurais vu un homme sérieux et dévoué à la bonne cause. Il ne serait pas mort comme son frère que je serais à l'heure qu'il est, tout à fait hors d'affaire.» «Quand van Gogh de Goupil est devenu fou, j’étais foutu... van Gogh seul a su vendre et créer une clientèle; pas un aujourd'hui ne sait tenter l'amateur... ».

Tenter l’amateur... Voilà encore l'un des rôles majeurs des galeries, «pilotes» ou autres. Et je crois que, dans ce domaine, l'on a déjà atteint de dangereux sommets!

Que ces petites remarques ne ternissent pas une manifestation qui méritait mieux que la hargne des réactionnaires et le haussement d'épaules des sceptiques. Ce 1er Salon de Galeries-Pilotes a été, pour le Musée des beaux-arts lausannois, d'une importance capitale. C'est la première fois que Lausanne — si je ne me trompe — est devenu, pour un temps, le point de mire des amateurs d'art du monde entier.

Nous souhaitons bonne chance au suivant !

André Kuenzi

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