Lettre de France Brief aus Frankreich News from France
En parcourant, il y a quelques semaines, un quotidien de la presse romande, j’apprenais avec peine, à la lecture d'un article consacré à son œuvre, le décès récent de l’un de mes confrères et amis, éminent architecte, qui avait assuré longtemps de hautes fonctions administratives, lourdes de responsabilités, au Ministère de la construction.
Je le savais souffrant, et cependant à Paris aucun écho de sa mort n'était parvenu jusqu'à moi: pas la moindre ligne dans un quotidien français...
La page suivante du journal lausannois était intégralement consacrée à l'interview d'un architecte, également Français, sur le thème de « l’architecture et l'ennui », vaste sujet aux conséquences dramatiques sur les multiples plans — sociaux, humains, productifs, affectifs —, et je pensais que, depuis des années, aucun article de fond, aucune enquête documentée sur l'architecture ou l'urbanisme n'avait paru dans la grande presse, la présentation des projets et leurs discussions étant réservées aux revues professionnelles, souvent remarquables, mais hélas presque exclusivement lues par les hommes de l'art ou de métier.
Ces exposés ne pouvaient ainsi «éclater» au grand jour, atteindre le grand public pour l'initier, le placer devant le problème essentiel de l'architecture: harmonie de toutes les conditions de vie de l'être humain: enfance, éducation, évolution, émotion, efficacité, équilibre, éternité, etc., et cependant, à l'intérieur de ces épais quotidiens, combien abondante est la lecture consacrée à des arts mineurs, à des disciplines accessoires, à des métiers secondaires qui conditionnent au maximum la fabrication d’un décor, d'une ambiance factice.
Mais la presse française est-elle seule responsable de ce regrettable silence? Non.
— Aussi les architectes qui n’ont pas su conserver à leur profession son influence clé, son rôle majeur, son autorité magistrale, d'abord par le fait des honoraires restés exagérément bas alors qu’à notre époque il est fréquent de confondre valeur propre et valeur matérielle, ensuite, par un abaissement de la dignité professionnelle, les architectes acceptant aujourd’hui de courir
assez lamentablement, leurs calques sous le bras vers les services administratifs où ils se plaisent à piétiner honteusement, vers les sociétés de promotion où ils viennent aux ordres, perdant ainsi peu à peu la parole.
— Aussi, les pouvoirs publics qui d'un problème national, vital, en ont fait un recueil de règlement, un terrain de spéculation et ce par un manque de décision, d'envergure, par une politique de petite semaine et aussi par incompétence parfois (tout en reconnaissant avec mon ami André Bruyère que, initialement, les règlements étaient destinés à éviter les abus et à améliorer les conditions de la construction ; mais l’enfer aussi est pavé de bonnes intentions).
Et cependant, il est indispensable, il est un devoir d’éclairer le public, de l'affranchir, car les décisions importantes, les grands «gestes» sont souvent la conséquence d'un mouvement de foule, d'une opinion largement diffusée, d’un orgueil collectif.
S'il est vrai que l'architecture est le reflet le plus exact, l'image la plus juste d'une époque, d'une civilisation qui crée son style, pouvons-nous être fiers de ce que nous implantons, de notre legs aux générations futures, de nos bâtisses posées un peu partout et un peu n’importe où, déjà défraîchies, et devons-nous nous consoler en pensant que les pauvres moyens de réalisation dont ont disposé les hommes de l'art en imposeront la destruction à relativement brève échéance?
J'avais récemment sous les yeux le projet du futur Tokyo, le «Tokyo-parallèle» pris sur la mer, aux conceptions générales foncièrement contemporaines, neuves, sans interprétation ou extrapolation, aucune des solutions conventionnelles.
Et je pensais à l'intérêt qu'un journaliste saurait trouver à exposer de telles études (grands ensembles ou recherches particulières) à la masse de lecteurs ignorante, mais nécessairement curieuse du problème de sa coquille, de son ambiance vitale, de son cadre.
Mais hélas, la presse ne s'est pour ainsi dire jamais fait l’écho des recherches des architectes français. Ainsi, le projet du « Paris-parallèle », les remarquables réalisations, telles que certains ensembles collectifs ou immeubles à Paris et en province, plusieurs complexes industriels, et principalement les récentes réalisations dans le domaine de l'équipement sportif: piscine de Boulogne Billancourt, gymnase de Vincennes (ossature en bois) et d'Ivry.
Alors, à quoi bon? La lassitude risque d’envahir l’architecte.
Si tous les efforts soutenus dans des conditions particulièrement difficiles sur lesquelles je ne veux plus revenir restent vains, si les projets les plus audacieux et les plus sensibles ne suscitent plus la plus modeste critique, la plus pauvre curiosité s'ils ne s'accompagnent pas d'un intérêt économique ou publicitaire, Si le public ne veut pas comprendre, ne jauge pas la valeur réelle des solutions, ne «doute» pas, faute d'avoir eu les yeux ouverts, Si les pouvoirs publics s'en moquent ou se confinent dans un immobilisme stérile ou, ce qui est le plus atroce, n'hésitent pas souvent à bafouer délibérément des réalisations de valeur qu’ils modifient à leur gré en les meurtrissant, par adjonction ou ablation, sans même se soucier de recueillir l'accord de l'auteur — qui oserait ajouter un trait de plume à une toile de maître —, Si les commissions, comités ou organismes responsables restent dirigés par des hauts fonctionnaires à la volonté évidente de bien faire, mais non avertis, parce que venus de diverses branches de la politique, en attente d'autres postes honorifiques.
Les architectes réclament aujourd’hui cette confiance et cette audience, sans lesquelles tout effort de création semble encore plus éprouvant, sinon plus stérile.
Lionel Mirabaud
P.S. Toute diffusion dans la grande presse étant destinée à informer, puis à former le public, il importerait de ne pas tromper la masse des lecteurs.
Pour ce faire, toute enquête devrait être dirigée par un professionnel ou un homme de l'art dont la compétence et l’honnêteté apporterait une garantie à la qualité, à l'impartialité et à l’esprit de la publication.
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