Lettre de Paris

Formes Industrielles 1963 Puzzle, Créateur: Enzo Mari Photo : Musée des Arts Décoratifs, Paris

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Faisant suite, en quelque sorte, à l'exposition de « L'Objet » relatée dans ces mêmes colonnes l'année passée, une exposition des « Formes industrielles » a été présentée ce dernier printemps au musée des arts décoratifs à Paris. La première se montrait tel un essai, une tentative pour renouveler la création des formes; la seconde comme l'aboutissement, la constatation des résultats déjà obtenus. Sans doute cette dernière aurait-elle dû être vue avant celle qui l'avait précédée car elle est apparue comme le bilan de quelque quarante ans de recherches tandis qu'à l'autre exposition semblait avoirété confiée la mission sous-entendue de renouveler un effort qui peut-être commençait à s'essouffler.

A vrai dire ce bilan de la civilisation machiniste qui vient d’être montré, était connu et n'a point provoqué d’étonnement. Il coïncidait avec le congrès de l'I.C.S.I.D.

(International Council of Industrial Design) qui s’est tenu ce même printemps à la maison de l'Unesco à Paris. Les dix-sept pays participant à l'exposition avaient envoyé une sélection d'objets produits en série industrielle et la France, qui se trouvait sur place, avait rassemblé l'ensemble assez général de sa production pour le développement de laquelle, on le sait, deux associations ont joué un rôle important: « Formes utiles » et « l'Esthétique industrielle ». C'est, en effet, une sorte de panorama parfait qui était présenté au pavillon de Marsan depuis les couverts de table Scandinaves dont chacun a déjà fait usage au moins dans l'avion, jusqu'aux radars, machines à polycopier et transistors de poche, au lavabo en forme d'œuf venant d'Italie ou aux outils de haute technologie lesquels ont fait remarquer notre pays et dire que parti tard il brûlait les étapes.

On a pu constater plutôt que cet étalage chevronné dont la présentation était d'une égale perfection, apportait l'impression du « rien de nouveau », sur le plan esthétique s’entend, qui fait naître la notion de stabilité, d’internationalisation acquise après l’élan épars du début du siècle. Nul ignore dans ce domaine l’action du Bauhaus de Weimar et de Dessau qui, à partir de 1919, a joué un rôle d’initiateur avec entre autres l'architecte Gropius et, aux Etats-Unis, l'action de Raymond Lœwy généralement considéré comme le créateur du « design ». Qu’il s'agisse d'Art nouveau, d'Arts and Crafts, de Jugendstil, tous les pays connurent plus ou moins cette crise qu'avait engendrée l'apparition de la machine et les artistes s’attaquèrent au problème, architectes en tête, tels Guimard, Mooris, Horta, Berlage, Rietvelt, Van Dœsburg, Le Corbusier, Ozenfant, Mies van der Rohe. Mais il semble volontiers que les progrès en soient

restés à ce grand démarrage et une sorte d'immobilisme malgré tant de matières et de techniques nouvelles, transparaît dans le monde des formes.

Certains tels que l'Institut français d'Esthétique, croient en trouver la raison dans le fait qu'à l'heure actuelle au stade de la conception l'artiste se trouve pratiquement exclu. D’autres pensent que cela est dû au fait que le style de l'époque a été trouvé et triomphe largement. Le rapporteur général du congrès de l'I.C.S.I.D., Jean Fayeton, incrimine le désordre actuel et le cloisonnement des disciplines. Il faut reconnaître que s’il a été créé le Council of Industrial Design à Londres en 1945, et un organisme du même genre en Allemagne en 1948, peu d’autres pays ont reçu un soutien officiel.

En France notamment l'Esthétique industrielle prônée par Jacques Viénot vers cette même époque a laissé indifférents les Pouvoirs publics et c’est grâce à l'aide privée que le premier congrès d'Esthétique industrielle eut lieu à Paris en 1953. A l’époque de la civilisation machiniste, le fonctionnalisme pour user des termes encore à la mode, ne saurait demeurer au second plan. Et pourtant l'Esthétique industrielle, l’industrial Design, le métier de styliste, celui de conseiller artistique restent à la traîne et ne sont pas en comparaisons possibles avec les progrès incontestables réalisés principalement en matière d’urbanisme ou d'architecture.

Il n’est pas cependant que les architectes ou les artistes pour se pencher sur le problème. Avec un certain retard peut-être et après l'avoir annoncé depuis longtemps, les critiques d'art à leur tour ont inscrit la question à leur ordre du jour. Sorti de ce même pavillon de Marsan où l’Association internationale des critiques d'art a également son siège, le thème dont l'énoncé suit a été proposé à l'étude pour le 8e congrès organisé parl’A.I.C.A. qui s’estdéroulé au mois de juillet à Tel-Aviv, en Israël : La création artistique dans la technologie moderne: intégration et conflits.

Sous la conduite du nouveau président de l'Association, G. C. Argan (Italie), les débats autour de ce sujet ont donné lieu à une étude plus théorique que pratique comme il fallait s’y attendre mais nécessaire et qui peut aider à débrouiller la question.

Celle-ci notamment a été considérée dans son ensemble avec lucidité par Alexandre Cirici-Pellicer (Espagne), directeur du musée d’art contemporain de Barcelone, qui fait ressortir qu'une chose dorénavant est sûre: la négation de l'art pour l'art et la volonté d'utilité. « Cette volonté d'utilité, remarque-t-il, comme facteur de conscience chez les artistes et comme progressive exigence du public, permet de penser en

une intégration, très proche, de la plus grande part de l'activité artistique à la technologie industrielle, qui est le système de production des biens utiles. Dans cette perspective on voit s'inscrire les deux branches de l'activité créatrice: construction et communication, dans deux places très précises du cycle économique. La construction, comme préparation pour la production. La communication comme point tendu entre la production et la consommation, qui rend nécessaires les biens aux consommateurs et fait connaître aux producteurs les besoins et les désirs de la masse. » Le rapporteur a abouti à cette conclusion qui satisfait en l'état actuel des choses: «Les mass media, graphisme, publicité cinéma, télévision, le livre, la revue, la signalisation se trouvent être dans le domaine des arts de la communication.

Nous entendons qu'il ne s'agit jamais d'employer comme base des arts constructifs ni des arts communicatifs un répertoire de contenus ni de formes qui correspondent à un autre système de production, mais des structures nées de l'emploi des ressources technologiques propres à ces moyens.

Alors on peut dire qu'il ne doit s’agir jamais de reproductions de prototypes mais d'originaux à nombreux exemplaires. » Et c’est ainsi que les Formes industrielles en notre ère du vingtième siècle finissant débordent le cadre qui paraissait tout d'abord leur être réservé et conduisent à reconsidérer le problème général de la création artistique.

S. Gille-Delafon.

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