Lettre d’Italie: les arts Brief aus Italien: Kunst News fom Italy: fine arts

La réaction un peu naïve dans laquelle vient de se plonger la peinture contemporaine, image de cet « esprit contemporain » qui se cherche et s’interroge — et semble ne pouvoir que très difficilement se retrouver dans la réalité de ses valeurs propres — pèse sur la situation générale de la culture italienne, égarée dans les voies les plus contradictoires (pour les arts plastiques, tout au moins), dans le but d'ôter à son accent original cette allure provinciale qui, pendant tout le XIXe siècle, l'a mise un peu à l'écart des grands courants européens, c'est-à-dire du plein essor de la culture vivante.

On comprend ses difficultés actuelles, visà-vis d'un univers pictural troublé tout le temps par des réactions et des révoltes, a tour de rôle, dont les causes ne sont pas toujours à rechercher dans le développement naturel et spontané de la peinture ellemême, puisque les marchands y sont pour quelque chose. C’est pourquoi, en Italie, les expositions les plus marquantes de cette année n’ont pas été d’art moderne (surtout que la Biennale de Venise n’avait pas lieu en 1963), mais d’art ancien, malgré l'intérêt qu'il faut quand même reconnaître à certaines expositions d’art actuel : entre autres, à l'exposition Vision-couleur, organisée à Venise dans le beau Palazzo Grassi par le « Centro Internazionale delle Arti e del Costume ». Ainsi que les expositions analogues qui l'ont précédée (« Vitalità nell'arte », 1959 ; « Dalla natura all'arte », 1960 ; « Arte e contemplazione », 1961), l’ensemble présenté en 1963 était une sorte de mise à point de la situation de l’art qu’on peut définir d'«avant-garde» malgré le refus de

ce terme (pourtant irremplaçable) par les jeunes critiques. La « nouvelle figuration » donc, avec Dubuffet comme vedette, y apparaissait en protagoniste, à côté de la « couleur expressive » du groupe Cobra. Un seul peintre italien, Bay, a été invité à Palazzo Grassi.

D'autre part, à la Biennale de San Marino, le courant « gagnant » a été celui dit de la « nouvelle vision », fondé sur certaines données scientifiques (dans ce domaine, les expériences qui ont eu lieu, pour la première fois en Europe, il y a trente ans au Bauhaus ne sont pas assez connues, ni par les artistes ni par la critique). Il est assez curieux, et fort sympathique, de constater qu'il s'agissait, à Venise et à San Marino, des deux courants les plus polémiques et les plus nettement opposés de la nouvelle peinture européenne : les deux faces de son problème actuel. D'innombrables expositions pour des prix annuels (dont il y en a qui ont atteint une certaine importance), des « rétrospectives » consacrées à des groupes et courants qui ont joué un rôle dans le développement de la peinture moderne en Italie (celle du groupe « Corrente », par exemple, à Ivrea et ensuite à Vérone), et des grandes «personnelles» (rappelons celle de Ennio Morlotti à Lecco) ont été organisées un peu partout dans la péninsule, surtout au printemps et en été.

Dans le domaine de l'art ancien, deux grandes manifestations ont eu un retentissement international: l'une, c’est l'exposition de Carpaccio, organisée à Venise dans le Palais des Doges, à laquelle les musées et les collections particulières étrangères ont

aussi participé en prêtant des œuvres importantes. Carpaccio, ce peintre extraordinaire de la Renaissance vénitienne, qui avait le pouvoir de rendre féérique la plus simple et la plus mince réalité de la vie de tous les jours, en arrivant à atteindre, dans ces « récits », le merveilleux du rêve, a été proposé à une étude critique non académique mais rigoureusement « moderne », dans le but de permettre à son œuvre de dégager tout cet esprit d'imagination «au-delà du réel », dont elle vit, et toute sa poésie, si précieuse et rare, qui l’apparente étrangement aux poètes du monde actuel. Le problème critique posé par cette exposition est donc passionnant et insolite.

Dans la ville de Turin, toujours de juin à octobre, on a repris le thème fastueux du Baroque Piémontais en une très grande exposition aménagée en trois endroits différents : le Palais Royal, le Palais Madama et le Pavillon de chasse de Stupinigi, près de Turin : trois magnifiques exemples d’architecture baroque, dans lesquels on a placé une riche documentation d'architecture, peinture, sculpture, décor de théâtre et d’intérieur, meubles, tapisserie, orfèvrerie, céramique, imprimerie, reliure et de tous les arts appliqués des deux siècles qui ont vu se développer le baroque dans le Piémont (le XVIIe et le XVIIIe) et s'imposer l'art de Juvara, de Guarini, en architecture, et, en peinture, surtout des artistes (Seyter, Beaumont, Van Loo, entre autres) à qui l'on doit les grandes décorations à fresque des architectures choisies comme cadre de l’exposition même.

Au début du printemps, la ville de Modena avait organisé une exposition extrêmement riche des trésors de ses musées, provenant surtout de la maison d'Este, qui a joué un rôle de premier plan dans l'essor de la Renaissance italienne; et, pendant l'été, dans la petite patrie du Boccace, Certaldo en Toscane, à l'occasion du 650e anniversaire de la naissance de cet écrivain, il a été organisé une admirable exposition de l'art de la vallée entière, la Valdelsa (entre Florence et Sienne), où se trouve Certaldo.

Des pièces rarissimes, provenantdes petites villes et des bourgs les plus cachés de la région, ont été rassemblées pour la première fois en un ensemble organique, où il n'était pas étonnant de retrouver quelques-uns des noms majeurs du « Quattrocento » italien : de Taddeo Gaddi à Benozzo Gozzoli, de Masolino à Ghirlandaio, de Jacopo della Quercia aux Della Robbia. L'exposition a trouvé sa place dans les salles de l'ancien Palazzo Pretorio.

N’oublions pas, pour finir (mais ce rapide aperçu reste, on s’en doute, incomplet), la grande exposition des peintures de Le Corbusier, organisée au printemps par la ville de Florence dans le Palais Strozzi et qui a connu en Italie un succès plus vif qu'à Paris, où elle avait eu lieu précédemment au Musée d'Art Moderne, et celle du peintre Matta, organisée à Bologna par la Municipalité.

Giulia Véronési

Exposition du Baroque Piémontais Palais Royal, Turin 1963 Fresque de Beaumont

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