Historique de l’Œuvre OEV

En novembre 1913, à Yverdon, à l'Hôtel du Paon, l'Oeuvre se constituait en association. Durant quelques mois, un groupe d’étude dirigé par l’architecte Laverrière et L'Eplattenier qui enseignait à La Chaux-deFonds avait travaillé activement. Il se réunissait chaque semaine. On avait convenu de se grouper en une « Ligue ». On avait imprimé un programme, on se livrait à une critique de ce programme, on fondait une revue publiée en français par Benteli à Berne. La lecture des documents révèle une activité pleine d'élan, de foi même.

De quoi s’agissait-il? Réunir des artistes, des artisans, des industriels, lutter contre la concurrence étrangère, assurer à nos fabrications une bienfacture dans le sens des arts et manufactures. L'idée venait d'Allemagne, la Suisse alémanique fondait en même temps le Werkbund. Il est décidé dès le début que la société ne sera pas une défense des intérêts professionnels, son activité sera culturelle et en cela elle tient à se distinguer des syndicats, des commerçants. Elle a même des préoccupations pédagogiques. Les arts appliqués jouent dans la vie quotidienne un rôle considérable (arts graphiques, meubles, céramique, tapisserie, bijou, décor de théâtre, architecture, peinture, sculpture, urbanisme). La société se voulait un lieu d'échange d'idées, elle entrait en contact avec les pouvoirs publics, avec la cité, et elle correspondait, dans l’esprit de ses promoteurs, à un besoin. Dans le groupe de fondation dont il n'y a presque plus de survivants, on relève le nom d'un jeune homme dont déjà les idées et les actions sont très concertées : Jeanneret, qui deviendra Le Corbusier. Il semble toutefois déjà tourné vers Paris et ses conceptionstrop manifestement d'avantgarde ne seront pas sans effrayer ces artistes, ces artisans et ces industriels qui se détacheront de lui ou lui d'eux, après la guerre de 1914. Ils assisteront de loin à la naissance de « L’Esprit nouveau », cette revue et ce pavillon qui figuraient à l'Exposition des arts décoratifs de 1925 à Paris.

Les guerres ne favorisent pas l'activité artistique et c'est en 1922 que la première grande manifestation de la société aura lieu en collaboration avec le Werkbund : Première Exposition nationale d’art appliqué, organisée par l'Oeuvre et le Werkbund Suisse — Lausanne — Halle du Comptoir suisse du 6 mai au 25 juin. Le catalogue montre l’ampleur du mouvement: près de 300 exposants dont des groupements tels que les Cahiers Vaudois, le Théâtre du Jorat, sept écoles d'art et des artistes tels qu’Auberjonois et Vallotton. En 1925 l'Oeuvre participe activement au Pavillon suisse de l'Exposition des arts décoratifs à Paris.

On peut se demander si l’idée qui présidait à la création de l’Oeuvre n’allait pas se transformer et s'éloigner de l'esprit de ses fondateurs. L’idée était allemande. Il règne en pays germanique un sens de la collaboration entre l'artiste et l'industrie qui est beaucoup moins tangible en terre latine. La Suisse romande est tournée vers Paris et les combats artistiques sont en France affaire de chapelles. Une chapelle est toujours en rupture avec ce qui existe autour d'elle et à titre d'exemple on peut citer le mouvement surréaliste.

Les décorateurs français ont leur style et il est souvent lié à des aspects anecdotiques de la vie. Le rôle des chapelles est justement de lutter, souvent avec désespoir, contre ces tendances éloignées d'un art expressif ou fonctionnel. Les potiers, les bijoutiers, les tapissiers, etc. genevois subissaient l'influence des artistes décorateurs parisiens. On rencontre d'ailleurs parfois des ouvrages de qualité dans cette production, mais il est difficile de dire qu’elle correspondait à l'esprit des fondateurs de l’OEV.

Le seul à être resté fidèle aux origines est bien Le Corbusier. En France et en Suisse il demeurait suspect. Le mérite du Werkbund est d'avoir créé une section « Die gute Form » pour lutter contre l’art décoratif et cette réaction prouve qu’il connaissait des

difficultés analogues à celles de l’Oeuvre.

Toutefois, la vie de l'association fut très active durant cinquante ans: organisation de concours, expositions, commissions diverses, participation à la Triennale de Milan. Les traces de ces activités figureront à l'exposition du cinquantenaire qui se tiendra lors de l'assemblée générale de 1963.

Ce cinquantenaire a conduit le Conseil de direction à une réflexion sur l'avenir de l'association. Depuis 1913 la Suisse s'est transformée, les artisans pour survivre doivent devenir artistes ou industriels, et les industriels, pour se développer, faire appel à un appareil de production planifié.

L'événement considérable est la transformation des masses. Cette métamorphose déconcerte par sa rapidité. L'enseignement se démocratise et les loisirs sont liés à des formes très diverses d'éducation. La télévision et la radio jouent dans cette évolution un rôle de premier plan dans les villes et dans les campagnes. La télévision est un prodigieux instrument pour la diffusion de l’image et celle-ci pénètre partout. Rien n'est plus actuel pour l'artiste et l’industriel.

Le cinquantenaire de l'Oeuvre sera donc l’occasion d’informer les membres de l’association de ces questions.

Le professeur Rieben parlera de l'évolution économique de la Suisse, sous le titre: Perspectives européennes.

Catherine Valogne, écrivain et journaliste à Paris posera la question: l'architecture moderne est-elle une science ? est-elle un art?

Jean Lescure de la RTF exposera ce que la télévision peut attendre de l'artiste, que celui-ci soit peintre, graphiste ou musicien.

Son titre est: Images sans art et mauvaise image de l’art; la TV découvrira-t-elle un nouvel art de l'image?

Cette assemblée du cinquantenaire sera donc une preuve de la vitalité d'une association qui évolue avec son temps.

Léon Prébandier

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