Architecture et Structuralisme | Félix Candela

L'intérêt que je porte au sujet de cet article est fonction de l'inquiétude que m'inspire certaine tendance, aujourd’hui courante parmi bon nombre d’architectes éminents, qui consiste à projeter et exécuter des structures extraordinaires et originales dans une intention évidente d'exhibitionnisme, sans se préoccuper outre mesure du programme fonctionnel du bâtiment. Il y a dans cette tendance toute une série d'éléments contradictoires que je me propose de discuter, ainsi que les causes éventuelles de cette attitude insolite et les possibilités lointaines d'enrichissement de notre capital de formes qu’elle est susceptible de provoquer.

La première constatation est qu'il s'agit d’un phénomène inusité. En effet, on connaît le désintéressement, voire le mépris hautain avec lequel l'architecte a considéré le problème des structures, presque dès le moment où, avec la création des écoles polytechniques au XVIIe siècle, l'ancienne fonction de constructeur et maître de l'ouvrage a disparu pour faire place à des titres et, pour finir, à des fonctions distincts pour l'architecte et l'ingénieur. Dès cet instant, le premier nommé a considéré la structure comme un mal nécessaire.

Néanmoins, plusieurs poussées d'un phénomène semblable au structuralisme actuel se sont produites durant cette période. Vers la fin du XVIIIe siècle, Boulée et Ledoux dirigent en France un mouvement appelé par certains le « classicisme romantique », qui produit une série de projets fantastiques, caractérisés par un gigantisme mégalomane et une absence quasi totale de programme ou de fonction. En effet, leurs auteurs déclarent bien qu'il ne s’agit pas de chercher le fonctionnel, mais le « sublime ».

Ces projets sont donc généralement des monuments dédiés à n'importe quoi, puisque le thème n'a aucune importance, composés de formes géométriques pures (sphères de 300 m. de diamètre, cônes de 300 m. de hauteur, etc.) dépouillées de toute décoration extérieure comme réaction contre les excès du baroque. Bien entendu, aucun de ces projets ne fut réalisé. Ils étaient d’ailleures irréalisables, vu l'irresponsable insouciance de leurs auteurs en face des dangers présentés par les changements d'échelle. Nous pourrions citer un exemple de notre époque, qui se rattache à l’esprit de ces intrépides dessinateurs. Il s’agit du musée de Caracas de Niemeyer, à la forme de pyramide quadrangulaire invertie, reposant surson seul sommet. Nous y retrouvons la même forme géométrique pure exempte d'éléments décoratifs, le même gigantisme démesuré, révélateur d'un mépris foncier des possibilités de construction et des conséquences économiques du projet.

La seconde poussée de structuralisme digne de mention se situe au début de ce siècle et coïncide avec la révolution architecturale dont nous sommes les héritiers. L’invention récente de la structure réticulaire en béton armé fut accueillie avec enthousiasme

par les architectes révolutionnaires. Giedion, dans le chapitre consacré à Le Corbusier de son livre « Espace, Temps et Architecture », en parle comme d'une panacée, dont la découverte a rendu possible le « plan libre »etla « façade libre », en d’autres termes a libéré l'architecture de l’esclavage structural.

Pour rendre encore plus évidente l'indépendance de la nouvelle composition architectonique vis-à-vis du rythme structural, une série de solutions arbitraires dont le dénomi nateurcom mu n semblait être l’escamotage des points d’appui naturels et la négation apparente des lois de la gravité furent inventées au début du siècle et mises en vogue par la suite. Les colonnes de coin furent supprimées au profit d'envolées aussi injustifiées qu’inutiles. D’énormes linteaux, qui parfois entouraient complètement l'édifice, n’avaient aucun point d'appui apparent, comme s'ils étaient une conséquence de la dissimulation des colonnes derrière la façade. De la même manière, des masses énormes de maçonnerie semblaient flotter dans les airs. Il s’agissait évidemment d’éveiller la surprise, la stupéfaction des observateurs naïfs qui, à leur grand étonnement, voyaient disparaître et se transformer subitement l'ordre de composition habituel de bâtiments dont la structure continuait à dépendre de matériaux traditionnels. Il fallait bien démontrer que les nouveaux architectes étaient capables de tout, même s’il leur fallait avoir recours à leur ennemis traditionnels, les ingénieurs lesquels, aussi dépourvus qu’eux du sens de leurs responsabilités, rendaient possibles de telles supercheries.

Du point de vue révolutionnaire, cette tendance était justifiée par la nécessité de rompre avec le passé, de libérer l'architecture du joug imposé non seulement par les éléments secondaires ou d’ornementation de la composition traditionnelle, mais aussi par les éléments primaires de structure.

C'est pourquoi il fut indispensable de forcer la solution structurale et d'adopter des formules recherchées et peu naturelles, rendues possibles par la continuité et le monolithisme du béton armé, quoique toujours aux dépens de l’économie et de la logique des structures.

On créa ainsi un structuralisme négatif, basé sur l'inversion simulée des principes éternels de la structure, qui finit par offusquer ceux-là mêmes qui avaient tenté de déconcerter en suscitant une confusion entre le possible et le souhaitable. Le plus curieux est que cette mystification délibérée de la vérité structurale fut réalisée au nom des principes fonctionnels, qui ne relèvent pas de l'esthétique, mais de l'éthique.

Je ne veux discuter maintenant ni de l'autre confusion — créée par ceux qui prétendaient obtenir des résultats esthétiquement satisfaisants par la seule application de principes moraux — ni de l'hypocrisie profonde des périodes post-révolutionnaires, où il faut feindre de se rallier aux principes qui ont servi de drapeau pendant la lutte, bien qu'ils se soient révélés peu propices à l'établissement d'un ordre nouveau, vu que leur fonction première était justement la destruction de l’ancien.

Le fait est qu’au moyen d’acrobaties dialectiques à partir des consignes révolutionnaires, on a réussi à établir un ordre nouveau, appelé «style international». Il est caractérisé dans son aspect formel par la prédominance de la fenêtre, qui dévore toute la façade. La composition s'en trouve réduite à la subdivision de la fenêtre en un réticule indépendant du rythme structural, étant donné que la structure se cache pudiquement à l'arrière-plan.

Pourtant, unefois ce nouvel ordre consolidé, ceux-là même qui avaient contribué à l'instaurer se retournent contre lui, et l'on assiste à une série detentatives de recherche dans d’autres directions. Au premier rang des assaillants, on range évidemment le structuralisme, une fois de plus utilisé pour démolir le style établi. Les premières escarmouches furent le fait d'architectes doués d'un grand talent plastique, mais d'idées très vagues sur le comportement des structures et sur le jeu des forces qui s’y exercent, tels que Niemeyer et Le Corbusier.

Les véritables causes de ces essais de rénovation sont pourtant plus complexes que la simple aversion ou insatisfaction envers une manière d'agir déterminée, que le désir sincère de revenir à la pureté des formes architecturales. L'attaque contre le style est plutôt la conséquence d'autres motivations. La principale d’entre elles est le souci d'originalité, qui dépasse l'architecture et reflète un problème beaucoup plus général de notre époque: celui de la lutte entre individualisme et collectivisme. Il représente la réaction naturelle d'une profession traditionnellement libérale contre le processus — apparemment fatal, inévitable — d'uniformisation, de massification. La nécessité d'affirmer sa personnalité se matérialise en la recherche de solutions originales et différentes, Cette prétention s'avère hautement contradictoire, puisque l'essence même de l’architecture est, dans un certain sens, l'absence d'originalité.

Pour que l'architecture soit comprise de chacun, les changements des modes d'expression doivent intervenir graduellement.

Tout changement brutal dans le langage habituel entraîne trouble, désordre et chaos. Le langage architectural se compose comme tous les autres de symboles abstraits, auxquels la coutume attribue une certaine signification. Toutefois, ce symbolisme a en architecture deux manifestations différentes, presque comme deux langages superposés: le style et le caractère. Le premier se réfère surtout aux éléments secondaires ou décoratifs de la composition et constitue le tréfonds commun à toutes les manifestations architecturales d’une certaine époque. Le second est le symbolisme formel qui différencie un édifice de l'autre, selon son usage ou sa localisation ; il se maintient, par conséquent, à travers les époques, indépendamment du style particulier de celles-ci. Le premier est un élément universel, mais temporaire. Le second est un élément particulier, mais en un certain sens éternel, ou pour le moins de mutabilité très lente. Tous les deux sont des manifestations formalistes, mais le premier se rattache davantage aux détails ornementaux et aux types structuraux rigoureusement établis, tandis que le second se réfère aux proportions et à la forme générale de l'édifice.

Une promenade dans les vieilles rues d’Amsterdam, par exemple, illustrerait parfaitement cette différence. On y constate que toutes les maisons d’une même rue conservent une parfaite unité de caractère, typiquement locale résultant d'un équilibre entre la largeur et la hauteur de la façade, la taille et la proportion des ouvertures des fenêtres et des portes, et peut-être d'autres détails plus subtils, bien qu’elles aient été construites à des époques et dans des styles différents.

Le caractère d'un édifice religieux ne peut être le même que celui d’un club sportif ou d’un palais gouvernemental. Ces mêmes bâtiments seraient différents au Mexique ou au Danemark, car ils devraient refléter les différences climatiques, les particularités architecturales et les traditions locales, ce que Chueca appelle « les constantes nationales ».

Pour qu'une oeuvre architecturale puisse être appréciée et comprise par les amateurs, par l'homme de la rue, elle doit satisfaire deux conditions: se présenter sous une forme dont ie symbolisme spécifique soit facilement associable dans l’esprit de l’observateur — après de longues années d’inconsciente éducation visuelle — à la fonction particulière de l'édifice et à la tradition locale; employer un langage ornamental stylistique en accord avec les usages, en d'autres termes elle doit être habillée à la mode.

Je sais qu'en architecture moderne, l’opinion générale sépare ces deux concepts, les théories du rationalisme et du fonctionnalisme les ayant détruits il y a plusieurs années. Et pourtant, bien qu’invisibles, ils existent encore, puisque l'architecture ne saurait être sans eux. Le style est la réglementation du superflu. Sa principale justification réside dans le besoin d'une architecture exercée par un nombre toujours croissant de professionnels, et non par une élite de génies.

Ortega dit que «l'homme est un animal auquel seul le superflu est réellement nécessaire ». Le fonctionnalisme à outrance est donc « infrahumain ». Si les ambitions de ia famille humaine se bornaient à la satisfaction de ses besoins biologiques élémentaires, la vie humaine se rabaisserait au niveau animal. Si l'architecture se limitait aux seules fonctions mécaniques d’une construction, elle ne serait plus digne de ce nom.

Cependant, si nous admettons la nécessité d’un style, il devient évident que l'architecte n'a plus le droit de travailler que sur des lieux communs. Je suis convaincu que leur maniement perspicace et ingénieux est plus que suffisant pour faire une bonne architecture. Allant même plus loin, je crois que c'est la seule manière de la faire. Un type déterminé de structure peut être considéré élément architectural seulement lorsqu’il est entré dans cette catégorie topique et lorsque son efficacité à été abondamment prouvée.

Il démontre ainsi le caractère paradoxal des intentions qui veulent faire de l’architecture au moyen de structures originales.

En période de stabilité, dans les époques classiques — par opposition aux périodes de transition ou de crise — la note originale était beaucoup plus subtile et raffinée. On suivait docilement les impératifs généraux du style et on utilisait avec discipline les types de structure en vigueur. L'expression individuelle ne s'obtenait que par la finesse des proportions et la finition des détails. « Dieu est dans les détails » disait Mies. Il est évident que le talent a toute latitude de s'y révéler, sans recourir à des solutions tapagueses. On objectera que nous ne vivons pas dans une époque classique, mais en pleine crise et que, par conséquent, le souci de solutions neuves, notamment structurales, est pleinement justifié pour retrouver une période de stabilité. Je ne nie pas le bien-fondé de la recherche et de l'expérimentation structurale, mais je maintiens qu'elles ne peuvent — de par leurs exigences — être le fait des architectes d'aujourd’hui, à moins qu'ils ne soient décidés à renoncer à ce titre.

Une des causes principales de là dangereuse fièvre de structuralisme dont souffre notre profession est le désir vivace de rivaliser avec les succès mondiaux, apparemment faciles, obtenus par un groupe de spécialistes géniaux — Maillart, Torroja et Nervi en particulier — qui ont, jusqu’à un certain point, révolutionné l'art de la construction. Mais la façon d'opérer de ces ingénieurs — doués d'une exceptionnelle sensibilité artistique —est, en fait, totale ment différente de celle de l’architecte. Il s'agit de personnes dont la formation professionnelle et la vie entière ont été complètement axées sur une tâche unique.

Dans certains cas — comme celui de Fuller et de ses coupoles sphériques réticulées — cette tâche consiste dans le perfectionnement constant d’un type structural bien déterminé et extrêmement spécialisé. Ils en arrivent donc à s'intéresser plus à la structure en elle-même qu'à l'édifice qu’elle doit couvrir ou soutenir. En fait, ils ne peuvent agir que lorsque le programme fonctionnel de la construction est suffisamment imprécis pour s’adapter aux exigences rigides de la forme structurale.

Ce processus est entièrement contraire à celui du procédé architectural courant. Il choisit d'abord la forme structurale et étudie par la suite la possibilité d’y faire entrer les impératifs du programme fonctionnel. Il en résulte une architecture formaliste et antifonctionnelle, indigne, peuton dire, d’architectes conscients de leur responsabilité devant la société.

D’autre part, les structuralistes ont acquis une expérience et un métier, après de longues années d'apprentissage et d’autoéducation qui se composent dans les grandes lignes des éléments suivants: étude exhaustive de la documentation écrite relative au thème particulier qui les intéresse ; sélection de ce qui est acceptable, basée sur de fermes principes subjectifs; application progressive de ces connaissances, qui forment déjà une partie intégrale de la personnalité du structuraliste, à l’exécution d'une série d'œuvres, d'abord très simples et d’échelle fort petite, puis de plus en plus vastes et raffinées dans les détails.

C'est une évolution naturelle, basée sur une copie de l'oeuvre des autres, revue et corrigée par sa propre personnalité, ou sur une auto-copie, modifiée graduellement. Au bout d’un certain temps, cette méthode routinière donne des résultats apparemment originaux, si l’on oublie ses étapes intermédiaires, mais il s’agit d'une originalité de détails plus que de forme. Si nous examinons, par exemple, les extraordinaires travaux de Nervi, nous constatons que la forme générale de ses structures est toujours très simple, presque évidente: coupoles sphériques ou voûtes cylindriques. Ce qui en fait l'originalité est le travail génial des détails, le beau tracé des nervures ou l'expressivité sculpturale de ses supports.

Le secret de ce qu'on appelle l'intuition structurale, si ardemment ambitionnée par tout étudiant en architecture, réside d'une manière ou d'une autre dans le simple processus évolutif du travail quotidien.

Comme on le voit, le procédé, même s'il n'est pas aussi rapide qu'ils le désireraient, est relativement simple. Il suffit d'y consacrer toute une vie.

Cette consécration constante à un objectif unique développe aussi une certaine éthique professionnelle, qui se refuse à partager la responsabilité de l'œuvre avec qui que ce soit. Dans de nombreux cas, le structuraliste prend également en charge la responsabilité économique, en jouant un rôle de constructeur ou d'entrepreneur. Il est évident que cela lui interdit toute structure absurde, douteuse, dispendieuse ou reposant sur des travaux de calcul excessifs.

Malheureusement, les architectes structuralistes ne s’imposent pas cette discipline rigide. Au lieu de suivre un apprentissage normal, de se familiariser progressivement avec les difficultés d'un problème particulier, ils préfèrent commencer par la fin, construire des structures jamais vues, et se dispersent entre des problèmes trop divers.

Aucun architecte structuraliste qui se respecte n'accepte en principe de construire une structure déjà exécutée par quelqu'un d’autre. Il insiste sur le fait qu’elle doit être absolument originale. Il ne s’agit plus là d’une recherche structurale intègre, mais d'exhibitionnisme.

Mais l'originalité d'une structure correcte ne peut être qu'éphémère. Une fois qu'un genre de structure a du succès, sa répétition est inévitable, car parmi les conditions de succès doivent figurer économie, efficience et facilité d'exécution. Par conséquent, seules des structures absurdes et inefficaces ont une chance de durer comme créations originales.

Par bonheur, le processus généralement suivi dans la pratique du structuralisme favorise à un haut degré la découverte de structures à caractère original permanent.

Après quelques croquis ambigus définissant à peine la forme géométrique de la structure, l’étape suivante de ce processus de dessin est de confier les calculs à des ingénieurs renommés, auxquels on ne donne généralement pas l’occasion de s'exprimer — ou de s'exprimer avec autorité suffisante — au cours de la première étape. L'attitude de coopération docile des ingénieurs contribue à cette situation. En effet, ayant réussi à porter l'instrument analytique pour le calcul numérique des structures à un haut degré de perfection, ceux-ci sont généralement plus désireux de montrer leur savoir en opérant des calculs brillants que d'affronter les architectes dans le but d'obtenir une structure logique, fonctionnant naturellement, c'est-à-dire avec une économie d'efforts maximum. Au contraire, ils proclament et prouvent par les faits que la technique analytique a accompli de tels progrès qu'elle est capable de rendre possible la construction de n'importe quelle structure, aussi absurde soit-elle.

Il convient ici d'insister une fois de plus sur la différence existant entre le calcul et le dessin de structures. Le calcul est une méthode analytique de recherche quantitative des forces intervenant dans une structure déterminée, sous l'action des charges.

Pour appliquer cette méthode, il est nécessaire de déterminer auparavant la forme et les dimensions de la structure sous étude.

Cette détermination est le résultat d'un acte personnel de synthèse créatrice, que nous appelons dessin, dans lequel interviennent l'imagination, l'intuition, l’expérience et les connaissances de l'agent créateur. Il réunit ainsi toutes les caractéristiques d’un art. La différence entre le dessin et le calcul est la même que celle existant dans le domaine scientifique entre le côté créateur de la science, chargée de formuler des hypothèses, et l'analyse de recherche, qui s'occupe de les vérifier. Bien que les deux procédés soient complémentaires sous une pensée unique, l’art de la création ne sera jamais le résultat immédiat d'une recherche analytique.

De nos jours, toutes les structures doivent être calculées, mais le fait qu'une structure soit bien calculée ne garantit en aucune façon qu'il s'agit d'une bonne structure, étant donné que la sélection à priori de sa forme et de ses dimensions a une influence tellement décisive sur les calculs ultérieurs que ceux-ci ne peuvent que vérifier la justesse de notre choix dans certains cas ou nous enfoncer encore plus profondément dans l’erreur dans d’autres. C’est ainsi que les plus grandes anomalies en matière de structure sont le plus souvent étayées par des calculs scrupuleux et très corrects, tandis qu'une structure bien dessinée n'a presque pas besoin d'être calculée. On pourrait donc enoncer le critère suivant: la qualité d’un dessin de structure est inversement proportionnelle à la quantité et à la complexité des calculs nécessaires pour son exécution.

Puisque l’architecte s'est trouvé dans l’obligation de se désintéresser du processus analytique de calcul — vu, entre autres, que la prolifération pathologique et désordonnée de la littérature technique l'empêche même de tenter de s'introduire dans ce domaine — il est resté automatiquement incapable d'entreprendre le dessin de structures qui exige l’examen équilibré, sensé detoutes les conditions requises par une structure, y compris une connaissance précise des possibilités et des limitations de la technique, ainsi qu'un premier jugement sur la complexité des calculs à effectuer ultérieurement.

Remarquez queje suisfermementconvaincu que l’on peut être architecte et même fort bon architecte sans avoir plus que des idées générales des méthodes actuelles dans le domaine des structures. Ce que des connaissance aussi limitées interdisent, c'est seulement d'être un dessinateur de structures. Mais, si nous voulons que l'art de construire ne piétine et ne se paralyse pas sans grand espoir de progrès, il faut qu'existent certains personnages, qui se dédient à la recherche dans le domaine des structures, à la découverte de nouvelles formes résistantes. Je parle d'un genre de recherche qualitative et mesurable. Un travail théorique est loin de suffire dans ce cas, il doit être accompagné de réalisations progressives et d’essais à l'échelle naturelle. Au cours de ce travail, il peut arriver que l'on rencontre quasi fortuitement certaines formes capables d'évoluer vers des types, qui permettent leur utilisation courante en architecture et complètent donc le répertoire de cette dernière en matière de composition.

Cela veut direquebienquece travail n’ait en principe pas de prétentions dans ie domaine de l’architecture, ses résultats peuvent contribuer à l'enrichissement de cette dernière.

Les principales conditions que doivent remplir ces genres de structures sont:

a) L’économie de matériaux et la facilité de la construction ;

b) calcul relativement simple et à la portée de tous, ce qui signifie qu’il ne doit pas être l'apanage d'une minorité de spécialistes ;

c) forme assez souple pour admettre des possibilités de combinaisons leur permettant de s'adapter aux différentes dispositions des espaces.

Dans mon cas personnel, ma plus grande satisfaction n'est pas d’avoir élevé des structures spectaculaires — quoique je ne cache pas le plaisir que j'ai eu à les faire — mais celle d'avoir contribué dans la mesure de mes moyens à soulager le grave problème qui consiste à couvrir de façon économique des espaces habitables et d'avoir démontré que la construction de voiles minces ne constitue pas une prouesse extraordinaire destinée à immortaliser ses auteurs, mais un procédé de construction simple et flexible. Je suis particulièrement fier de mon humble parapluie et surtout de voir que des gens très divers s'en servent avec succès dans tous les coins du monde.

Personne ne le prend pour une manifestation structurale, mais pour un élément utile et économique. En d’autres termes, il est devenu un «lieu commun» et peut être utilisé par l'architecte pour sa tâche spécifique, qui est d'atteindre la « beauté par des moyens simples ».