Vers un urbanisme spatial Michel Ragon

Parler d'une architecture spatiale de l'avenir est une impropriété, l'architecture ayant été toujours spatiale. Du moins à partir du moment où les hommes ont quitté les grottes et les cavernes souterraines pour construire de leurs mains des huttes de branchages, puis des tours de pierres. A partir du moment où la hutte de branchage s'est hissée sur pilotis pour protéger les occupants des fauves, à partir du moment où la demeure en pierre a conquis elle aussi l'espace par un ou plusieurs étages superposés, l’aventure de l'architecture spatiale, qui devait avoir ses étapes glorieuses avec les ziggurats babyloniens, les tours de San Geminiano et les gratte-ciel de NewYork, commençait.

Ce qui est nouveau, ce n'est donc pas la notion d'architecture spatiale, mais d’urbanisme spatial. Le gratte-ciel est typiquement une construction faite au XXe siècle par des hommes qui pensaient XIXe siècle. Il est en effet insensé qu’il faille, à New-York, lorsque l'on se trouve au trentième étage d’un building et que l'on désire se rendre ensuite au quarantième étage d’un building voisin, redescendre au rez-de-chaussée, traverser une ou plusieurs rues parmi les encombrements des véhicules et des piétons et reprendre un nouveau chemin vertical (ascenseur). L'architecte qui a construit le Pont des Soupirs, à Venise, pour relier deux immeubles, était beaucoup plus audacieux.

L'architecture du gratte-ciel est certes spatiale, mais c’est une architecture de volume fermé. Si l’on ouvre ce volume et que l'on relie plusieurs gratte-ciel les uns aux autres, voilà que l’architecture spatiale commence à devenir urbanisme spatial. Bernard Zehrfuss a ainsi conçu pour le Rond-Point de la Défense à Paris un projet de gratte-ciel de 64 étages, avenue verticale de 250 m de haut, desservant cinq plates-formes distantes de 40 m les unes des autres et formant ainsi cinq « places aériennes », chacune d’elle pour quatre buildings.

Ceci répond exactement à ce souhait de Robert Le Ricolais qui me disait il y a quelques années : — Moi je ne résous pas des problèmes d'urbanisme, mais j’essaie de compliquer les problèmes des urbanistes. Ils me disent: « La rue est un non-sens. On ne peut plus circuler. » Bon ! Eh bien, faisons la rue en un seul building ! Il faut considérer la rue non plus comme un chemin, mais construire des rues, concevoir la rue comme un bâtiment. On peut réussir à empiler un million de bonshommes en les tassant bien. Je crois que c'est la dernière chose à faire, mais c'est une question à poser. Puisque la rue horizontale ne va pas, faisons-la verticale. Ne considérons plus le building comme indépendant mais rejoignons les buildings les uns aux autres.

Fini de considérer un building comme un objet isolé. L’urbanisme consiste à ne plus voir l’objet, mais le groupe.

Avec les moyens techniques dont nous disposons, on peut réaliser aujourd'hui des choses qui paraissaient scabreuses hier.

Voici qui est en parfaite contradiction avec l'architecture et l'urbanisme communément pratiqués actuellement et qui répond à des notions héritées de la Charte d'Athènes. La Charte d'Athènes a eu le grand mérite de repenser la ville il y a trente ans. Mais curieusement, en repensant la ville, elle s'est acharnée à la détruire. Martin Pinchis a fort bien résumé ces contradictions dans le numéro 11 de « Architecture Formes etFontions».

« On parlait d’urbanisation intégrale, mais en réalité il s’agissait d'une ruralisation intégrale... La ville de demain se devait d’être tout autre chose qu'une série de petits villages dispersés dans les champs avec des habitants vivant par petits clans... » La Charte d'Athènes a abouti, on le sait, aux Grands Ensembles, parallélépipèdes rectangles isolés les uns des autres et entourés de faux espaces verts, caricature de ville, ou plutôt solution bâtarde, ni rurale ni urbaine. « Une cité n’est pas une campagne parsemée d'immeubles », dit encore Martin Pinchis. « Nous nous refusons à joindre un mouvement qui au nom d'une soi-disant « vie en plein air » a pour objet de détruire la notion de ville.

Il est nécessaire de poursuivre la réalisation d’un nouveau type de ville qui, sans détruire les qualités essentielles et caractéristiques de la notion de ville, permette la construction de nouvelles concentrations de notre époque sur des principes radicalement nouveaux par rapport à ceux du passé.» Voilà une position que nous partageons entièrement. Au lieu de faire éclater la ville, il faut au contraire concevoir de nouvelles concentrations qui correspondent à nos besoins de déplacements rapides et d’échanges, de dynamisme, de mobilité, etc. Les premières thèses dans ce sens ont été celles de Yona Friedman et de Edouard Albert en 1958-1959.

La Conférence pour une Architecture Spatiale, de Edouard Albert, en septembre 1959, constitue un remarquable manifeste. N’y lit-on pas: — La vue cavalière des grands tracés d'urbanisme nous révèle d'un coup que nos civilisations orientales et occidentales, qu'il s'agisse de celle de Pékin ou de celle de Versailles, ne peuvent avoir d'intérêt pour nous que sur le plan sentimental. Il ne peut être question d'aménager de façon quelconque ces « tracés » à plat ou même de s'en inspirer. Notre poésie quotidienne est à la fois trop inquiète et trop orgueilleuse pour demeurer dans le domaine horizontal. Elle nous pousse à prendre totalement possession de l'espace en composant en expansion.

Dès maintenant, la ville sur tracé tridimensionnel est la seule qui ne soit pas folle. » Et Edouard Albert ajoutait: « En architecture, l'évolution~(jusque et y compris Le Corbusier) n'a pas repensé son véritable problème qui est de structure, dans un autre esprit que ne l’avait fait la Flaute-Egypte. La masse y est toujours triomphante, or elle est théoriquement incompatible avec notre fourmilière d'aujourd’hui... C’est la technique légère des « ossatures actuelles » qui fait virer l'expression architectonique en y incorporant le silence et la transparence du ciel. » Comment se composerait cette ville spatiale? Par «de grandes ossatures régulières à contreventements tridimensionnels, nous dit encore Edouard Albert.

Ces structures seront ainsi faites que l'on pourra y liaisonner les planchers des différents volumes utiles alimentés par des faisceaux de circulations linéaires mécanisées, faisant office de rues en liaison avec des places-plates-formes aériennes, aires de stationnement... Les grands ensembles peuvent ne nécessiter selon cette vision que 5% des surfaces normalement occupées actuellement (Paris réduit au vingtième de sa surface devient possible, avec ses déplacements annulés). » Car au lieu de disperser^l'habitat dans des zones vertes comme on l’entreprend aujourd'hui, le problème est bien plutôt de resserrer les zones urbaines en prenant possession de l'espace par des sols artificiels. Babylone, qui connaissait nos problèmes de démesure démographique, avait déjà adopté la solution des jardins suspendus.

Tous les récents congrès d'urbanisme ont été dominés par un cauchemar : celui du nombre. D'après un document de l'ONU ou les statistiques de Woytinsky, si l'accroissement démographique actuel devait continuer au même rythme, en 1200 ans la population de la terre serait de 705 milliards d’hommes. Ce n'est pas la solution de la «ville verte » en parallélépipèdes dispersés qui pourrait permettre de donner un toit à cette multitude. Par contre, Yona Friedman s'est livré à un calcul fort intéressant. Après avoir calculé que l'ensemble des terres fermes du globe représentait 149 millions de kilomètres carrés, il est arrivé à la conclusion que 45 % de ce chiffre, soit 70 millions de kilomètres carrés étaient seulement climatiquement habitables. 60 % de ces 45 % sont, de plus, constitués de terrains difficiles à habiter en raison, par exemple, de reliefs trop prononcés. Restent donc 28 millions de kilomètres carrés qui pourraient être utilisables en infrastructure spatiale. Celles-ci permettant de multiplier l'espace par 3,5, nous trouvons donc comme résultat: 35 000 habitants au kilomètre carré sur 28 millions

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Bernard Zehrfuss, architecte

Projet de gratte-ciel à Paris. 250 m de hauteur, 64 étages, 16 000 personnes Wolkenkratzermodell, Paris. 250 m Höhe, 64 Stockwerke, 16 000 Personen Project for a skyscraper in Paris. 850 ft high, 64 floors, 16.000 occupants 2 Otto Frei, architecte-ingénieur

Projet d'une ville future Entwurf einer Stadt der Zukunft Project for a town of the future 3 Stéphane du Château, ingénieur

Tennis couvert, longueur 36 m.

Überdachter Tennisplatz, Länge 36 m Covered tennis court, 120ft. long

de kilomètres carrés, soit 980 milliards d’habitants. Les possibilités d’occupation humaine de la terre, grâce aux sols artificiels, permettent donc de déjouer les vues les plus pessimistes dans le millénaire qui suit. D’autant plus que la limite de sécurité pourrait être augmentée par l'utilisation d'une partie des 361 millions de kilomètres carrés recouverts par les eaux.

Yona Friedman n'a-t-il pas développé l'idée des villes-ponts?

A l’origine des recherches de Friedman se trouve sa thèse : « L'architecture mobile », publiée pour la première fois ronéotypée en 1958. Les parties essentielles de celles-ci viennent d'être reprises dans le livre « Les visionnaires de l'architecture » (Laffont 1965). Ce livre, qui complète l’ouvrage que j'avais publié en 1963 chez le même éditeur: «Où vivrons-nous demain », thèse générale sur l'architecture et l'urbanisme prospectifs, comprend également des textes de Nicolas Schöffer, de Paul Maymont, de Walter Jonas et une abondante illustration. En confrontant les idées de Edouard Albert, de Friedman, de Maymont, de Jonas, de Martin Pinchis, ou du jeune Japonais Kurokawa, on s'aperçoit qu’il existe actuellement dans le monde un courant très fort en faveur d'un urbanisme spatial qui se cherche encore, mais dont on commence à entrevoir les grandes lignes.

A la base de celui-ci, il y a d'abord une découvertetechnique : les structures spatiales. Il s'agit, on le sait, d'un système permettant une dispersion spatiale des forces, tous les éléments porteurs travaillant ensemble. Elles permettent de grandes surfaces libres à portées ininterrompues. L’ingénieur Robert Le Ricolais est à l’origine des études sur les structures spatiales et la plupart des applications qui en sont faites ou proposées

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4 Paul Maymont, architecte

La ville verticale, projet pour Paris Vertikale Stadt, Entwurf für Paris A proposal for Paris, the vertical town 5 Edouard Albert, architecte

Projet de structure arborescente Entwurf einer baumartigen Struktur Project for an arborescent structure

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Nicolas Schöffer, sculpteur

Tour spatiodynamique, cybernétique et sonore avec spectacle luminodynamique.

Liège.

Cliché: Editions du Griffon

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sortent de ses études et de ses théories.

Il vient de mettre au point récemment un nouveau moyen de locomotion, le skyrail,’ sorte de métro aérien circulant dans des nases suspendues à des tours habitables. Stéphane du Château en France, Makowski à Londres, Konrad Wachsmann en Allemagne, Buckminster-Fuller aux Etats-Unis, Otto Frei en Allemagne, ont poussé fort loin les applications possibles des structures spatiales. Les grilles spatiales de Friedman, qui ontd’abord été calculées par l’ingénieur Ketoff, dérivent des systèmes de Le Ricolais et de Wachsmann. C'est avec Stéphane du Château que Nicolas Schöffer étudie la structure d'une tour spatiodynamique.

Enfin, les colonnes creuses porteuses d’éléments suspendus, de Paul Maymont et de Arthur Quarmby, reprennent l'idée de la Maison Dymaxion de BuckminsterFuller qui date de 1927 en la faisant passer du stade architectural à l’urbanisme.

A l'origine, donc, des recherches structurales d’ingénieurs. Et il est possible que si tant d'architectes boudent les plans de ceux qu'ils appellent des « utopistes », c'est parce que cette formidable mutation qu'ils annoncent n'a pas été le fait de leur corporation. Cela paraîtra exagéré, ou stupide. Il suffit pourtant de fréquenter les réunions d'architectes pour s'apercevoir que, si ceux-ci parlent toujours de la défense de la profession d'architecte, ils parlent beaucoup moins de la défense de l’architecture, que cette architecture soit réalisée par l'un des leurs, ou un ingénieur, ou un industriel.

Il est de bon ton de parler également « d’architecture fantastique », en mettant dans le même panier le Facteur Cheval et Paul Maymont, Monsu Desiderio et Friedman, Rodolphe Bresdin et Nicolas Schöffer. Habile manière de noyer le poisson. S'il existe en effet des visionnaires d'une architecture fantastique et gratuite, de Jérôme Bosch à Gustave Moreau, en passant par Breughel, Piranèse et Victor Hugo, il est facile de dresser une liste de visionnaires d’un fantastique absolument différent de celui de ces artistes, et qui va de Léonard de Vinci, Ledoux et Boullée à Le Corbusier, en passant par Sant’Elia, et les œuvres refusées de Hector Horeau, Peter Behrens, Perret et des architectes allemands dits « utopiques » des années 20.

L’idée de Ledoux, au XVIIIe siècle, de vouloir construire une maison sur une cascade était fantastique. Mais au XXe siècle, F. L. Wright a réalisé cette anticipation aux Etats-Unis. En 1918, on parlait d’utopie lorsque Bruno Taut imaginait une « architecture alpine », sorte de coupole climatisant une montagne. Mais aujourd'hui, Buckminster- Fuller ou Otto Frei peuvent climatiser des régions ou des villes entières avec des coupoles géodésiques ou des structures tendues. Et Werner Ruhnau parie d’architecture immatérielle par des toits d'air pulsés.

Avec Léonard de Vinci, Ledoux et Boullée commençait en effet la grande aventure du fantastique technologique. Le titre de l’ouvrage d’Emil Kaufmann, « De Ledoux à Le Corbusier», est tout un programme.

xtion

section

' Voir A, F+F N» 11

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A-B

PLAN

D'ENSEMBLE

C-D

A propos du fantastique technologique, l'ingénieur et architecte René Sarger a écrit en 1962 : — Il est depuis peu de temps un fantastique de notre époque qui n’a aucun lien avec le passé, qui n'est pas baigné de réminiscences, un fantastique qui n'est plus issu de créations « monstrueuses » mais qui est basé sur les possibilités de la technique, sur le fait que la conscience humaine est en retard sur la réalité de demain, un fantastique de l'anticipation...

Le fantastique moderne n'est étrange que pour ceux qui ignorent encore les possibilités «fantastiques» des nouvelles techniques ».

Il m’apparaît ici indispensable de répondre au violent réquisitoire de Félix Candela, publié dans le numéro 11 de «Architecture Formes et Fonctions » et intitulé « Architecture et structuralisme ». Félix Candela qui, on le sait, est un des plus audacieux et des plus originaux constructeurs de notre temps, s'y montre à un tel point agacé par le «structuralisme» et la « recherche » qu’il va jusqu'à écrire que « l’essence même de l'architecture est, dans un certain sens, l'absence d’originalité ». Contradiction avec l’œuvre de Candela elle - même qui n'est pas sans dénoter quelque mégalomanie. Ce qui n’est d'ailleurs pas pour nous déplaire.

Mieux vaut un mégalomane qu'un médiocre. Candela, en tout cas, dénonce la « fièvre de structuralisme » et avance que « seules des structures absurdes et inefficaces ont une chance de durer comme créations originales ». Il accuse enfin les ingénieurs d'être « plus désireux de montrer leur savoir en opérant des calculs brillants que d’affronter les architectes dans le but d'obtenir une structure logique... Au contraire, iis proclament et prouvent par les faits que la technique analytique a accompli de tels progrès qu'elle est capable de rendre possible la construction de n’importe quelle structure, aussi absurde soit-elle... Le fait qu'une structure soit bien calculée ne garantit en aucune façon qu’il s'agit d’une bonne structure. » Voilà qui mérite quelque attention. En contradiction formelle avec les principes du fonctionnalisme, nous apprenons que les formes fonctionnelles ne sont pas forcément belles. Nous nous en doutions.

Mais quelles références peut-on avoir dans le domaine du structuralisme, si le calcul exact lui-même n'est plus une preuve? Candela se calme d’ailleurs en fin d'article et avoue que « si nous voulons que l'art de construire ne piétine et ne se paralyse pas sans grand espoir de progrès, il faut qu'existent certains personnages, qui se dédient à la recherche dans le domaine des structures, à la découvertede nouvellesf ormes résistantes.» Autrement dit, il est nécessaire qu'un homme comme Le Ricolais consacre sa vie à la recherche pure, pour que des ingénieurs comme Makowski et du Château puissent réaliser des structures, et que des « architectes visionnaires » comme Friedman, Maymont, Schöffer puissent se servir de ces structures comme éléments de base à leur cité idéale.

Lorsque ce grand « structuraliste » qu'est Buckminster-Fuller inventa la maison

7 Guy Rottier, architecte

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Cité de vacances sur fils Ferienstadt an Seilen befestigt Holiday town suspended on wires

Projet de ville en grappe et maquette de cellule (Camoletti et Hœchel, architectes) Entwurf einer traubenförmigen Stadt und Modell einer Einzelzelle Design for a town in the form of a bunch of grapes and a model of a living unit

Pascal Häusermann

Dymaxion, il lui était difficile de prévoir les créations grandioses que Paul Maymont allait faire à partir de cette fameuse colonne creuse. Dans les cités coniques de Paul Maymont,' la colonne centrale creuse, en béton, fait vingt mètres de diamètre et elle représente à la fois la circulation verticale par ascenseurs et le grand collecteur. Accrochés à ce mât, à différentes hauteurs, des câbles forment une immense toile d'araignée. Ceux-ci, qui peuvent être en béton précontraint, supportent des planchers autoprécontraints.

Voir A, F+F N° 11

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Toutes les parties suspendues sont en acier et toutes les parties comprimées en béton. Les éléments urbains les plus différents peuvent être suspendus à ces câbles. Chaque cône, c'est le Mont-SaintMichel avec des rues horizontales et verticales, un Mont-Saint-Michel transparent, de 125 m de haut et groupant 15 à 20 000 habitants. Ces cités coniques peuvent aussi être conçues flottantes et reliées par des autoroutes suspendues.

On songe à ce qu’écrivait Alexandre Persitz dans « Architecture d'aujourd'hui » : « Imaginez non plus une seuletour Eiffel, mais dix, vingt, ou davantage, s’élevant comme une sorte d'immense forêt métallique, reliées entre elles par des ponts, des routes, des plates-formes. A l’intérieur de cette gigantesque toile d’araignée « tridimensionnelle » s'étagent des habitations, des théâtres, des écoles, des commerces... La structure est encore plus légère, plus transparente que celle dont pouvait rêver l'ingénieur Eiffel en 1887. Toutes les pièces tendues sont des câbles, celles qui sont comprimées, peu nombreuses, sont essentiellement des pylônes. Des matériaux scintillants de couleurs, de formes légères et diverses, s'insèrent dans cette Cité Spatiale ».

L’Anglais Arthur Quarmby utilise lui aussi le principe de la colonne creuse

servant de rue verticale et accroche à celle-ci des cellules individuelles en matières plastiques. C'est une sorte d’arbre qui porte des fruits, ces fruits étant des «trois pièces cuisine».

L'arbre a également inspiré Edouard Albert pour l'architecture qu’il nomme d'ailleurs « arborescente » et qu’il a spécialement conçue pour faire face au Pont de l'Alma à Paris. Tout comme le gratte-ciel multiple de Zehrfuss, il est probable que cette architecture ne verra malheureusement pas le jour, du moins à l'endroit qui lui était destiné.

Il s’agit d’une structure spatiale contenant vingt-deux cellules habitables accrochées à des tubes d'acier d'une hauteur de 120 m, et dont le diamètre décroissant est de 40 cm à la base et de 20 au sommet. On sait qu’Edouard Albert, spé-

9 Biro et Fernier, architectes

Projet de ville en X Entwurf einer X-förmigen Stadt Project for a town in the form of an X 10 Chanéac, maître d'œuvre

Projet de ville cratère Entwurf für eine Kraterstadt Project for a crater town

cialiste de l’architecture en tubes d’acier (gratte-ciel Croulebarbe à Paris et immeuble Air France à Orly) est un champion de la transparence et de la légèreté.

Mais là, il s'agit d'une presque-immatérialité puisque les vides d'intervalles entre les cellules habitables constitueraient les neuf dixièmes de l'ensemble construit. A part les 20 tubes d’acier et 5 gainesd’ascenseurs,escaliers ettuyauteries, la base entièrement dégagée place le premier plancher à 19 m, soit la hauteur maximum des immeubles parisiens. Les 22 cellules constituent en fait de vastes hôtels particuliers suspendus (18 m x 9 x 9), soit 400 mètres carrés habitables. Ces cellules de forme coquille peuvent être orientées chacune de quatre façons différentes et être installées non pas banalement l'une au-dessus de l'autre, mais dans un mouvement spiraloïdal.

Dessus chaque hôtel particulier setrouve un jardin suspendu. Et, dessous, un revêtement de bronze et de miroirs réfléchissants. Vue d'en bas, cette construction prendrait donc un aspect féérique comme un immense arbre avec le papillotement de tous les reflets des miroirs. Ce monument est donc aussi conçu comme une architecture-spectacle cinétique.

Tout comme dans les tours cybernétiques de Schôffer (et Schôffer a conçu les dessins de toute une ville cybernétique comprenant même un centre de loisirs sexuels), il s'agit là d’un urbanisme spatial par bâtiments isolés, les bâtiments isolés étant en soi des cités complètes.

Bien que dans les théories de Schôffer, celui-ci sépare les éléments travail, habitat et loisirs. La ville du travail étant une ville verticale et celles de l’habitat

et des loisirs des cités horizontales symboliquement plus propices au repos.

Chez Friedman, Schultze-Fielitz ou Constant, les structures spatiales forment au contraire un tout organique, sans points d'arrêt, une sorte de maillage recouvrant une surface du sol qui pourrait idéalement aller à l’infini et dans laquelle tous les éléments urbains sont insérés, comme dans des tiroirs. Afin de permettre une mobilité des cellules, Friedman a conçu ses structures spatiales avec des vides, permettant donc à la fois l'extension ou le rétrécissement des logements et l'ensoleillement du sol qui pourrait parfaitement être cultivé en dessous de la ville. La ville et la campagne pourraient donc ainsi se superposer au lieu de se juxtaposer, et cette vieille contradiction qui veut que les paysans aspirent à habiter à la ville et les citadins à vivre à la campagne serait enfin résolue.

Mais la ville spatiale pourrait prendre bien d'autres formes. Paul Maymont et Guy Rottier étudient actuellement des Cités sur Fil. Il s'agit là de cités de vacances, mais les villes de loisirs sont appelées à un grand développement et il faudra choisir pour elles un mode d'habitat qui diffère de celui des cités du travail. Le village de vacances de Paul Maymont, implanté sur une côte rocheuse inaccessible, contre une falaise abrupte, est structuralement formé d'une toile d'araignée de câbles prétendus accrochés à deux mâts creux comprenant les ascenseurs et les escaliers de secours. Cette résille supporte les villas individuelles suspendues. Des passerelles assurent les liaisons.

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11 Chanéac

Projet de ville cratère, coupe et détail d’habitations industrialisées Entwurf einer Kraterstadt, Schnitt und fertigfabrizierte Einzelwohnungen Project for a crater town, section and detail of industrialized dwelling units 12 Walter Jonas, peintre

Projet de cité-entonnoir Entwurf einer Trichter-Stadt Project for a « funnel town » 13 Martin Pinchis, architecte

Projet de ville future Modell einer zukünftigen Stadt Project for a town of the future

Guy Rottier, spécialiste de l'habitat de vacances, et qui est d’ailleurs l'auteur d'un prototype de «maison volante» (sorte d'hélicoptère-caravane), a soigneusement étudié les cellules de sa « Cité de vacances sur fil ». Ces cellules d’habitatminimum peuvent,grâce au principe de la suspension, être amarrées sur des rochers ou dominer un plan d’eau.

Au Japon, Noriaki Kurokawa a imaginé un vaste système d'urbanisme spatial, tout à l'opposé de la rigueur géométrique d'un Friedman ou d'un Maymont. Ses structures ont en effet un mouvement naturaliste baroque, avec des volutes et des torsades. Des tours hélicoïdales forment les éléments de cet urbanisme.

Tous les dix niveaux, elles sont reliées par des connectors qui peuvent euxmêmes être joints par des axes secondaires.

Pour nous résumer, la plupart des plans d'urbanisme spatial, que ce soient ceux d'Albert, de Friedman, de Maymont, de Schöffer, de Kurokawa, de Quarmby ou encore de Pascal Häusermann, qui envisage d'accrocher ses cellules en matières plastiques en forme d'œuf dans des «échafaudages» tridimensionnels, ont en commun de concevoir la structure collective comme un porte-maisons.

Dans ce système, soulignons que l’architecte se préoccupe moins de concevoir des logis pour un homme moyentype, qu'une sorte de terrain artificiel à étages dans lequel l'habitant peut insérer le jeu de structures préfabriquées qui lui plaît. Les constructions qui forment ces villes nouvelles, sont donc des squelettes, emplissables à volonté. Il est important néanmoins de se préoccuper, comme le fait par exemple Häusermann, de la qualité plastique et fonctionnelle des cellules habitables. Des éléments industrialisés, de même module, peuvent permettre des fantaisies d'agencement.

L’urbanisme spatial peut prendre également d'autres directions que les structures tridimensionnelles. C’est le cas, par exemple, de la Ville en X de Biro et Fernier, des projets de villes de Martin Pinchis, des «villes cratères» de Chanéac et des Intrahaus de Walter Jonas.

La Ville en X de Biro et Fernier, dite encore « Habitations à structures continues », comprend une structure porteuse en X dont le centre est constitué par une avenue suspendue comprenant des magasins, des parkings et des jardins. Chaque branche de l’X ayant 15 étages, 10 000 habitants peuvent vivre sur trois hectares en bénéficiant de 90 % d'espaces verts.

Libérer le sol au maximum, c'est encore le souci de Walter Jonas dont les Intrahaus1 en forme d'entonnoirs ne reposent au sol que sur une pointe. Forme d'entonnoir, ou de cône inversé, mais aussi de cratère, de vallée artificielle. Les projets de Pinchis2 ou de Jonas retrouvent des vertus naturalistes. On pense, en voyant les projets de Pinchis, aux jardins suspendus et ziggurats babyloniens, en voyant ceux de Jonas, aux arènes romaines et aux pueblos indiens.

Les « entonnoirs » de Walter Jonas, tout comme les « cônes-champignons » de Paul Maymont, sont des unités de base

représentant un espace social et économique fermé constituant la structure souple d’une véritable ville.

La forme d'entonnoir, préconisée par Jonas, a le grand avantage de donner aux logements de la cité, tous situés à l'intérieur, un ensoleillement maximum et une isolation totale du bruit des voitures qui circulent soit sous le cône, soit autour et à l'extérieur de l'entonnoir, sur des rampes montant en serpentin autour de la cité. Cent éléments entonnoirs, d'un diamètre chacun de 200 m, d’une hauteur de 100 m et d'un angle d'ouverture de 90°, pourraient être répartis dans un espace de quatre kilomètres carrés et loger 200 000 habitants. 42 kilomètres carrés suffiraient donc amplement pour une circulation des plus intenses et pourraient grouper deux millions d’habitants.

Précisons qu'une telle agglomération, d'une aussi grande densité, serait couverte d’espaces verts et ne s’étendrait que sur une surface restreinte facilitant les déplacements : 7 km de long sur 6 km de large.

Les appartements s'ouvrant à l’intérieur de la cité-entonnoir disposeraient d’une cour intérieure et d’un jardin privé. 39 appartements par niveau totaliseraient 702 appartements par « entonnoirs », soit 2000 personnes. Magasins, cinémas, bureaux, se situeraient dans la partie inférieure moins ensoleillée. Vus d'avion, les appartements ressembleraient à des nids d’hirondelle. On aurait l'impression de vallées très vertes, tous les toits-terrasses étant plantés.

Les Intrahaus peuvent s’adapter à tous les terrains et même s’implanter dans un lac ou au bord de la mer. En construisant

un contre-cône sous terre, ce qui présente alors une analogie de forme avec un verre à pied, non seulement un élément de stabilité supplémentaire est ainsi fourni, mais ce contre-cône souterrain peut permettre les installations complémentaires de garages, de réservoirs d'eau, d’abris antiatomiques, etc.

De nombreuses études, très poussées, certaines même immédiatement réalisables, nous sont donc proposées. Afin de former des liens plus effectifs entre tous les chercheurs préoccupés de donner un nouveau visage à la cité de demain, afin de promouvoir les nouvelles conceptions urbanistiques etarchitecturales, nous avons fondé le GIAP (Groupe International d'Architecture Prospective)3. Mais il ne s'agit pas seulement de vulgarisation; le GIAP est d'abord un groupe de recherches et d'études. Il appartient aux pouvoirs publics et aux grands industriels de faire en sorte que la ville de demain passe de la prospective à la réalité.

Michel Ragon

Photos: P. Joly et V. Cardot, E. Hubert, G. Guillat, J. Biaugeaud

' Voir A, F+F N” 9 2 Voir A, F+F N" 11 3 Les membres fondateurs du GIAP, qui a été crée à Paris en mai 1965, sont: Friedman, Jonas, Maymont, Patrix, Ragon, Schein, Schöffer. Parmi les membres actifs: Biro et Fernier, Arthur Quarmby, Guy Rottier, Chanéac, Janusz Deryng, Edouard Utudjian, Jacques Polieri, Szekely, Lucien Hervé, Hausermann, etc.